L'été arriva, le tournoi eût finalement lieu, et personne n'y périt. C'était simplement une formalité organisée comme un spectacle cérémonieux, où nous montrions devant nos camarades nos acquis de l'année, avant de les mettre en pratique contre des adversaires tirés au sort. Ce n'était ni des combats à mort, ni des épreuves éliminatoires pour valider notre année. Tout le monde était d'office accepté sans rattrapage en seconde année. L'école ne faisait jamais redoubler personne, la direction estimant qu'on avait payé assez cher notre diplôme, et qu'il nous était dû.
La fin du tournoi marqua la fin de l'année. Nous passâmes notre dernière nuit dans nos dortoirs habituels, avant d'être déménagés au premier étage du bâtiment, dans une aile du monastère moins austère. La salle commune des secondes années que nous découvrîmes était plus habillée : elle contenait trois cheminées autour de chacune desquelles étaient disposés des bancs, fauteuils et tabourets. Tout comme l'année dernière la pièce donnait accès à cinq dortoirs, qui cette année étaient plus confortables, moins humides, et étaient baignés de lumière car ils étaient percés de grandes fenêtres. Les murs n'étaient plus en pierre poisseuse et sombre mais étaient couvert de grandes tapisseries aux couleurs vives et chaudes. Nos lits avaient été transportés depuis nos anciens dortoirs jusqu'aux nouveaux, et nous les avions retrouvés agencés de la même façon, avec tout notre mobilier de rangement contenant nos effets personnels tels que nous les y avions laissés. Certains disaient que le personnel de l'école avait pour ce faire usé de leur magie, et que ce devait être plus facile pour eux de procéder en télétransportant d'un coup tout le contenu des dortoirs, meubles compris, plutôt que de laisser à chaque dortoir ses meubles et de les réarranger pour les adapter aux nouveaux effectifs qui allaient l'occuper.
Nous eûmes nos premières vacances depuis notre arrivée dans cette école. Mais pas question de franchir l'enceinte de l'école, nous ne la franchirions pas sans notre diplôme en main. Nous passâmes dans l'école trois mois plus détendus, à relâcher la pression en profitant du soleil, et en participant à diverses activités estivales. Nous étions toujours incités par nos professeurs à continuer à travailler nos techniques de combat de temps en temps, car certes nous avions besoin de ces périodes de repos pour laisser décanter notre savoir, l'oublier un peu pour le redécouvrir ensuite sous un nouvel angle d'approche, mais nous devions trouver un bon équilibre qui nous permette cette prise de recul sans perdre nos acquis. Aussi, je continuais à m'entraîner à la rapière de temps en temps, une à deux fois par semaine. Le reste du temps, je savais m'occuper. L'école ne manquait pas de travail pour occuper les désœuvrés : elle avait son potager, son étable, mais aussi sa propre distillerie, où certains prêtres produisaient leur bière, leur hydromel, et leur liqueur de poire. L'herboriste, et principale infirmière de l'école, avait aussi besoin de mains pour récolter les fleurs d'été nécessaires à la confection de certains baumes, ainsi que des génépi et autres alcools nécessaires pour assommer un patient avant une opération chirurgicale, ou pour aider le chirurgien à supporter la pression après (ou pendant) l'opération. Pour ma part, j'aidais aux vendanges, l'école ayant quelques plantations de vignes grâce auxquelles elle produisait son propre vin de table, un vin sans prétention mais fort agréable.
Les travaux auxquels nous prenions part étaient l'occasion pour nous de passer plus de temps entre élèves pour mieux nous connaître, et même pour rencontrer les élèves de deuxième année (les troisièmes années nous ayant tout juste quittés), et ainsi de nous découvrir entre nous dans un contexte moins compétitif. Parmi les vendangeurs je me liai d'amitié avec un élève de deuxième année, qui se préparait à rentrer en troisième année. C'était un semi-elfe du nom de Corin Elrohil. Nous discutions toute la journée pendant la récolte, les genoux enfoncés dans la terre au pied des ceps de vignes. Il me rassurait quant à la suite de mes études, m'affirmant que la première année était la plus dure, tout y avait été fait pour maintenir les élèves dans un climat de méfiance et de chacun-pour-soi. L'année toute entière, me disait-il, était un long bizutage, servant à créer une rupture avec notre ancienne vie, et ainsi nous durcir, briser notre naïveté et nous enseigner la méfiance. Mais l'école n'avait pas pour objectif de former des hordes de sociopathes, et les aventuriers avaient besoin aussi d'apprendre le travail d'équipe, et de savoir placer leur confiance envers ses compagnons dans les mains desquels bien souvent ils seraient amenés à remettre leur vie. Aussi, lors des deux années suivantes, l'ambiance sauvage deviendrait plus sociale.
Ainsi, tandis qu'un doux soleil me réchauffait affectueusement mon dos courbé par l'effort gratifiant du travail de la terre, je me mis à frissonner nerveusement, et à être parcourue d'une envie de pleurer et de rire tout à la fois. Un sentiment de sécurité, que je n'avais pas ressenti depuis des mois, remontait tout le long de ma moelle épinière, et tout mon corps en était agité. Des larmes commencèrent à tapisser mes joues. C'étaient toutes mes peurs et mes peines accumulées pendant des mois qui s'écoulaient hors de moi, et j'en éprouvais un immense soulagement tout au fond de mon être. Mon nouvel ami, me voyant dans cet état, eut d'abord la délicatesse de détourner le regard pour me laisser pudiquement pleurer sans retenue et sans honte, puis il changea d'idée, et se rapprocha de moi pour m'essuyer mes larmes. Il me dévisageait de son regard humide, et je voyais qu'au travers de moi il se revoyait lui-même tel qu'il était un an plus tôt, lorsque lui-même à l'issue de sa première année avait éprouvé le même soulagement d'avoir achevé cette longue épreuve solitaire. Je pleurais longuement sur son épaule. Cette horrible année était derrière moi à présent.
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La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambre
FantasyL'histoire suit une petite fille vivant dans un monde de médiéval-fantasy, envoyée malgré elle dans une école militaire. Elle aura trois ans pour y résoudre le mystère qui tourne autour de l'Espion d'Iriaebor, et mettre fin à ses agissements macabre...