– Il n'y a vraiment que toi pour prendre des tickets le seul soir où je bosse de nuit. Bien joué, Léo, vraiment malin !
– Si tu te donnais la peine d'afficher ton foutu planning sur le frigo comme je te le demande depuis des années, on éviterait ce genre d'emmerdes, répondis-je.
– Parce que c'est moi la fautive, dans l'histoire ? Mais qu'est-ce que tu as dans la tête ? La semaine dernière, tu zappes l'anniversaire de ma mère pour sortir boire un verre avec Alan ; lundi tu oublies d'aller chercher Clément à la crèche, et maintenant, les tickets ! Qu'est-ce que tu as dans la tête, nom de dieu ?
– Tu pourrais vraiment être un peu compréhensive, pour une fois. Un peu sympa, même. Ça fait trois mois que je vole quasiment tous les jours, et là, j'ai enfin une semaine de vacances, alors ouais, je décompresse et j'oublie des trucs. Ça serait vraiment si compliqué d'être un peu compréhensive, Zoé ?
C'était sans doute la gaffe de trop, celle qui avait précipité une soirée s'annonçant agréable en une énième dispute. L'eau avait coulé sous les ponts, cela faisait six ans que l'on avait emménagé dans notre appartement, et nous avions eu un petit garçon deux ans auparavant. Une petite terreur, qui ne passait toujours pas une nuit sans crier pour qu'on vienne le cajoler, mais très obéissant dès que l'on prenait le temps de s'occuper de lui. J'avais acheté des places pour un spectacle de patinage artistique ; Zoé adorait ça, et moi, ça ne me déplaisait pas trop. Je lui avais fait la surprise de les lui offrir la veille et évidemment, cela tombait sur son jour de nuit. Il y en avait deux par mois, et il avait fallu que ce soit un de ceux-là. Deux nuits par mois, c'était incroyablement peu pour une contrôleuse aérienne, mais elle savait y faire avec son chef, à qui elle répétait constamment combien il était important pour un enfant d'avoir une mère présente et disponible. Le pauvre homme n'était pas du genre coriace, et face au joli sourire de ma femme, il devenait soudain très souple sur son planning.
Dépité, je fis annuler les tickets. A la place, mon copain Alan était passé à la maison ; j'avais couché le petit – jusqu'à sa prochaine crise de larmes – et sorti une bonne bouteille de scotch. Zoé détestait le scotch, sa simple odeur la faisait fuir. J'avais rencontré Alan au boulot, il travaillait dans les bureaux de ma compagnie. J'étais passé de simple copilote sur le Toulouse-Paris régulier à copilote sur des vols européens, et je commençais à effectuer quelques traversées transatlantiques sur des remplacements ponctuels.
Alan gérait les plannings et tenait à jour les qualifications des pilotes, j'étais donc régulièrement fourré dans son bureau, et nous avions plutôt bien sympathisé. C'était un type d'apparence très simple, légèrement enrobé, toujours habillé sobrement, mais qui avait comme moi un certain grain de folie. Il criait sur tous les toits qu'il était le plus heureux des célibataires, car rien ne le privait de faire ce qu'il voulait. Zoé disait qu'il était trop gros pour se trouver une fille, voilà tout. Alan n'aimait pas spécialement voyager, du moins pas plus que la moyenne, mais il avait une drôle de manière de toucher à tout, passant d'une activité à l'autre. Il n'y avait pas grand-chose de logique dans ses agissements, aussi j'adorais sa façon d'être.
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Lengaï [Publié !]
ParanormalLéo Boulanger ne sait plus où il est. Voilà un comble, pour lui qui était encore il y a peu un brillant pilote de ligne habitué à sillonner le globe. Le voilà maintenant flottant dans le vide, dans une bulle de nacre qui n'a ni queue ni tête. Petit...