Chapitre II

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        Grande, rachitique. Gestes maladroits, désordonnés. Chaussures ignobles. Bouche trop grande, rire strident.

         Claudia observe sa mère qui fait la cuisine. La façon dont elle coupe les tomates et les betteraves, une à une d'un geste rapide, en essayant de paraître assurée et habile, ça l'agace. Sa voix aigre qui piaille, commentant les mots qui grésillent à la radio posée à ses côtés. D'une voix relativement absente et monotone - on devine l'air morose et le visage triste de l'intéressé-, un homme annonce des faits survenus la veille. En Hongrie, un groupe de gardes-frontières, munis de pinces-monseigneur et de tenailles, ont coupé, près du village de Hegyeshalom, sur la route entre Budapest et Vienne, les barbelés et les fils électriques qui marquaient la frontière avec l'Autriche. L'évènement est raconté ainsi, ce sont de simples faits ; la voix grésille, Claudia ne l'entend pas à cause de son walkman, et sa mère semble aussi peu attentive.

    Cette dernière, Claudia grimace en l'observant, pendant qu'elle passe la serpillère d'un geste mou, son walkman dans les oreilles, en écoutant The Doors. Elle voit simplement les lèvres de sa mère gigoter, s'exciter, alors qu'elle finit de découper une tomate.

    Puis les yeux de la femme s'ouvrent grand, ses gestes deviennent brusques, elle empoigne son couteau de cuisine et ses phalanges blanchissent, puis regarde sa fille d'un regard noir. Sa bouche, mince, que Claudia hait, piaille et crisse, théâtralement. La jeune fille enlève son casque qu'elle dépose sur ses épaules et cesse son mouvement.

     « C'est pas possible, t'es sourde ou quoi? Enlève cette connerie de tes oreilles!

    -Excuse-moi, lâche la jeune fille d'une voix fatiguée.

     -Ta mère te demande simplement de l'aide pour faire la cuisine, et t'es même pas foutue de m'écouter?

     -Je dois finir de faire le ménage.

     -M'en fous putain. Allez viens ici ».

    Claudia ne dit rien. Elle reste muette, laisse la serpillère au sol, se dirige vers la cuisine. Sa mère lâche le couteau qui rebondit sur la surface en marbre de la table de travail. Elle s'appuie contre le lave-vaisselle et agrippe un paquet de cigarettes Malboro sur une étagère. Ses mains fines tremblent, elles prennent le petit papier roulé entre l'index et le majeur. Une petite flamme sortie du briquet embrase l'embout. Pendant ce temps, Claudia la regarde faire. Le tee-shirt de sa mère est trop petit pour elle, on voit son nombril, et son pantalon est déchiré de toutes parts. Leurs regards se croisent, une épaisse fumée s'installe autour d'elles.

    « Quoi, aboie la femme et secouant la tête de façon moqueuse. Pourquoi tu me regardes comme ça, hein?»

   Claudia ne répond pas, elle hausse seulement les épaules, tandis que d'un geste las, elle continue de couper les tomates avec précaution.

    « Pour la peine, c'est toi qui vas faire à bouffer, tiens. J'ai la flemme. Et j'en ai marre de te voir rien faire toute la journée.

    -J'ai du travail, pourtant. Je ne sais pas si je vais avoir le temps.

    -Quel travail? s'égosille la femme en faisant tanguer la cigarette sur ses lèvres ridées et en ricanant. T'as rien à faire de tes journées, poupée. Tu branles rien, voilà tout. Tu traines seule dans la ville avec ce vieux vélo dégueulasse, je veux même pas savoir qui est-ce que tu fréquentes.

    -Je dois aller déposer des CV, rétorqua l'autre en ignorant sa remarque.

   -Va, va. T'as beau essayer, personne voudra de toi, sinon tu ne serais plus ici depuis longtemps, crois-moi»

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