Chapitre 8

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Quelqu'un frappe à la porte. Deux coups de phalanges, pas plus, deux coups discrets mais très audibles dans le silence qui m'environne. Je suis couché sur mon lit à attendre je ne sais quelle... torsion de situation. Ça se dit torsion de situation ? Il commence à faire chaud, le printemps glisse vers l'été. Je n'ai jamais aimé la chaleur car je n'ai jamais aimé me découvrir. La découverte des autres est beaucoup plus jouissive que son propre strip-tease, non ? L'été pour les autres, l'hiver pour moi. C'est mon métier qui me conditionne, je n'y peux rien. J'ai pris l'habitude de garder mon masque même seul, par mollesse plus que par peur qu'une domestique gagne en courage et ouvre la porte sans prévenir. Il n'y a pas de jeux dans cette putain de chambre. Que des livres, encore des livres, toujours des livres. Je m'écarte laborieusement du lit et me dirige vers la porte en traînant des pieds, persuadé d'avoir affaire à mes vieux. Holy shit. Ma vue me joue des tours ! Nous sommes au début de l'après-midi, dans l'entre-deux repas. Ça ne peut pas être elle... Et pourtant elle est là, juchée sur une paire de talons, les jambes à l'air libre, une jupette à peine moins courte qu'une jupette de tennis, un chemisier blanc étalé sur sa peau brune, ses clavicules dégagées. Ses cheveux épais relevés très hauts. Ses yeux immenses lardés sur moi. Elle ne porte pas de plateau repas, sa présence, cette fois, n'est pas la présence d'une domestique. C'est peut-être la présence d'une amie. Je tremble.

-Edward, bonjour. Je suis là à la demande de votre père. Il parait que vous êtes prêt à m'affronter. Alors, allons-y.

Elle me sourit de toutes ses dents blanches. Sa tentative de faire de l'humour me laisse encore plus niais. On sait que je suis amoureux d'une autre femme, une femme pour laquelle je vendrais ma bite à un eunuque, pour laquelle je serais prêt à toutes les incohérences. Angelina Panettiere. Pourtant... l'Inde ne m'avait jamais fourni un aussi beau motif de trahison.

-Entrez, mademoiselle.

-Madame.

Madame ? Ce mot est tellement laid. La déception me rend mon humeur précédente, me permet d'affronter cette conquérante. Je m'engage à ouvrir complètement les volets, à aérer la pièce. Qu'est-ce que papa a été lui raconter ? Ce pourri me fait courir un risque énorme. Pourquoi ? C'est son idée, pas celle de maman, c'est certain ! Pour maman, je ne suis bon qu'à être enterré. J'ai prononcé les mots entrez, mademoiselle sans réfléchir, mais de toute façon, le son de ma voix ne peut pas lui être familier. Je peux lui dire ce que je veux, sur tous les tons, dans toutes les langues que je ne connais même pas.

-Comment vous appelez-vous ?

-Priyanka Tagore. Je suis Indienne, d'Amritsar.

-Oui, bien sûr, vous me l'avez dit. De l'autre côté de la porte.

-Quand vous étiez encore timide.

Elle continue de sourire, mais à la lumière franche du soleil, son malaise se voit. Ses orteils se voient aussi dans ses hautes chaussures. Je l'absorbe de mon mieux derrière mon masque. C'est mon métier qui me conditionne, je n'y peux rien.

-Je n'ai rien à vous offrir, même pas un verre d'eau.

-C'est à moi d'apporter l'eau. Ne vous en faites pas. Qu'il fait bon dehors ! Nous pourrions sortir dans le jardin.

Elle joint la parole au geste et se penche à ma fenêtre ouverte, me présentant sa mystérieuse anatomie sous un nouvel angle. Une folle envie de la faire basculer par-dessus bord me prend, envie tellement forte qu'à bout de souffle, je détourne les yeux.

DéfiguréWhere stories live. Discover now