Ch. 5: Iriaebor

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Les mois passaient, et le parc fleurissait et changeait d'aspect. Les arbres verdissaient, les plaines se couvraient des couleurs vives des fleurs. On commençait à parler du tournoi de fin d'année. On disait qu'il était en conditions réelles, avec certains combats à mort. Terrifié, chacun révisait ses techniques avec assiduité. Le Maître d'Armes tentait d'aider au mieux les élèves avides de conseils et de soutien, mais finissait par manquer de temps à accorder à chacun. Pourtant, par un favoritisme arbitraire dont je n'allais pas me plaindre, il continuait à m'accorder un soir par semaine mon cours particulier. Lorsque les professeurs n'étaient plus là pour nous aider, chacun révisait autant que possible en solitaire, et parfois un élève allait proposer à un autre des duels d'entraînement, lorsqu'il s'imaginait que cela lui serait plus profitable qu'à son adversaire, car on voulait le moins possible offrir un entraînement à ceux contre qui on serait en compétition.

Un jour, le nain Plinkett me proposa un duel. Non pas que j'en avais grand envie, mais j'acceptais. Ce Plinkett était un petit intellectuel, moins intelligent qu'il le croyait, qui s'imaginait être l'organe pensant de la classe. Il exposait à tous ses théories complexes mais peu mûries sur n'importe quel sujet. Après l'assassinat de Thohelm il avait été l'un des plus virulents convaincus que j'étais l'Espion d'Iriaebor. Il avait reconstitué un argumentaire complet qu'il croyait sorti de son propre cerveau, mais qui n'était qu'un puzzle fait avec des pièces volées, des bouts de rumeurs et des morceaux d'arguments entendus au hasard des conversations et des bruits de couloir, qu'il avait récoltés autour de lui et réarrangés, et avec des allures de justicier il clamait publiquement ses convictions en pensant faire beaucoup d'effet. Les autres élèves le laissaient faire, sans s'en occuper, mis à part un petit cercle d'admirateurs en recherche d'idoles à vénérer pour palier à leur manque de confiance en eux, qui écoutaient ses raisonnements et y adhéraient béatement.

Ce jour-là, dans l'arène, Plinkett et moi ne nous battîmes pas longtemps. Car d'autres élèves entrèrent à ce moment dans l'arène. Ils étaient armés de bâtons ou de couteaux, et me bloquèrent l'issue, comme ils l'avaient convenus à l'avance avec Plinkett. Aidé de ses renforts, Plinkett m'accula dans un coin. Il me mit à terre, et me rossa furieusement.

J'encaissais les coups de pieds, sans rien pouvoir faire. Je l'entendais me narguer en même temps qu'il me battait. « Alors, on rigole moins maintenant, sans ton poignard, assassin ! ».

Il me prit par les cheveux, et me traîna sur plusieurs mètres.

Il me frappait en criant : « Voilà pour Thohelm ! ».

Il me dit : « Je n'ai pas peur toi, le Gnome. Les autres s'imaginent que s'ils te donnent ce que tu mérites, tu te retourneras contre eux, et tu les tueras. Moi je n'ai pas peur. J'ai une garantie : j'ai été celui qui t'a dénoncé, et tout le monde saura si je finis assassiné que c'est toi l'assassin, que tu m'as tuée pour protéger ta couverture, car j'ai tout découvert. Tue-moi et tout le monde saura qui tu es. »

Il encouragea les autres élèves à s'approcher pour prendre part à la curée. Ceux-ci s'exécutèrent avec ardeur.

J'attendais la fin. Ce n'était pas la première fois que j'avais à endurer cela. Mais cette fois-ci, la fin ne semblait pas venir. Ils ne s'arrêtaient pas. Ils m'avaient cassé le nez, et tordu une jambe, et il continuaient.

C'est alors que j'entendis un professeur entrer en courant. « Tout le monde dans vos dortoirs ! »

Tournant la tête, essayant de voir quelque chose à travers mes cheveux qui me tombaient en pagaille devant le visage, je vis le Maître d'Armes. Il courait vers nous en gesticulant, l'arme au poing : « Il y a eu un nouveau meurtre. Venez, je vous escorte à votre sale commune. Vous êtes des premières années, je crois ? ».

La Duchesse de Prudetour, ou le récit initiatique d'une femme de chambreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant