Chapitre VI

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            La voiture arrive dans un parking couvert de sable. Seules quelques voitures jonchent là, poussiéreuses. Sur la dune le vent fait virevolter les éclats de roches et les feuillages qui se mêlent au sable. L'écume de l'eau qui crachote entre les torrents aériens vient s'écraser contre le pare-brise sale de la Dodge. Les rayons du soleil traversent la carrosserie quelque peu rouillée, le paysage déformé par la chaleur glisse sous leurs yeux, c'est un miroir qui fond lentement.

     Il est bientôt deux heures de l'après-midi. La route a été longue, l'intérieur de la voiture empeste; une légère odeur de transpiration mêlée à celle de tabac froid. Lors du trajet, Jeanne a eu des montées d'angoisse soudaine, elle se mettait à cracher la fumée par ses narines et parlait vite, très vite, ce qui agaçait les deux garçons. Ordonnant à Auguste d'accélérer, frappant son poing contre le poste radio qui crépitait. « J'veux pas me retrouver dans le pétrin. Allez, partons loin, loin. J'veux m'faire oublier ». Claudia avait aimé cette dernière phrase ; voir Jeanne inquiète quant à leur sort la rassurait. A la fois elle se demandait si cette petite blonde, lorsqu'elle secouait sa chevelure avec excitation, en laissant échapper ses longues répliques pleines d'angoisse, était bien sincère dans ses mots (parfois se retournait-elle vers Jeanne et d'un regard complice l'observait avant de lui adresser un clin d'œil, l'air de lui dire : «t'inquiètes pas, regarde-moi je suis comme toi, n'aie pas peur ». Puis se retournait soudainement, et ses mains continuaient de s'agiter. Accompagnant Claudia dans son malaise.

     La Dodge Charger s'arrête brusquement, cale, Auguste râle mais il met le frein à main et l'engin s'ébranle. Tout devient plus calme, tous sortent de la voiture. Gaspar, bâille, s'étire.

    « Woah, j'ai la dalle.

    -Moi aussi », dit Auguste.

    Pearl se met à courir, se roule dans le sable, son pelage blanc devient sale et poussiéreux. Auguste s'empare d'un paquet de chips dans la voiture et en grignote quelques unes, tendant le paquet à ses amis.

    « Je rêve, ça fait combien de temps qu'elles sont dans la voiture ? souffle Gaspar

    -On chen fout, lance l'autre en haussant les épaules, entre deux mastications. Ch'est grave bon, ch'est l'echenchiel ».

    Jeanne s'abandonne à la nourriture, les bouts de chips collent sur ses joues. Gaspar de même, Claudia en prend aussi quelques-unes. Les quatre s'assoient en haut de la dune, observant le paysage, les vagues qui déferlent et glissent sur le sable, laissant leur trace derrière leur passage, une tâche noire à la mousse soyeuse. Jeanne prend son caméscope, l'allume, le pointe vers ses amis.

    « Premier arrêt, premières impressions.

    -Oh, laisse ce truc dans un coin (Gaspar, aveuglé par le soleil, râle). T'en as pas marre ?

    -Non, je veux tout filmer. Tu m'entends ? Tout. -Elle se tourne vers Claudia -. Alors, Lolita, quels sont tes ressentis après cette journée ?

    -Heu...drôle de journée. Elle est...

    -Elle est quoi ? Hein ?

    -...Mouvementée ?

    -Mais encore ?

    -...Extraordinaire ? Dans le sens littéral du terme ?

     -Ah, voilà qui est mieux, dit-elle.

      -Elle n'est pas habituée, lâche Gaspar. Ne t'inquiète pas. Après quelques jours, tu vas comprendre notre philosophie de vie.

     -Quelques jours ? Combien de temps vous comptez passer sur la route ? demande Claudia, soudainement inquiète.

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