Scène 11 : Alone

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   - Tu comptes rester là encore longtemps? demanda Ward de loin.

   Je lui répondis avec des grognements inintelligibles ; autant vous dire que si j'avais encore ma voix, je lui aurais hurlé tous les noms d'oiseaux que je connaissais. Je m'explique. Cet enfoiré m'avait fait bordel de voler à travers la ville, en sautant de toit en toit. Pour toutes les personnes qui rêvent d'avoir des ailes, de voler, et blablabla : la gravité, c'est bien. Et la terre ferme, c'est encore mieux. Pour être honnête, pendant cette virée que je n'aurais souhaité pour rien au monde, j'avais tellement crié que j'avais vraiment cru que je ne pourrais plus jamais parler. Dommage pour ce cher Ward, c'était encore le cas, et j'allais le lui montrer, oh oui.

   Nous étions en ce moment dans un appartement sobre, simple. Ward, assis sur le canapé, envoyait des messages à ses "renforts" sans doute. Moi? J'étais allongé par terre, sous la table du petit salon. Mon rythme cardiaque ne voulait toujours pas se calmer, et j'avais l'impression que, si je me levais, j'allais m'évanouir. J'étais bien, sur le sol.

   Du coin de l'œil, je vis Ward se lever, retirer sa veste, et la jeter sur le canapé avant de se diriger vers le coin cuisine. Il prit une bière dont il but une longue gorgée.

   - Quoi? Le grand Adriel a le vertige, au point où il en perd ses mots? Quoique, au moins tu ne me casseras plus les oreilles, j'en ai eu assez pour la journée.

      Je ne dis rien. Qu'avais-je à répondre? C'était vrai que les hauteurs n'étaient pas mon fort. Mais ce n'était pas la raison de mon silence, loin de là. Et, dans un sens, ça m'énervait qu'il ne le comprenne pas. J'enfouis mon visage brûlant entre mes mains, alors que notre baiser me revenait en mémoire. J'avais pu l'oublier pendant un instant, trop occupé que j'étais à m'époumoner comme un débile.

   La chaleur de ses mains sur mon corps, le goût de ses lèvres, la douceur de ses cheveux entre mes doigts : je me souvenais de tout, en détail. Aussi honteux que ce soit, je devais admettre que ç'avait été délicieux, et réitérer l'expérience ne serait pas un problème. Mais il y avait un contexte : celui de faire fuir Lily. On n'allait pas recommencer. Je me retins de lâcher un gémissement. Pourquoi devais-je me triturer la tête? Je devais agir comme Ward : lui n'en avait rien à foutre de moi. Oui, j'allais simplement oublier ce qu'il s'était passé, même si c'était à contrecœur.

   Je pris une grande inspiration, et mon cœur se calma, doucement. Puis j'entendis la sonnette de la porte d'entrée. Surpris, je me redressai, me cognant à la table.

   - Doucement! grogna Ward.

   - "Doucement", l'imitai-je en murmurant.

   Massant mon crâne douloureux, je sortis à quatre pattes de ma cachette, et vis plusieurs silhouettes pénétrer dans le salon. Je me crispai.

   - C'est lui? questionna l'une des silhouettes.

   C'était une femme, aussi grande que Ward, avec des cheveux bleu nuit, qui descendait jusqu'à ses reins, des yeux d'un vert sublime et un air assez hostile. Me sentant ridicule devant le regard de trois inconnus - oui, Ward était un inconnu pour moi - je me relevai un peu trop précipitamment, et fus pris d'un vertige. Je chancelai, mais sentis aussitôt des mains sur moi, qui me soutenaient.

   - Qu'est-ce que tu lui as fait, Ward? Il est terriblement pâle, lâcha une voix d'homme.

   Il était plus grand que moi, mais plus petit que les deux autres. Il avait des cheveux blonds, un peu longs, un air affable et des yeux d'un bleu limpide. Son sourire me rassura un peu, bien qu'il ne calma pas ma méfiance naturelle.

   - Tu vas bien? me demanda-t-il de sa voix douce.

   - On a du boulot Barthe, gronda Ward.

   Le dénommé Barthe leva les yeux au ciel puis les reposa sur moi, attendant une réponse. Je déglutis et m'éloignai avec un faible "ça va". Il sembla inquiet mais n'ajouta rien et alla s'asseoir près de la femme, alors que Ward passait une main sur son visage.

   - Adriel, nous devons parler.

   - Parlez alors. 

   - Je veux dire, en privé. Tu sais où se trouve la chambre d'amis, n'est-ce-pas? Je te l'ai montré tout à l'heure.

   Je restai immobile plusieurs secondes, à le regarder. Je sentais le regard des deux autres sur moi. Il me traitait vraiment comme un enfant. Me retournant, je me dirigeais vers "ma" chambre provisoire, dans le fond du couloir, et claquai la porte derrière moi. C'était puéril, mais j'en avais rien à faire. Je me dirigeai immédiatement vers le lit, sur lequel je me laissai tomber, et plongeai ma tête dans l'oreiller.

   Je me sentais dépassé. Par tout. Comme si... je n'avais plus aucun contrôle ; ma vie avançait, et je la suivais simplement, sans intervenir. Je me tournai sur le côté et soupirai longuement, les yeux fermés. J'étais seul, dans un silence rompu seulement par ma respiration, sans risque qu'un démon tente de me tuer ou... peu importe ce qu'il avait voulu faire. C'était, depuis ce matin, le premier moment que j'avais pour moi et moi seul. Le fait de pouvoir me reposer me fit légèrement sourire.

   Plusieurs heures plus tard, la nuit tomba. J'entendis, comme de loin, des bruits de pas, suivis de mots échangés, puis la porte d'entrée se fermant. De nouveau pas, plus proches. Une poignée de porte qu'on tournait. Juste après, je m'endormis.




Cette semaine va être ultra chargée, le prochain chapitre sera donc au plus tard pour la semaine prochaine!

  

La Porte des Cendres (BL)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant