Ch. 6: Projets d'avenir

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Peu avant le début de notre période de révisions, nous avaient été présentées les trois voies d'expertise de l'école. Des représentants de chaque filière, professeurs et élèves étaient venu nous présenter le contenu de chacune, et nous conseiller dans nos choix.

Il y avait la voie guerrière, qui approfondissait le travail des armes et les techniques de lutte, la voie de la magie, et la voie de l'Espionnage et Infiltration, que l'on nommait parfois les Guerriers de l'Ombre à défaut d'une meilleure appellation, et qui désignait les éclaireurs, pisteurs, cambrioleurs, espions, ou autres marginaux qui lors d'opérations militaires ont leur utilité ailleurs que sur un champ de bataille.

Ce n'était bien sûr qu'une première spécialisation, et chaque voie présenterait plus tard des sous-embranchements, offrant la possibilité d'approfondir certains aspects de cette filière. La voie guerrière par exemple offrait comme sous-spécialisations le combat monté, ou l'archerie d'élite par exemple. On pouvait aussi choisir d'entremêler certaines filières, car combiner deux de ces trois voies pouvait parfois donner des résultats intéressants, parfois originaux. Par exemple certains de la voie de la magie pourraient décider en troisième année de suivre des cours plus approfondis de combat, afin de s'orienter vers une carrière de Mage de Bataille. En choisissant certains de ces cours à la carte, on pouvait espérer se forger un profil qui plairait ensuite d'avantage aux recruteurs dans la vie professionnelle.

Non pas que cela m'intéressait, je ne visais qu'à sortir de cette école, et voir où mon curieux chemin de femme de chambre guerrière me mènerait.

De ces trois majeures, j'avais choisis la troisième, celle qui enseignait à pister une proie ou à se fondre dans une foule, pour le principe de favoriser la ruse à la puissance, et parce que je savais bien que je manquais tant de la force brutale pour devenir guerrier que d'affinité avec la magie pour devenir une ensorceleuse. Les élèves les moins fréquentables, des roublards aux gueules d'assassins, avaient également fait le même choix que moi, et l'idée de les côtoyer de près pendant deux années ne me plaisait pas, mais je maintins mon choix. De toute façon, comme j'allais bientôt l'apprendre, cela n'aurait aucune importance pour moi.

Pendant ces longs mois, je n'avais pas eu de nouvelle de Mademoiselle, ou de sa famille. Ceci pour la simple raison que l'école interdisant tout contact avec l'extérieur. Le Directeur avait l'habitude de justifier cette interdiction en répétant : « Rien ne peut entraver les lois de cette école, qui régissent son bon fonctionnement et sa pédagogie de choc ». Cette interdiction était dure à vivre pour beaucoup d'élèves, mais providentielle pour moi car, grâce à cela, je n'avais pas à craindre que les parents de Mademoiselle, pensant rendre visite à leur fille, réalisent que c'était sa femme de chambre qui suivait les cours à sa place. C'est ce qui avait jusque là permis à ma supercherie de marcher. Pourtant un jour, le Directeur me convoqua dans son bureau pour, dit-il, des affaires personnelles que l'on ne pouvait plus ignorer.

« Rien ne peut entraver les lois de cette école, qui régissent son bon fonctionnement et sa pédagogie de choc, sauf une incapacité à payer les frais de cette école. »

Jouant imperturbablement le rôle de Mademoiselle, je fis mine de m'inquiéter de la santé financière du Duc, et demandai d'où pouvait venir cette incapacité à payer.

Hélas, l'explication était simple : les parents de Mademoiselle, ainsi que son frère héritier, étaient décédés depuis sept mois. La sœur aînée de Mademoiselle étant entrée dans les ordres précisément pour renoncer à son héritage, toute la fortune du Duché revenait à Mademoiselle.

« Jusqu'ici, continua le Directeur, nous ne vous avions pas informé de votre situation familiale car rien de l'extérieur ne doit pénétrer l'enceinte de l'école, pas même les nouvelles du monde, mais le vrai problème est survenu cette semaine, lorsque nous avons présenté au banquier de feu votre père l'autorisation écrite de prélèvement pour les frais additionnels relatifs aux spécialisations de deuxième année. Votre banquier nous a assuré que votre compte était clôt. Une investigation auprès du notaire du Duc nous a appris que le jour même de votre entrée ici, avant de passer ces portes, vous avez signé devant témoins officiels une lettre donnant droit au sieur Ygérie Granfaiseur de gérer votre patrimoine comme bon lui semblait. Il apparaît que tous vos fonds ont été transférés vers un compte appartenant à ce Granfaiseur. ».

Le Directeur m'accorda un moment pour encaisser la nouvelle, puis rajouta, d'un ton compatissant :

« Vous comprenez comme moi ce que cette histoire signifie : vous n'aurez pas accès aux cours avancés, étant donné qu'ils nécessitent des frais additionnels. Vous suivrez exclusivement les cours des troncs communs. Je compte que vous saurez travailler dur par vous-même pour pouvoir sortir de cette école avec un niveau suffisant malgré cet état de faits.

Ainsi je me trouvai une seconde fois orpheline, orpheline cette fois de la famille à laquelle je feignais d'appartenir. La tristesse que j'affichai ce jour-là au Directeur de l'école n'était pas entièrement feinte : la famille de Mademoiselle avait constitué pendant cinq ans maintenant mon unique maison hors de l'école, et même si j'ignorais ce qui allait m'attendre après mes études, j'avais bien espéré jusqu'à ce jour retrouver Mademoiselle qui m'attendrait à la sortie de l'école, et rester à son service, comme femme de chambre et comme amie. La perspective de ces retrouvailles avait été la raison qui m'aidait à supporter l'idée de sacrifier trois années dans cette école. Mais à présent, plus rien n'avait de sens, j'étais condamnée à demeurer prisonnière dans cette école sans avoir la moindre attente, le moindre objectif qui donnerait une motivation pour supporter ce temps perdu.

La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant