ONDES

4 - Elise

       

_ Allez viens Eli. demande Ruth en me tendant la main.

_ Je vous rejoins après, allez-y.

_ Roh, c'est toujours pareil. Tu te fais désirer et après tu viens enflammer tout le monde sur la piste. Vilaine petite fille. provoque Vic qui est déjà pleine à ras bord.

_ Bon ok, poche à gnole, si tu le prends comme ça.

_ Quoi ? coasse Vic.

Je la prends par la main et commence à danser avec elle sur un tube de l'été dernier.
Ce qui est chiant avec mes amies, c'est qu'elles ont ça dans la peau. Leurs corps bougent sans problèmes comme s'ils étaient nés pour ça. En ce qui me concerne faut que je pense à tout. Mon corps lui, n'est que programmable et ne fait pas les choses instinctivement. Il lui faut bien quelques chansons pour se dérouiller et gagner en fluidité. Au début, on dirait limite une épileptique en pleine crise.

Les filles disent que j'exagère mais j'ai toujours été comme ça avec ce corps, mon corps. Trop grand, trop maigre, trop blanc, trop roux, l'histoire de ma vie. Vous voyez le mannequin néerlandais Famke JANSSEN ? Elle interprétait le rôle de Jean GREY, le Phœnix dans X-Men : L'affrontement final, 1m85, 56kg, bé, moi ado c'était un mélange d'elle et Kate MOSS. Elles, au moins elles ont un regard de braise.

Moi, c'était 1m74, 45kg, avec un bonnet qui hésitait à passer au B. J'oubliai, une tignasse rousse sur la tête, bref cadavérique. J'ai longtemps tanné ma mère pour me teindre les cheveux dès le collège. A son grand désespoir, face aux moqueries, je suis devenue blonde, plus passe partout. Pour pallier ma maigreur effroyable, je m'acharnais au sport. Petite j'ai fait de la danse classique, puis de la gymnastique et du modern jazz. Ado, j'ai cassé les codes en faisant du ragga mais face aux bombes génétiques, j'ai lâché l'affaire après un an. Je me suis mise au fitness pour transformer ce corps et j'ai découvert la voltige un été, ça c'était génial.
Mon corps a été synonyme pour moi d'enfer jusqu'à l'arrivée de ma Lili. Plus qu'imprévu, la grossesse m'a relié littéralement à mon corps, à ses fonctions les plus primaires, les plus belles. Les efforts, la grossesse et les années m'ont transformé depuis quelques temps en quelque chose de plus sympa. Un mélange entre la belle Audrey FLEUROT et la pétillante Jessica CHASTAIN. J'ai gagné treize kilos, un cul rebondi et un beau bonnet C qui déborde. Tout comme ces actrices, j'ai assumé d'être rousse. Je ne me voyais pas dire à ma fille que cette couleur m'effrayait étant enfant alors qu'elle porte la même.
Bon vous allez me dire, « c'est bon, t'es une bombe maintenant », mais je reste quelques fois bloquée comme une gamine. Tel un pantin désarticulé, j'essaie de trouver une grâce naturelle et ça, c'est pas gagné.

J'avale ce qui va être mon dernier et septième mojito, j'y suis allée un peu fort mais tant pis, je m'éclate. Tam et Nick, les barman nous regardent d'un air amusé et veillent à ce que leurs habituées ne soient pas embêtées.

Vic n'a pas attendu d'être à la maison, mais elle a eu la décence de vomir dans le caniveau, timing parfait ! Elle dort maintenant sur la banquette arrière avec un sac au cas où. Ruth m'embrasse et me regarde monter les marches. J'essaie d'être silencieuse mais je constate que mamie n'est pas encore rentré. Il est trois heures quand même, je me demande ce qu'elle fait. Je lui envoie un sms avant d'aller sous la douche.

J'avale du paracétamol et lis la réponse de ma grand-mère :

« Je leur mets une raclée au poker ma petite, ne m'attends pas. Je t'aime. »

Un soi-disant club de lecture pour sexagénaires, tu parles ! Je souris en imaginant ma grand-mère dans une pièce sombre, enfumée, devant une table de jeux, un verre aux lèvres.
J'entre dans ma chambre, rien à bouger. Je pose mes affaires sur le fauteuil et me glisse dans les draps. Quel bien-être de revenir chez soi, dans son cocon, où rien ne peut vous atteindre.