Ch. 1: L'école de Padhiver

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Première année: L'espion d'Iriaebor


La herse géante se referma derrière moi. Et c'est sur ce bruit sourd que recommencèrent mes mésaventures à Padhiver.

Je me trouvais dans le domaine cerclé de remparts de l'académie, sur une route qui serpentait entre les collines rougeoyantes sous la lumière rasante du soleil naissant, et qui menait aux bâtiments de l'école, dont je voyais au loin le sommet de la plus haute tour dépasser de l'horizon vallonné. Non loin de moi, un chariot arrêté sur la route m'attendait, prêt à partir. Une petite poignée d'enfants y avaient pris place, et patientaient, leurs bagages à leurs pieds, certains tenant en main une pomme qu'ils gardaient pour plus tard dans la journée. De futurs élèves, comme moi. Je m'avançai vers eux, timidement.

« Hé-là, petite ! »

Je sursautai, et me retournai. Un petit être, qui je pourrai le jurer n'était pas présent quelques secondes plus tôt, apparut face à moi. Il se rapprocha pour me dévisager d'encore plus près, de ses gros yeux bleu-gris, et je pouvais sentir son haleine teintée d'alcool de génépi. Il ne mesurait guère plus que moi, et avait une peau couleur brune, comme du bois de châtaigner, un très vieux bois très noueux dirait-on car sa peau était très usée et ridée. C'était un gnome, un vrai, comme ceux que j'avais souvent vu en gravure dans mes livres illustrés, mais il avait un regard plus sévère que ceux qu'on représente habituellement dans les illustrations. Je voulus lui demander s'il était bien un vrai gnome, s'il vivait dans la forêt, s'il allait vraiment vivre jusqu'à quatre cent ans, et s'il voulait bien me faire un tour de magie, mais il m'intimidait trop pour que j'ose dire un mot. De sa voix stridente il se présenta comme l'intendant de l'école, chargé entre autres fonctions de l'accueil des nouveaux élèves. Il me demanda mes papiers officiels. Je les lui donnai. Dans mes documents figurait naturellement un portrait de Mademoiselle, dessiné par quelque artiste officiel de notre duché. Les pupilles du gnome allaient et venaient de ce portrait à mon visage pour qu'il compare les traits, suspicieusement. Je m'efforçais de rester impassible malgré ma nervosité. Mais il faut croire que pour lui, les humains se ressemblent tous, autant que pour un humain tous les gnomes doivent sembler être les mêmes, car il me fit signe de monter dans le chariot sans m'inquiéter d'avantage. Cependant, il ne me rendit pas mes documents. Ceux-ci dit-il devaient rester avec ceux des autres élèves, dans un coffre jusqu'à ma sortie de l'école.

Privée de mes papiers, j'eus alors la sensation de n'être plus personne désormais. Sans la preuve de mon affiliation à la maison de Prudetour, je n'étais plus qu'une fillette perdue en pleine nature. Et la herse close qui se dressait devant moi ajoutait à mon sentiment de m'être fait prendre dans un piège. Cela m'évoquait beaucoup trop la porte infranchissable de l'orphelinat, qui avait été pendant des années à la fois le symbole de mon incarcération et de mon espoir de sortie. Une boule au ventre, je tournai les talons, et avançai comme une condamnée vers ce chariot. Je grimpai et m'assis entre deux garçons qui m'ignorèrent, trop occupés qu'ils étaient à garder leur tête baissée pour cacher leur visage, par peur de montrer une larme, un sanglot, ou une grimace angoissée.

Je jetai un coup d'œil furtif à mes futurs camarades autour de moi. Il y avait là deux filles et une trentaine de garçons. A en juger par leurs tenues, tous et toutes venaient de familles riches, parfois nobles. Seule une poignée d'élèves faisait exception, car ils étaient tous vêtus comme des paysans ou des bourgeois modestes, et instinctivement la majorité leur jetaient des regards méfiants. Quelques représentants d'autres peuples étaient mêlés à la foule : des nains, des orques, deux semi-elfes, et une halfeline. C'était bien la première fois que j'en voyais de mes propres yeux, car ils ne venaient guère habituellement dans nos contrées. Je n'étais pas la seule à dévisager ces curieux êtres, beaucoup posaient sur eux des regards insistants, bien au-delà des limites de la politesse.

La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant