Les Ennemis d'Iriaebor arrêtèrent là leurs traques nocturnes dans le cloitre, et ce fut un soulagement pour tout le monde : nous pouvions enfin dormir au chaud toutes les nuits. Je leur avais rapporté ma rencontre avec Burt Throgall, et j'avais essayé de récapituler les informations confuses que j'avais eu cette nuit-là. Si quelque chose était clair dans ses propos c'est que nous devions chercher le commanditaire des assassinats, et non pas l'assassin lui-même sauf dans l'intention de pouvoir de l'un remonter à l'autre. De plus, l'assassin n'était jamais le même, et ceci rendait l'enquête beaucoup plus embrouillée car le même assassin ne frappant pas deux fois, il nous était vain sur la base d'un meurtre d'essayer d'en anticiper un suivant, car il n'y avait aucune procédure récurrente, aucun fil conducteur entre chaque meurtre. C'était comme si l'école était remplie d'agents dormants, qui pouvaient à tout moment se voir confier la tâcher de tuer quelqu'un, puis redevenir un étudiant normal jusqu'à la fin de leurs études.
La peur de créer un mouvement de panique m'avait fait longtemps hésité à en informer mes camarades de l'E.I. Car à la lumière de ces informations, l'ennemi paraissait être insaisissable, n'être qu'un concept plus qu'une personne. Rien que dans l'E.I., combien pouvaient être sincèrement investis dans l'enquête, jusqu'à ce qu'un jour « on » vienne le charger de tuer l'un d'entre nous ? Sachant cela, je veillais à rester le moins possible seule avec qui que ce soit parmi les élèves, fut-il quelqu'un de confiance. Et lorsque je ne pouvais éviter ces situations, alors je me tenais toujours sur mes gardes, prête à dégainer ma lame. Je ne me déplaçais d'ailleurs plus jamais sans ma dague, et, dans la mesure du possible, sans ma rapière.
Je proposai aux membres de l'E.I. de fonctionner différemment : il nous fallait réfléchir aux critères probables qui pourraient amener le commanditaire à sélectionner ses assassins. Pour cela nous essayions de raisonner comme l'Espion d'Iriaebor le ferait, en tentant de désigner les assassins idéaux que l'on aurait choisi à sa place parmi les élèves de l'école. Les candidats qui faisaient l'unanimité étaient surveillés de près par les membres de l'E.I. Nous attendions des indices qui révéleraient leurs intentions d'agir, et surtout nous espérions voir comment le commanditaire prendrait contact avec eux. Mais nous passâmes plusieurs mois à enquêter selon cette routine méthodique, sans résultats. L'enquête n'avançait pas, et les morts continuaient de tomber, répartis presque équitablement dans les trois promotions (un peu moins dans la première), au même rythme à peu près régulier d'un mort par mois, parfois deux.
Pendant quelques semaines, nous essayâmes de raisonner en partant des victimes, pour remonter au mobile. Les morts que nous avions recensé depuis près de deux ans et demi semblaient n'avoir aucun lien. Ils étaient de race ou de sexe différents, venaient de contrés différentes, et étaient issus autant des milieux nobles que des simples bourgeois. Ce ne pouvait être une simple histoire de vengeance, ou d'héritage. En tout cas, un mobile unique ne pouvait justifier tous ces meurtres.
Cependant on ne pouvait manquer de remarquer une curiosité : en effet, l'école contenait une poignée d'élèves boursiers, qui étaient les seuls à être issus de milieux pauvres, et ces élèves semblaient être épargnés. Certains de l'E.I. commençaient à murmurer que tout ceci serait un complot des élèves boursiers, jaloux de la richesse ou des privilèges de leurs camarades d'école. Peut-être même avaient-ils été placés dans cette école par des anarchistes populistes en vue d'affaiblir la bourgeoisie et la noblesse, disait-on. Ces théories ne tenaient pas tout-à-fait, car l'une de victimes faisait partie des boursiers, il s'agissait de Douraf, mort l'an dernier, mais cela ne suffisait pas à convaincre les élèves les plus attachés à cette théorie qui leur plaisait.
Voyant que ces raisonnements nous conduisaient à nous diviser de plus en plus, au lieu au contraire de nous unir, je regrettais presque d'avoir livré autant d'éléments de réflexions aux membres de l'association. Aussi je décidai de conserver pour moi seule une information, un indice capital que je n'étais pas prête à jeter en pâture à mes camarades : selon Burt Throgall, les assassins étaient tous des élèves inscrits dans les cours religieux de Nérull. Je préférais cacher cette information, car il y avait quelques uns de ces élèves parmi nous dans l'E.I. Je ne voulais certainement pas désigner publiquement comme coupable un groupe de personnes sans avoir des sources fiables, et sans savoir plus précisément qui dans ce groupe était réellement impliqué. D'ailleurs, parmi les victimes que nous avions énumérées dans nos journaux d'enquêtes, on comptait aussi quelques adorateurs de Nérull.
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La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambre
FantasyL'histoire suit une petite fille vivant dans un monde de médiéval-fantasy, envoyée malgré elle dans une école militaire. Elle aura trois ans pour y résoudre le mystère qui tourne autour de l'Espion d'Iriaebor, et mettre fin à ses agissements macabre...