Après la fin

VIII

''Bonjour, messieurs, commença celui qui semblait être le chef du groupe, alors que Mario et N'da rejoignaient Dem et Eazy. Il me semble que nous vous avions informés que si vous pénétriez notre village, il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Avez-vous vraiment cru que ce serait si facile ? Vous êtes bien naïfs...''

Il s'arrêta, les considérant gravement, comme un professeur regarde son élève qui vient de sortir une énormité, et se demandant ce qu'il va bien pouvoir faire de lui. Le silence se prolongeait, aucun des ''translucides'' ne voulant manifestement prendre le relai du premier orateur. Finalement, Mario osa demander d'une petite voix :

''Qu'allez-vous faire de nous ?''

N'da ne put réprimer un soupir devant l'ingénuité de son camarade. Mais au moins eut-il le mérite de briser le silence.

''Ce que nous allons faire de vous ? reprit celui qui avait parlé précédemment. Allons, jeune homme, la réponse est évidente, non ? Nous vous avons vu entrer dans une des salles de notre immeuble, vous vous doutez bien que vous rejoindrez sous peu notre escouade de cyclistes. C'est une agréable nouvelle de recevoir de nouveaux éléments, car notre stock diminue considérablement. Voyez-vous, de moins en moins d'étrangers arrivent dans notre village, mais nous avons toujours besoin d'électricité et de nourriture. Heureusement, vous semblez particulièrement en forme, même si je crains que ceci ne dure pas longtemps...''

De nouveau, il s'arrêta, semblant méditer ses propos. Ils attendirent, attendirent, et leur patience atteignit bientôt sa limite. Eazy prit la parole :

''Bon. On a avec nous assez de munitions pour vous tuer tous. Ni vous ni nous n'avons envie d'en arriver là. Donc vous allez nous laisser partir, personne ne va mourir, tout le monde sera content''.

Il reçut en retour un rire méprisant.

''Ha ! Ha ! Ha ! Vous nous jugez donc si simples d'esprit ? Avant que vous ne vous lanciez dans une action inconsidérée, sachez que mes tireurs d'élite sont placés sur les immeubles en face de vous, et qu'au moindre mouvement hostile, vous serez morts dans la seconde qui suit. Je pense donc que vous rendre est la chose la plus intelligente à faire. Dans votre intérêt...''

Il s'arrêta encore une fois. Il ressemblait à un prédateur qui joue avec sa proie avant de lui porter le coup fatal. Eazy sentait la panique le gagner. Que faire ? Une chose était sûre, il valait mieux mourir que de terminer en esclave dans la cave d'un immeuble. Mais il ne voulait pas en finir ici... Il regarda ses compagnons. Mario était terrifié, même le visage d'ordinaire impénétrable de N'da ne respirait pas la sérénité. Cependant, Dem lui redonna une bouffée d'espoir : en effet, son cousin, loin de céder à la terreur, avait le visage fermé, signe qu'il réfléchissait intensément. Cependant, lorsqu'il ouvrit la bouche, Eazy comprit que c'en était fini. Son cousin, son dernier espoir, avait manifestement perdu la raison.

''Je pense que vous allez nous laisser partir''.

Un sourire amusé éclaira le visage de leur interlocuteur.

''Ah oui ? Et en quel honneur ?

- Parce qu'on peut vous fournir de l'eau''.

*

Tout le monde se mit à parler en même temps. Chacun des habitants commentait la phrase de Dem à son voisin, et chacun de ses trois amis lui demandait des explications.

''Putain mais qu'est-ce que tu fous là ?

- T'es devenu cinglé ?

- C'est quoi le plan là ?''

Mais Dem ne répondit que par son silence, les yeux dans ceux de celui à qui il venait de s'adresser. Ils soutinrent mutuellement le regard de l'autre quelques instants, insensibles au brouhaha ambiant, puis le ''translucide'' leva les bras. Aussitôt, le calme revint.

''Ainsi, tu prétends pouvoir nous fournir de l'eau potable ?

- Oui.

- Et en quelle quantité, si ce n'est pas indiscret ?

- Je vous offre à boire pour autant de personnes que vous voulez et pour autant de temps que vous en aurez besoin.

- Tu es conscient qu'il va te falloir un peu plus que des paroles.

- Bien sûr, répondit Dem en attrapant un bocal de ''geaulules'' dans la charrette. Ceci remplace l'eau, si on en prend assez par jour''.

Il brandit le bocal pour le mettre à la vue de tous, les gélules brillant sous l'éclat des réverbères. Mais il en fallait plus pour impressionner son adversaire.

''Je pense que tu mens.

- On n'a pas bu d'eau depuis plus d'un an, et je pense pouvoir affirmer qu'on se porte bien. Cela vous suffit-il ?

- A supposer que tu dises vrai, pourquoi nous ne les prendrions simplement pas, pour en profiter pendant que vous pédalerez ?''

Bien qu'il sentit la tension chez ses camarades, Dem demeurait imperturbable.

''Parce que vu le nombre que vous êtes, vous en aurez pour à peine deux semaines. Alors que si je vous donne la formule, vous en aurez pour toujours.

- Et comment être sûr que nous pourrons produire tes pilules ?

- Vous avez un laboratoire, non ?

- Oui.

- Alors vous pourrez en produire. C'est très simple d'en faire à partir d'autres gélules''.

Les villageois étaient trop loin pour s'en apercevoir, mais Eazy était juste à côté de Dem, et il voyait bien que si sa voix était forte et claire, il tremblait. Bien évidemment, aucun d'entre eux ne savait produire les ''geaulules'', et il était inévitable que les ''translucides'' s'en apercevraient vite. Dem avait un plan, mais... de quoi pouvait-il bien s'agir ? Ils s'étaient sortis de bien des situations, mais cette fois, la fin semblait proche...

*

Le chef du village considéra Dem pensivement. Il finit par faire un choix :

''Tu vas venir dans notre laboratoire.

- Je veux des garanties.

- Tu n'es pas en position de discuter, petit.

- Je crois que si. Si vous avez mes gélules, vous n'aurez plus de problèmes pour hydrater vos esclaves, donc il y aura moins de pertes, et plus d'efficacité. Vu le nombre, ce sera bien plus intéressant pour vous que quatre paires de jambes en plus''.

L'autre hésitait visiblement à faire tuer immédiatement cet impudent qui parlait trop. Mais la possibilité de pouvoir se passer d'eau ne pouvait pas le laisser indifférent.

''Qu'est-ce que tu veux ?

- Je vous accompagne avec un de mes camarades. Les deux autres prennent la charrette et nous attendent en dehors du village. Quand vous savez faire les gélules, on les rejoint et on repart tous les quatre''.

Visiblement, l'autre n'avait pas l'habitude de ne pas mener lui-même ses négociations. Mais il décida d'accepter. Après tout, il serait facile de les éliminer une fois le secret des ''geaulules'' en leur possession.

''Bien. Tes amis seront escortés et gardés jusqu'à ce que tu sortes. Si tu as menti, vous serez torturés avant de mourir.

- D'accord.

- J'y vais avec toi, intervint Eazy.

- Non. J'y vais avec N'da''.

Eazy allait protester, mais il se ravisa. Jusqu'à nouvel ordre, c'était Dem qui menait les opérations. Il s'attela donc à la charrette, et se dirigea vers la sortie du village, Mario à ses côtés. De retour sur les hauteurs, il se retourna, et regarda Dem et N'da être introduits dans le plus haut immeuble du village. Il vit qu'ils étaient désarmés et fouillés, seul le bocal que Dem avait pris le soin d'emporter eu le droit de les accompagner. Eazy se demanda s'il ne venait pas de les voir pour la dernière fois.