LETTRE 4 : A Audrey

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Salut, 

J'ai vu de vieilles photos, j'ai cru entendre ton rire résonner au creux des sourires de papier glacé et de nos regards enfantins, jaunis par les années. 

J'ai regardé la chair tendre de nos dix ans et l'insouciance pétiller dans nos iris. J'ai souri en voyant mes cheveux plein de sable, Adriel courant sur la plage et toi, toi qui rayonnait dans tes habits roses. J'ai observé tes yeux mélancoliques scruter un point invisible, au loin. 

Combien de temps avant qu'un rire ne s'échappe de nouveau de ta gorge ? Combien de temps avant que tes yeux brillent comme avant ? Combien de temps avant de ré-apercevoir tes dents ? 

Des mots ne répareront pas ta peau. Des souvenirs ne remodèleront pas ton corps. 

On m'a dit qu'on t'avait coupé des doigts. Pourrons-nous nous resserrer la main un jour ? 

Un jour, te sentiras-tu heureuse ? Un jour, te trouveras-tu belle ? 

Comme avant. Comme avant. 

Ça fait combien de temps que nous ne sommes pas parlées ? Serait-ce disconvenu de t'envoyer une lettre ? "Un bon rétablissement" qui ne signifie pas grand chose et qui n'apportera rien. 

Je suis désarmée et, pour une fois, mes mots ne me serviront pas. 

Tu te souviens de ces étés à la plage ? Tu te souviens de nos chasses aux coquillages ? Et des jeux de ballons à la lampe frontale ? Tu t'en souviens ? 

Je vais avoir dix-huit ans et tu vas sur tes seize ans. Pourras-tu souffler tes bougies d'anniversaire ? 

Cet après-midi, je marchais dans la rue, sans but précis et j'ai croisé la route d'une petite fille qui se prélassait dans l'herbe comme nous le faisions sûrement nous aussi, avant. 

Elle souriait béatement, ses pommettes veloutées offertes au soleil. 

"Je n'aurais jamais cru que la vie puisse être aussi belle." A-t-elle dit. 

J'ai marché, j'ai marché, Douce France au creux des oreilles à en devenir sourde et j'ai murmuré : "si tu savais ce que te réserve la vie..." 

Je m'en suis voulue tu vois ? Nous, à son âge, on y pensait pas. Aux tumultes autres que la marée haute grignotant la berge. On regardait le feu crépiter, on s'émerveillait des étincelles sans savoir qu'un jour la chaleur te brûlerait. 

On aurait fait quoi, si on avait su ? Adriel aurait-il tenté de faire griller sa brochette de marshmallow ? Me serais-je plainte de ne jamais parvenu à faire caraméliser les miens ? Et toi, aurais-tu été aussi fascinée par ces flammes à la danse langoureuse ? 

Lui pardonneras-tu un jour, à la vie ? Pourras-tu ouvrir tes yeux pour l'observer ? Et ta bouche pour en parler ? Est-ce qu'on se recroisera ? 

C'est drôle la vie, c'est la faute à qui ? 

Ma mère, au bord des larmes, m'a demandé de t'écrire, à l'occasion quand j'aurais des mots à t'adresser parce que ta reconstruction prendrait des années. Et sa voix, elle s'est brisée, et ses yeux embués, eux aussi.

Ça sonnait très tragique parce que ça l'était, que c'est des histoires qu'on n'imagine pas avant de les connaitre. Elle m'a parlé de vous, vous qui aviez besoin de parler et auxquels on n'envoyait que des mots impersonnels parce qu'on va à la facilité.

Je suis désolée tu sais ? 

Je suis désolée sans vraiment savoir pourquoi et j'ai le cœur serré sans comprendre. Je ne peux pas comprendre, je ne peux pas t'envoyer des roses en espérant te faire plaisir. 

Désormais, ta joie dépasse mes moyens et tout l'argent du monde ne ranimera cet éclat qui animait tes orbes brunes. 

As-tu eu mal ? Qui dois-je accuser ? Où envoyer mes reproches ? A cette eau trop chaude ? A cette maladie étouffante ? 

 Je me désespère de ne produire que des mots qui sonnent faux et des phrases bancales.   

 Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas quoi penser.   

Audrey. 

Puis-je te promettre des jours heureux et un bonheur futur sans paraître hypocrite ? 

Puis-je m'immiscer dans ta vie comme ça sans paraître importune ? 

Tu es la jeune fille de mes souvenirs d'enfance, mon amie de soirées à la plage. Pour toujours.

Et je ne suis pas la meilleure des amies, et je ne le serais sans doute jamais.

Et, peut-être ne te souviens-tu déjà plus de moi mais.

Sache que, j'aurais toujours une pensée pour toi, des restes d'amitié et des bouffées d'espoir. 


Amicalement, 

Désespérément, 


Nin', dépassée et impuissante, 04/03/18


Dans la joie ou la douleur. 

Douce France 

Cher pays de mon enfance 

Bercée de tendre insouciance 

Je t'ai gardée dans mon cœur.   

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