Chapitre 13

18 1 0
                                        



On dit que la déesse Aphrodite est responsable de cette lumière que nous portons au fond des yeux et qui nous permet de saisir la beauté dans toute sa gloire. Dieux merci, ma vue est bonne. La vapeur d'eau chaude aurait embué mes lunettes. Elle se tourne vers moi, égale à elle-même. Je ne vois plus précisément ma mère, je vois au-delà de ma mère, je vois Angelina Panettiere, je vois la Femme. La haine et l'admiration sont concubins dans ma poitrine. Mon masque me brûle la peau. Elle continue de me regarder de ses yeux durs et tranquilles. Le soin particulier qu'elle met à laver ses parties intimes allait pour toujours altérer mon rapport à la propreté.

-Tu aurais dû être photographe de charme, mon petit. Je l'ai toujours su.

Ce commentaire n'appelle pas de réplique. J'aurais pu dire que la politique non plus ne manque pas de charme mais je m'abstiens.

-Donne-moi une serviette.

Je m'exécute, prenant des éclaboussures au passage. Elle se sèche puis se drape dans sa serviette et quitte l'arène, moi sur ses talons. Le trajet du retour est un peu plus verbeux que le précédent. La voiture paraît se guider toute seule. Je demande à ma mère combien de temps encore vais-je devoir attendre avant d'enfiler mon nouveau visage. Comme à son habitude, elle me sert une réponse vague à laquelle aucun espoir ne peut fermement s'accrocher.

-Est-ce qu'il te manque ? Liam Wink, est-ce qu'il te manque ?

-...

-Réponds. Je ne vais pas te manger.

-Oui. Un peu.

-Tous ces garçons au club ne t'ont jamais compris. Mais lui... lui partageait ta soif de connaissance.

-Non, mère. Nous étions très différents, lui et moi.

-Je sais. J'appelle cela de la complémentarité.

-Comme papa et toi ?

-Non, ton père et moi, nous sommes les mêmes... dans le fond.

Elle essaie de donner le change, de sourire, de croire en sa propre comédie. Le toit décalotté de la voiture, ses cheveux courts chahutés par le vent, le soleil, rien n'y fait. Son âme brûlée par les évènements, par mon accident, obscurcit tout ce qui sort de sa bouche.

-Mère, Liam était un salaud d'arriviste. Un bon reporter, froid devant le danger, efficace. L'Amérique pouvait compter sur lui pour illustrer sa laideur. Mais sur le plan domestique, sur le plan de la politique intérieure... c'était un salaud. Un homme laid. Son petit frisson personnel sur le cul de la morale. Il était comme ça, Liam.

-Oui. Et tu l'aimais comme ça.

-Oui.

Le chauffard se matérialise comme par magie. Un bolide gris indistinct vomi par la vitesse. Il arrive en sens inverse. Ma mère et moi accouplons nos réflexes in extremis ; mon bras sur son bras, sa main sur le volant. On croirait des chevaliers pendant une joute. Il n'y a aucun mal, l'assaut ne fait aucun blessé, pas même un égratigné. Et ce con de chauffard trouve le culot de klaxonner ! Ma mère écarquille les yeux, vérifiant sans doute que sa vue est bien portée sur ce monde-ci et non pas sur l'autre. Elle est belle, ma mère.

-Tu vois, mon petit, entre toi et Liam, il y a eu des accidents de parcours. Ça arrive. Mais il faut tenir bon. Il faut tenir bon, tu comprends ?

Les veines de ses mains crispées sur le volant ondoient au soleil. A l'instant où ses paroles sont prononcées, je sais en mon for intérieur que Liam Wink est mort. Je ne sais pas comment, je ne sais pas pourquoi mais je sais que ce bâtard, ce traître est mort. Flingué quelque part dans une cambrousse d'Amérique latine ou dans un désert arabe ; une mort au diapason de son talent de photographe. Il a toujours été trop curieux du vaste monde. Mais moi, je suis vivant, à un visage près. Je suis vivant, bordel !

DéfiguréWhere stories live. Discover now