Ch. 1: Les Ennemis d'Iriaebor

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Troisième année: Les catacombes d'Héronéus



La troisième année débuta, et je vis que je n'apprenais plus rien. Je suivais des cours de pistage rudimentaire dans le parc en compagnie d'élèves étudiant la magie qui savaient lancer des sorts impressionnants de jets de flammes, j'apprenais désespérément à lancer des petits enchantements de soin ou de tâches de graisses auprès d'apprentis guerriers qui savaient tirer une flèche dans une cible à deux cent mètres en galopant sur un étalon, et j'apprenais à manier des petits boucliers légers auprès de rôdeurs capables de retrouver à la trace un sanglier dans six hectares de forêt. En un mot, je n'étais experte en rien.

En rien, sauf en escrime. Mes deux années d'entraînement rigoureux avec le Maître d'Armes m'avaient été précieuses, et avaient fait de moi l'une des plus fines lames de l'école. Malheureusement, le Maître d'Armes ne m'avait plus ouvert sa porte depuis ce fameux soir où il avait refusé de continuer mon entraînement, aussi cela faisait plusieurs mois que je ne progressais plus, le peu de pratique que j'avais avec les autres élèves me servait juste à maintenir mon niveau déjà acquis. Dans les premières semaines précédant l'équinoxe d'automne, avant la période de l'année où le Maître d'Armes commence à donner ses cours aux premières années, j'avais espéré pouvoir le retrouver selon ses habitudes en train de lire dans la grande salle pour y profiter de la lumière et du silence de la saison. A défaut de reprendre nos entraînements ensemble, puisqu'il aurait refusé, nous aurions pu au moins échanger de nos nouvelles, ou même simplement nous dire bonjour. Cela aurait signifié beaucoup pour moi. Mais il ne s'était jamais montré de toute cette période.

Sans ses cours particuliers, je n'arrivais plus à remplir suffisamment mon emploi du temps. Je ne suivais que le tronc commun, qui m'occupaient moins de deux jours par semaine. Les cours de culture religieuse étaient moins fréquents, puisque chaque élève ne devait garder qu'une seule des deux religions qui lui avait été imposée les années précédentes (sans surprise, j'avais décidé d'arrêter de prier Fharlanghn avec le père Deremundis). De plus, après le départ de Colin Elrohil et de ses camarades de classe, j'avais perdu tous mes amis qui auparavant m'aidaient à occuper mes temps libres. De ces amis, il ne restait à l'école que ceux qui avaient choisi de prolonger leurs études dans les voies d'approfondissement, mais nous n'avions pas de contacts avec les élèves de ce cursus, ils vivaient séparés de nous, retranchés comme des moines dans un autre bâtiment, avec leur propre salle à manger, leurs propres salles de cours, et leur propre bibliothèque racontait-on. Je me trouvai donc avec beaucoup trop de temps libre à passer seule.

Et ce temps libre ne me réussissait pas : je passais mes journées à angoisser sur ma place dans ce monde, sur mon avenir, et sur ma vie. Les nuits, je rêvais constamment de la même chose : je voyais la tombe de Mademoiselle, ma maîtresse. Une tombe très rudimentaire, un simple morceau de bois planté à même la terre, qui semblait indiquer qu'elle n'avait pas été enterrée avec tout le cérémonial dû à son rang. J'essayais alors de me souvenir de son visage, de sa voix, ou de son rire, mais le souvenir d'elle était trop ancien, et progressivement elle s'effaçait pour ne devenir plus qu'un nom pour moi. Je me réveillai alors généralement à ce moment-là, et passai le reste de la nuit à essayer d'oublier cette vision.

Et un matin, je résolus que pour chasser toutes ces angoisses, je devais trouver des activités dans lesquelles m'investir. Alors, depuis ce jour, je consacrai tout mon temps libre à la vie associative de l'école. J'organisai plusieurs soirées pour les élèves de ma promotion, et je pris la direction de trois associations, ainsi que la trésorerie des élèves, c'est-à-dire la gestion des diverses richesses que l'on taxait aux nouveaux et que l'on redistribuait aux anciens pour réinjecter des monnaies d'échanges dans notre système économique rudimentaire grâce auquel on finançait certains événements sociaux. Je décidai aussi de développer des réseaux d'entraide scolaire entre élèves de la promotion, via plusieurs associations de soutien scolaire. Mais cela me laissait encore du temps libre, seule pendant que les autres élèves étaient en cours, alors je proposai mon aide pour certains travaux dans le cloitre de l'école.

La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant