Scène 27 : Portal

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   - C'est faux.

   Ce ne fût qu'une fois ces trois mots sortis de ma bouche que je me rendis compte à quel point je mettais peu de conviction dans mes propos. Je voulais que ce soit faux. Mais c'était tout. Une simple envie, qui échappait totalement à la réalité, ou du moins la réalité qu'on me dépeignait.

   - Hélas, appuya la Reine en secouant la tête, cela n'est que pure vérité. Lors d'un des nombreux combats entre lé démons et les magiciens, tes parents ont tués en se battant courageusement, mais n'ont pas réussi à s'en sortir vivant. (Elle me regarda intensément) C'est d'ailleurs pour cette raison...

   Elle pinça les lèvres, puis soupira en fermant les yeux, puis balaya l'air de sa main, pointant Kith. Cette dernière s'avança vers moi, serrant mon épaule dans sa main. Une expression de honte et de détermination déformait ses beaux traits.

   - C'est en sachant qu'ils avaient une chance de perdre la vie que nos parents ont décidé de nous sauver. Ils ont voulu nous effacer la mémoire pour que nous ne puissions jamais revenir nous exposer ici. Ils ont eu le temps de te faire oublier, et de t'envoyer sur une autre planète, dont eux seuls avaient connaissance, mais je n'ai pas reçu le même traitement. Je suis donc restée ici, à préparer la rébellion en te cherchant pendant toutes ces années.

   Je restai immobile, respirant à peine, mon petit cerveau en ébullition. Prenant une inspiration saccadée, je demandai :

   - Pourquoi n'y a-t-il personne dans le château?

   Tous les quatre m'observèrent avec étonnement à mon changement évident de sujet, mais j'étais comme un ordinateur : trop d'informations d'un coup, et je plantai. Je réfléchirai à tout ça plus tard, lorsque je serais seul, et que je pourrais me laisser aller à faire une crise de panique, et éventuellement de larmes, selon l'humeur. Mais je ne voulais pas me décomposer maintenant. Pas ici.

   Les lèvres de Moïbia s'étirèrent doucement en un sourire malin.

   - Oh, mais il y a du monde, me répondit-elle, me prenant au dépourvu. Mais pour les voir, tu ne dois pas utiliser tes yeux.

   Kith et les autres rirent doucement, et Shanga cria par-dessus son épaule :

   - Et Raüger, ça va?

   - Super, merci! répondit une voix masculine, quelque part.

   Je clignai des yeux, abasourdi. OK, alors ça, pour me distraire de mes autres problèmes existentiels, c'était de la distraction.

   - Que...?

   - Tout le personnel de mon château est invisible grâce à un sort, m'expliqua Azroth en haussant légèrement une épaule. Ça s'applique à nous aussi ; n'importe quelle personne qui entrerait ici ne nous verrait pas.

   Je clignai une nouvelle fois des yeux comme un débile, parce que c'était visiblement la seule chose que je pouvais faire, et gardai le silence. Finalement, avec un soupir, je secouai la tête.

   - Vous êtes dingues. Tous. Mais je suppose que je le suis aussi, hein? Vu que je vous crois. Je n'ai rien d'autre à faire, de toute manière.

   - Adri, gémit doucement Kith, me prenant dans ses bras.

   - Je sais, je sais, la rassurai-je en tapotant son dos. C'est juste moi qui dramatise mais... ça fait beaucoup d'un coup. (Soudain, quelque chose me vint à l'esprit) Le Dhystopa que j'ai croisé, sur Terre...

   Je vis Azroth et Shanga hocher la tête de loin.

   - Nous l'avons envoyé, m'expliqua cette dernière. Pas directement ; nous avons envoyés un message psychique à tous démons qui pouvaient nous entendre et répondre à notre demande. L'autre aussi, même s'ils ne nous obéissaient pas vraiment. Nous avons vraiment tout fait pour te trouver, tu sais. Minna et Eloyr t'ont bien caché ; penser à te cacher sur une autre planète, et ce dans une autre galaxie, bien plus éloignée que la nôtre...

   Mon cœur rata un battement. J'avais donc passé mon enfance dans une famille d'accueil qui m'avait à peine considérer, devant me débrouiller seul parce que je n'avais pas le choix, parce que mes parents m'avaient arraché à ma sœur et laissé sur une autre planète, loin de mes origines? Je comprenais. Vraiment. Ils avaient fait ça pour me sauver. Mais me dire que j'avais été séparé d'être qui m'étaient chers - ou qui devraient l'être, vu que je n'avais pas souvenir d'eux - faisait mal. Très mal. Ma sécurité contre l'amour de mes proches. Et si ma sœur avait également perdu la mémoire, et qu'elle s'était retrouvée sur une autre planète... Mon cœur se fendit à cette pensée, alors même que je l'avais rencontré quelques heures plus tôt. C'était insensé, mais j'avais l'impression que mon corps réagissait inconsciemment à ce que mon cerveau avait été forcé d'oublier.

   Voyant sans doute mon air perturbé, Kith murmura doucement :

   - Ils n'avaient pas le choix, Adri. Crois-moi, s'ils l'avaient, ils s'y seraient pris autrement. (Des larmes perlèrent au coin de ses yeux) Nous aurions dû être réunis. Mais nous le sommes maintenant, n'est-ce-pas?

   Je tentai de lui rendre son sourire, mais échouai pitoyablement.

   - Est-ce que je peux avoir un peu de temps pour moi? J'ai... besoin de prendre l'air.

   Et tant pis si je devais recroiser les gargouilles. Un frisson me parcourut à leur pensée.

   - Va où bon te semble dans mon palais, cher Adriel, déclara Moïbia de sa voix de velours. Nous devons discuter de la suite des opérations.

   Je n'avais aucune idée de ce dont elle parlait, et je préférais ne pas savoir. Je partis sans demander mon reste, et, après m'être perdu pendant au moins trente minutes - toujours trop d'escaliers et de portes, décidément - je tombai sur un immense jardin, qui devait se trouver à l'arrière du palais. J'écarquillai les yeux devant sa beauté. Merde, si j'avais eu un tel jardin dans ma vie d'"humain", j'y serais resté jusqu'à la fin de mes jours. Peu importe les attaques de démon ou que sais-je.

   Un doute m'envahit soudainement. Le jardin était désert, mais y avait-il en vérité quelqu'un, comme ce fameux Raüger? Je plissai les yeux et décidai de m'avancer, préférant me croire seul. J'observai avec émerveillement les plantes et les arbres environnants, dont les fleurs étaient sublimes. Un air pur flottait ici, détendant mes muscles. Je fermai les yeux, pris une profonde inspiration, puis expirai, essayant, l'espace d'une seconde, de vider mon esprit de tout, vraiment tout, jusqu'à ce que je me sente en paix.

   Un vrombissement interrompit ma tentative de devenir zen, et je rouvris les yeux, les exorbitant lorsque j'aperçus devant moi un portail magique, d'une belle couleur bleu, qui flottait au dessus du sol et tourbillonnait. L'ombre d'une silhouette se rapprocha, jusqu'à ce que quelqu'un en sorte. Je lâchai un halètement, reculai instinctivement d'un pas lorsqu'un homme surgit devant moi, et mon cœur ne put s'empêcher de battre frénétiquement à la vue de l'homme qui avait tué mes parents. L'homme que j'aimais, aussi.

   - Ward...

   Son sourire me fit fondre, et il s'approcha à nouveau de moi, si grand, si beau, si dangereux et distant, tout en étant affectueux, quand il le voulait.

   - Tu vas bien, susurra-t-il, sa voix trahissant son soulagement. Rentrons maintenant, avant que ces démons ne reviennent.

   Il me tendit la main, paume ouverte vers le ciel.

La Porte des Cendres (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant