Chapitre 3

151 11 5
                                    

Deux semaines plus tard

- Dina ?

Elle lève enfin les yeux de son plateau.

Non

- Tu m'aides pas, là.

Elle hausse les épaules. Elle s'en fiche, je crois.

- Dis-moi au moins quel surnom tu veux !

Comprenant que je ne lâcherai pas l'affaire, elle dit, tranquillement, simplement:

- Je n'aime pas les surnoms.

Je soupire. Je sais qu'elle n'est pas de bonne humeur, mais elle pourrait faire un effort. Enfin, elle ne me l'a pas dit ( jamais elle n'exposerai ses sentiments comme ça, comme une personne normale ) Mais je l'ai deviné. Forcément, ça ne se voit pas au premier coup d'oeil. Je lui faisais mes blagues habituelles mais elle n'a eu aucune réaction, pire : elle a manifesté de l'agacement. D'habitude, elle plisse les coins de ses yeux, comme si elle riait ( sauf que le reste de son visage est neutre ). Et quand j'ai commencé avec les surnoms, ça a été encore pire. Je lisais clairement dans ses yeux que je l'énervais.

Comme au début, quand on ne se connaissait pas, quand je l'attendais après chaque cours pour lui poser une question différente à chaque fois, à laquelle elle répondait avec la bouche qu'à la toute fin, avec une phrase d'esquive, après avoir débattue silencieusement avec mes yeux.

La deuxieme fois, je suis resté autant bloqué qu'à la première, la troisième à été un peu mieux, et à partir de la cinquième ou sixième fois, j'arrivais à garder tous mes moyens. Je la suivais jusqu'à l'arrêt de bus, je lui disais au revoir, et elle y répondait par un signe de tête. Nous continuons encore ce qui est devenu notre jeu, grâce auquel elle a accepté de passer le repas avec moi. Maintenant, elle me parle presque souvent, mais je ne me suis toujours pas lassé de sa belle voix, ni de ses yeux, ni d'elle, d'ailleurs.
Mais je ne sais pratiquement rien d'elle, juste qu'elle vit seule avec sa mère dans une petite maison en périphérie de la ville, et qu'elle a deux ou trois petit poissons d'un nom bizarre. Quasiment rien.

Depuis qu'elle est arrivé, j'ai déjà l'impression qu'elle a changé. Elle est peut-être un peu moins maigre -ses formes féminines commencent à se (re-) dessiner-, ses pommettes sont un peu plus roses, mais question cernes... j'ai la forte impression qu'elles ont empirées. Elle ne doit vraiment pas bien dormir.

- Tu vas bien ? Dis-je, inquiet.

Toujours cette même phrase pourrie.

Elle hoche la tête mais ne répond rien.

- T'es sûre ?

Elle répète ce mouvement.

- Non. Dis-moi ce qu'il ne va pas.

Elle fronce légèrement les sourcils et se penche un peu sur le côté.

- Si, il y a quelque chose et tu vas me le dire.

Elle secoue vigoureusement la tête.

- Mais parle-moi ! Je m'écris. Tu ne me dis jamais rien sur toi. Si tu n'exteriorises pas, tu ne pourras plus rien dire.

Elle souffle discrètement. Je vois dans ses yeux de la colère. De la colère pour vouloir la faire parler. De la peine aussi, et des remords. Elle voudrais me dire, me parler, mais elle ne peut pas. Elle s'en empêche elle-même. Je me rends compte que c'est difficile pour elle, et m'excuse donc :

- Excuse-moi, je voulais pas te forcer. Je suis désolé. Je sais que ce n'est pas facile pour toi.

Elle ne dit toujours rien, mais la reconnaissance a remplacé la colère, je le sens. Alors qu'on partait, elle pose une main sur mon bras. Je la regarde, surpris. Elle n'est absolument pas tactile.

- Ça fait un an que ma soeur est morte.

Ho.

J'ai bugué. Depuis quand elle me parle d'elle ? En tout cas je suis content de voir qu'elle arrive à s'ouvrir un peu.

- Je suis désolé...

Ne trouvant rien d'intelligent à dire, je me tais. Je n'ai jamais été doué pour rassurer les gens. Elle fait un petit geste de la main.

Pas grave.

En approfondissant, elle n'a pas du tout l'air triste, plutôt...en colère. Et elle l'a dit d'une maniere si cru... Étrange. Comme si elle avait remarquée qu'elle n'avait pas l'air triste et que je l'avais découvert, elle se détourne et sort du self.

●●●●●●●●●●●●●●●●●●

De retour en classe, le professeur d'histoire nous informe que nous allons bientôt commencer une série d'exposés qui conteront pour le bac, et qu'il faut réfléchir à la personne avec qui nous voulons nous mettre, du sexe opposé de préférence.
Instinctivement, je m'étais tourné vers Darryl et lui aussi, mais au mot "mixte", Layla lui sauta dessus en lui répétant encore et encore que c'était une grande chance et blablabla. Et oui, ils sont toujours ensemble. Je me tourne donc vers Darina.

Je lui lance un regard plein d'espoir, auquel elle répond par un haussement d'épaule.

Je suis enthousiaste, car on allait devoir se voir en dehors du lycée, et j'allais peut-être pouvoir enfin avoir son numéro de téléphone. Elle ne manifestait rien de spécial, comme d'habitude, et même ses yeux étaient normaux, alors que les miens devaient être brillants d'excitation. Le professeur nous afficha les différents thèmes d'histoire que nous pouvons aborder, en nous demandant de choisir. Je repère tout de suite ceux qui me plaisaient le plus : les conquêtes européennes et les sociétés coloniales du XVIIIe siècle.

- Vous pouvez vous déplacer. En silence ! Cria-t-il, en vain.

Je déplace ma chaise jusqu'à sa table, et pose mes coudes dessus, le menton dans ma main pour être à sa hauteur.

- Tu veux faire quoi comme sujet ?

- Dis-moi d'abord ce que toi tu veux faire.

- Je préfère le thème 3.

- Ah bon ? Moi j'aurai préféré le thème 6...Dit-elle, déçue.

- Non non non non non ! Je veux dire...Ça ne me dérange pas de faire autre chose !

Ses yeux s'illuminèrent, mais baissèrent rapidement.

- Ça ne me dérange pas non plus de faire autre chose si tu en as vraiment envie.

Ho non.

Elle est trop mignonne. Je veux qu'elle fasse ce qui lui plaise, surtout que l'histoire est une des seules matières où elle est attentive.

- Non je t'en prie, on va faire ce que tu veux, dis-je, gentleman.

Ses yeux trouvent les miens, m'exprimant sa gratitude. J'y plonge et m'y noie presque, comme à chaque fois qu'elle le regarde plus de quelques secondes. Son regard est tellement profond...
Je suis "réveillé" par la sonnerie. Putain, ça fait combien de temps qu'on se regarde ? J'ai l'impression qu'il ne s'est passé seulement une dizaine de secondes, mais ça doit être plutôt une dizaine de minutes, apparemment.

- Pensez à me marquer sur une feuille avec qui vous êtes et sur quoi vous allez travailler ! Cria encore me prof, que personne n'écoutait, évidement.

Même dans le couloir, je suis encore troublé par l'intensité de ce regard. Elle me semblait si reconnaissante que ce doit être important ou symbolique pour elle. Il ne me reste plus qu'à la convaincre d'aller chez elle. Je veux voir où elle vit. C'est assez intrusif, mais elle est si secrète...

La MystérieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant