LETTRE 3 : A toi

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Cher toi,

J'ai jamais eu les mots pour te parler, ils se dissolvaient désagréablement sur ma langue dès que t'apparaissais. D'ailleurs, je parie que tu penses que je te hais ; de l'amour à la haine on dit qu'il n'y a qu'un pas après tout ! Pourtant j'ai jamais eu à sauter le pas. Ce pas.

Je t'aime comme je suis, c'est-à-dire bizarrement. C'est-à-dire maladroitement. C'est à dire en me voilant la face. Et tu vois, ça fait mal au final, de se mettre des obstacles pour rien et d'être silencieuse, le cri au bord de lèvres qui s'évertuent à rester closes. 

Je contrôle plus ni mon être, ni mon esprit. Et je me consume sans savoir sur quel pied danser. J'ai tout juste les yeux assez hauts pour te regarder. Et les jambes assez solides pour avancer, en tanguant, sur le côté, comme un bateau dont les poids ne seraient que sur l'un des deux bords. Et qui foncerait vers l'iceberg, sur la mer déchaînée, parce que la partie émergée ne laissait rien présager de l'immensité sous-marine. 

Mon iceberg : c'est ce que tu me fais ressentir, c'est mes foutus sentiments. Je les ai sous-estimés, j'y fonce, je m'y heurte avec hargne dans cet iceberg et je tombe puisque je n'ai pas d'attache, pas de pas, pas de face. C'est bête parce que depuis le temps, je devrais les avoir compris, les mécanismes de base de survie à la vie. 

Et je fais des riens des montagnes et je fais des touts des collines. Ça a des sommets doux les collines, rassurants, plats, arrondis sur lesquels je glisse pour m'y cogner plus tard. Et quand ça fera mal, je ravalerai mes larmes pour les fleurs, pour plus tard, pour quand il sera trop tard

Car, ouais, y'a sur tout ça des fleurs, partout, parce que ça manque de couleurs. Et plus y'a de fleurs, plus j'en pleure ; et j'y finirais ma vie sûrement, mourante à l'agonie un matin de mai, dans une étendue fleurie, arrosée de mes regrets, de mes ruminations, de mes remords, sans avoir la force nécessaire pour me relever.  

Au fond, c'est une fin triste mais comme ça n'a ni sens, ni fond, ni âme, on ne s'attardera pas dessus et mon portrait ; cette brune aux yeux grands yeux qui s'écarquillent pour tout mais ne voient finalement rien ; il se froissera, il se désagrégera au milieu des fleurs, et comme sépulture, on aura vu pire, on aura vu mieux. 

Mais la mort est un pôle de transit, la mort c'est comme le hub qui recueillera la carcasse du bateau naufragé, abîmé, quand on l'aura, des années après, repêchée, cette épave consumée. La mort c'est la vie. La vie c'est la mort. Et si l'iceberg eut causé ce retournement des choses pour mon bateau... Tu seras le point fatal du mien : 

La goutte d'eau qui fait déborder le vase tenu par les mains tremblantes d'une jeune brune aux grands yeux qui s'écarquillent, qui ne saute pas le pas, ne savant sur quel pied danser, qui pince ses lèvres inconsciemment pour retenir des mots quelle n'ose prononcer et qui se voile la face par peur d'accepter d'aimer. 

C'est bête. On devrait m'offrir des fleurs pour simplifier les choses. Ça ne coûte pas grand chose. Peut-être, sans le savoir, ô toi que je rends inaccessible, seras-tu l'auteur du bouquet de fleurs qui ornera ma sépulture. 

Quel comble de l'ironie. Quel paradoxe de vie !

N : 19/11/17 11h10

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