VII

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Ils se précipitèrent au sommet de la colline, juste à temps pour apercevoir leur précieuse charrette disparaître dans le premier immeuble du village, engloutie par les portes battantes. Ils n'avaient pas le temps de tergiverser, aussi Eazy prit-il immédiatement les choses en main.

''Dem, tu serais capable d'ouvrir une issue de secours de l'extérieur ?

- Sans problème.

- Bon, je vais avec Mario, on passe par l'entrée. Toi et N'da, vous faites le tour, et vous vous démerdez pour trouver une issue de secours, ou quoi que ce soit pour entrer. Je sais pas ce qu'on trouvera dedans, mais si on doit se faire tirer, autant avoir deux chances. Aller, go.''

Et ils se mirent en route sans un mot. N'da et Dem parce que ce plan leur convenait parfaitement, qu'ils n'étaient pas contre un peu d'action, et qu'ils savaient qu'il valait mieux mourir tout de suite plutôt que de poursuivre leur route sans vivres et sans munitions ; Mario, pour sa part, parce qu'il était bien trop terrifié pour parler. Il voyait bien l'excitation dans les yeux de ses compagnons, cette petite lueur qui brillait chaque fois qu'ils s'apprêtaient à risquer leur vie. Ils prenaient goût au danger, mais Mario ne se sentait pas de cette trempe-là. Contrairement à eux, il avait peur de mourir, mais plus encore de leur survivre. Sans ses camarades, il le savait, il n'était rien. Il n'était pas fait pour cette vie, pour ce monde. Il avait vu des centaines de types mille fois plus aptes que lui à aller récupérer une charrette dans un immeuble rempli d'individus hostiles, et pourtant, aujourd'hui, tous ces types étaient morts, et c'était lui, le petit Mario, qui partait en mission commando. ''On peut pas lutter contre son destin'', soupira-t-il intérieurement, cherchant à puiser un peu de courage dans le visage fermé et déterminé d'Eazy.

Le village, en soit, n'avait rien d'inquiétant. Et c'était justement ça qui mettait mal à l'aise. Depuis leur enfance, toutes les villes qu'ils avaient traversées offraient leur lot de ruines, de délabrement, de désordre ambiant. Mais pas ici. La rue était... propre. Et vide. Comme si le chaos qui frappait le monde avait oublié cet endroit. Pas de corps se décomposant sur le sol, pas de vitres éclatées sur les façades, pas d'odeur de moisissure flottant dans l'air. Et les deux rangées de lampadaires accentuaient encore plus le contraste, faisaient encore davantage s'éloigner leurs repères. C'était comme si cette rue venait d'une autre époque, une époque qu'ils ne connaissaient pas, une époque qu'ils ne connaîtraient jamais. Une ère de calme, de paix, de lumière. Mais quand on ne connait que l'obscurité, la lumière peut brûler. Aussi Eazy se concentra sur le fait que les habitants des lieux lui avaient volé son bien le plus précieux, plutôt que de se laisser impressionner par l'intrigante quiétude dans laquelle ils semblaient vivre. Et c'est avec la certitude que la tranquillité de ce village allait être sous peu sérieusement bousculée qu'il poussa la porte de l'immeuble.


*


L'entrée était plongée dans l'obscurité. Mario sur ses talons, Eazy fit un pas prudent à l'intérieur, et sursauta : la lumière venait de s'allumer. L'éclairage était en réalité relié à un détecteur de mouvements, mais ils ne pouvaient pas le savoir, étant loin d'être familiarisés avec le monde de l'électricité. Après être resté de longs instants en alerte, Eazy se résolu au fait qu'il n'y avait personne, et s'avança dans l'immeuble, son arme prête à tirer. Au fond de l'entrée, il y avait deux escaliers, l'un descendait, l'autre montait. Ils choisirent le premier. Il était logique d'imaginer que leurs voleurs de charrette avaient paré au plus pressé, et ne s'étaient sans doute pas donnés le mal de gravir les étages avec un tel encombrement. Ils s'engagèrent donc précautionneusement dans la descente, retenant leur souffle, comme si le moindre bruit serait audible à des kilomètres à la ronde dans ce silence de mort. En effet, étrangement, aucun son ne venait troubler le calme de l'édifice, comme si celui-ci était vide. Ils n'allaient pas s'en plaindre, mais ils s'étaient tant préparés mentalement à de mauvaises rencontres que ce silence les mettait plus sur les nerfs qu'ils ne les calmaient. Ils atteignirent finalement le premier étage sous le niveau du sol, décidèrent de s'y engager, ne sachant de toute façon pas où ils devaient aller. Cette fois encore, l'éclairage automatique les surpris, mais ils commençaient à s'habituer. Ils firent quelques pas, et entendirent un bourdonnement sur leur gauche, à travers une porte fermée. Ils décidèrent de l'ouvrir. Ils pénétrèrent dans une pièce faiblement éclairée, mais loin d'être vide. Une trentaine de personnes, visiblement retenues ici contre leur gré, étaient juchées sur des sortes de vélos, disposés un peu partout. En y regardant de plus près, les machines aidaient à faire tourner une imposante turbine, participant sans aucun doute à la production d'électricité du village. Ils étaient tous vêtus à l'identique, d'une espèce de combinaison, extrêmement près du corps, qui leur faisait comme une seconde peau. Si Eazy et Mario s'interrogeaient sur l'utilité de ces tenues, leur curiosité ne tarda pas à être satisfaite. En effet, le cycliste le plus proche de la porte, les ayant vu entrer, en fût si stupéfait qu'il en oublia de pédaler. Aussitôt, son corps fût pris de convulsions, ses yeux se révulsèrent, ses membres devinrent incontrôlables. Sitôt la décharge passée, il oublia les intrus, et se mis à pédaler avec plus d'ardeur que n'importe lequel de ses compagnons d'infortune.

Ces étranges combinaisons n'étaient pas seulement destinées à rebuter les tire-au-flanc, elles étaient aussi munies chacune d'un petit tuyau, relié à une pompe. Celle-ci actionnait un système d'arrosage automatique sur ce qui semblait être des bacs à légumes, qui faisaient tout le tour de la pièce. Quelques seaux étaient dispersés, dévoilant les légumes en question, lesquelles étaient étrangement translucides, à la manière de la peau de leurs voleurs de charrette. Il était aisé de comprendre que cela constituait leur nourriture, il était un peu plus ardu d'admettre que celle-ci était manifestement arrosée d'urine et de sueur. D'un commun d'accord, bien que sans échanger le moindre mot, Mario et Eazy se retournèrent et quittèrent la pièce. Ils prirent à droite pour continuer à remonter le couloir, et, plongés dans leurs pensées, ne firent pas attention à la présence sur leur gauche. Ils frôlèrent la crise cardiaque quand ils entendirent crier :

''Bouh !''.


*


Une demi-seconde plus tard, Eazy faisait face à l'arrivant, prêt à faire feu.

''Ooh , doucement, mec, dit Dem, en montrant la paume de ses mains.

- Putain, tu m'as fait peur, enculé !

- T'aurais dû voir ta tête ! rigola Dem, hilare.

- Et tu penses quoi de la tienne avec une balle entre les yeux ?''

Dem rit de plus belle, et même N'da, derrière lui, avait le sourire aux lèvres, une fois n'est pas coutume.

''Bon les clowns, se radoucit Eazy, on a un peu plus important que se fendre la poire, là.

- T'inquiètes, on l'a retrouvé, ta charrette.

- Quoi ?

- Ouais, sous les escaliers, vous êtes passés à côté''.

Effectivement, en se rapprochant, ils distinguèrent leur précieuse charrette. Après l'avoir sortie de l'ombre, ils constatèrent que rien n'avait été enlevé.

''C'est trop facile..., souffla soudain Mario.

- Il a pas tort, ajouta N'da après un silence, pour une fois de l'avis de leur jeune compagnon. Comment ça se fait qu'il y a personne ?''.

Eazy croisa le regard de Dem.

''Tant mieux, trancha-t-il. On la récupère et on se casse. Plus tôt on sera loin d'ici, mieux se sera. Allez, on y va''.

Dem empoigna le brancard droit, Eazy le gauche, tandis que N'da et Mario se placèrent derrière, et ils commencèrent la remontée. Eazy profita de leur ascension pour raconter à Dem ce qu'il avait vu dans la pièce aux vélos. Monter des escaliers avec une charrette n'est pas la plus aisée des entreprises, mais ils finirent par atteindre le rez-de-chaussée. Après avoir soufflé un court instant, Dem poussa la porte. Il l'ouvrit et se figea net.

''Qu'est-ce qu'il y...'', commença Eazy en se rapprochant de lui.

Mais il ne finit pas sa phrase. Il avait vu ce qu'il y avait. Tous les habitants du village les attendaient à la sortie.

Après la finOù les histoires vivent. Découvrez maintenant