Entièrement dédié à la parole de Darina
Tout a commencé quand j'avais 13 ans. Nous avons découvert, mes parents, ma sœur et moi, que mon père avait un cancer. Un cancer du pancréas, un des plus mortels qui existe. Il avait longtemps refusé de faire des tests pour savoir si ses douleurs aux côtes, sa perte d'appétit et sa maigreur étaient les signes d'une quelconque maladie. Mais lorsqu'il avait enfin accepté et que les résultats d'analyse étaient arrivés, il était trop tard. Il était à un stade avancé. Les chances de survie au-dessus de cinq ans sont de moins de 1,5 pourcent. Il a tenu sept mois. Ça a été tout simplement horrible. Voir son père s'affaiblir de jour en jour alors qu'il n'avait que 46 ans, le voir souffrir, mais continuer de nous rassurer en nous disant que tout allait bien, qu'il n'avait pas mal, que ça irait. Ma sœur, Arizona, avait 15 ans. Elle a commencé à sortir de plus en plus souvent, à fuguer parfois, à revenir bourrée et puant la clope de soirées. Moi, du haut de mes 13 ans, j'essayais de tenir le coup. Mais c'est dur, pour une fille qui vient juste d'entrer dans l'adolescence, de voir son père mourrir et sa grande sœur, son modèle, partir en vrille.
Lorsqu'il est mort, Arizona est devenue insupportable. Elle se disputait sans cesse avec ma mère, qui tentait de surmonter le chagrin de la perte de son mari mais qui ne laissait rien paraître devant nous. Quand celle-ci a découvert qu'elle se droguait, c'est devenu invivable. Du matin au soir, dès qu'elles se voyaient, elles se hurlaient dessus, et moi je me sentais seule. Ma mère n'était presque plus à la maison car elle travaillait beaucoup pour tenir financièrement, et ma sœur non plus. Elle fugait de plus en plus souvent, revenait de ses soirées le lendemain ou le sur-lendemain. J'étais tellement seule que je n'arrivais pas à exprimer quoique ce soit. Je mangeais de moins en moins, sans m'en rendre compte, je passait presque tout mon temps seule lorsque je n'étais pas au collège, et je lisais ou dormais. Quand j'y repense, on aurait pu me confondre avec un robot. Je me réveillais le matin, j'entendais ma mère et ma soeur se disputer, j'allais au collège, je revenais, je faisais mes devoirs, je lisais pour ne pas les entendre se crier dessus, pour ne pas penser. Et je recommençais comme ça tous les jours.
Quand je suis arrivée au lycée, j'ai lentement réalisé. Elles se disputaient à cause de moi. Ma mère hurlait à Arizona qu'elle était un mauvais exemple pour moi, qu'elle allait rater sa vie, et celle-ci lui répondait par des insultes, en arguant que si elle s'était plus préoccupée d'elle plutôt que de moi, elle n'en serait pas là. C'est horrible pour une jeune fille qui est en train de se construire d'entendre ce genre de choses. Mais à l'école, je faisais comme si tout allait bien. J'avais quelques amis, mais je ne les invitais jamais chez moi, je leur disais que ma mère ne voulait pas, alors que c'était juste pour ne pas qu'ils voient à quel point ma famille était chaotique.
Et puis je me suis rapproché de Nicolas. Oui, ce gars qui est arrivé en milieu d'année, celui qui me connaissait. On a d'abord commencé par être amis, après s'être connus de vu pendant des années, au collège, mais c'était clair qu'il y avait plus que ça. Au bout d'un ou deux mois, on sortait ensemble. Mais j'évitais toujours le sujet de mes parents et de ma sœur. Il se doutait de quelque chose, il n'était pas dupe. C'est seulement le jour où je l'ai rejoins chez lui, le 30 novembre, en pleurs, que je lui ai tout raconté. Ma sœur venait de partir, pour de bon. Elle avait son bac, elle était majeure, et sa relation avec ma mère était trop toxique. C'était compréhensible, jusque là, mais elle m'avait parlé, avant de partir. Au lieu de me dire au revoir, de me prendre dans ses bras et de me rassurer, pour me dire que tout irait mieux, elle m'a balancé tout un tas d'horreurs au visage. Ça m'a tout simplement détruit. Entendre de la bouche de sa propre sœur qu'on est quelqu'un d'immonde, qui a causé la mort de son père et qui a détruit sa famille est dévastateur.
J'avoue ne toujours pas comprendre pour quelle raison c'est de ma faute, mais sur le moment je l'ai cru. Et j'ai déversé toute ma tristesse en Nicolas, qui n'avait absolument rien demandé. Il a été vraiment génial, je dois le reconnaître. Il m'a rassuré, m'a consolé, comme aurait du le faire ma sœur. Mais je pense que c'était trop tard. La peine s'est lentement transformée en haine. Je n'étais plus que colère et rage. J'en voulais au monde entier de m'avoir pris mon père, puis ma sœur. Je ne faisait plus attention à rien. Je devenais détestable, je perdais petit à petit tous mes amis. Seul restait Nicolas, qui avait foi en moi, qui tentait de me soutenir. Mais j'ai fini pas le quitter parce que je ne comprenais pas pourquoi il restait encore avec moi alors que, après tout, j'étais responsable de la mort de mon père.
Et finalement, la colère a laissé sa place au vide. Je me sentais seule, encore une fois. Il n'y avait plus que ma mère et moi, qui n'était jamais là, et je ne pouvait pas revenir vers mes amis après ce que je leur avais fait. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à coucher avec des inconnus dans des soirées, ses mêmes soirées où Arizona allait pour échapper à ses idées noires et à ma mère. Je ne ressentais plus rien. Ces garçons n'étaient rien pour moi mais j'avais l'impression d'exister un peu. S'ils voulaient bien de moi, peut-être que je n'étais pas aussi mauvaise que ma sœur le disait ? Mais au cours d'une visite chez le médecin suite à des rhumes à répétition, on m'a diagnostiqué comme anorexique. J'avais toujours été très mince, mais la maigreur que j'avais à ce moment-là était maladive. Ils ont d'abord essayé un psychologue, mais ça n'était pas suffisant. J'ai été placé pendant plusieurs mois en hôpital psychiatrique pour soigner cette anorexie et le trouble affectif dont j'étais victime. Je suivais des cours à distance, j'étais là plupart du temps seule, encore. Mais ma mère m'appelait dès qu'elle avait un peu de temps, venait me voir une ou deux fois par semaine.
Quand je suis sortie, elle m'a annoncé qu'on déménageait. Elle voulait qu'on prenne un nouveau départ, loin des fantômes de mon père et d'Arizona. J'ai accepté. C'était une bonne idée, et puis de toute façon, ma mère ne pouvait plus payer seule la grande maison où on vivait, en plus des soins dont j'avais besoin. Alors on est arrivé ici, quelques meubles et mon chien sous le bras. J'ai passé un mois et demi chez moi après la rentrée de terminale, le temps que j'aille un peu mieux, que je sois un peu plus solide. J'étais encore très mince, mais je mangeais presque normalement. Alors je suis venue au lycée. Je n'y avait pas mis les pieds depuis une dizaine de mois, j'avoue que ça a été dur au début. Mais ça n'était pas grave, j'étais là pour avoir mon bac et pour me reconstruire petit à petit.
A présent, je vais beaucoup mieux. Je me sens enfin bien, je ne pense presque plus à mon père ou à ma sœur. Des fois, je vais dans le garage où j'ai convaincu ma mère de garder la moto de mon père. Je ne pouvais pas me résoudre à la vendre, elle a une importance énorme à mes yeux. Je n'ai pas mon permis et je ne sais pas la conduire, mais mon père m'avait promis de m'apprendre. Un jour, quand j'aurai le courage, j'essaierai. Et je pense que ce jour arrivera vite, au moins j'en ai bon espoir.
Mais si je me sens bien aujourd'hui, c'est grâce à toi, Darius. Je t'en serais toujours reconnaissante car sache-le : tu m'as sauvé. J'aurais pu, depuis longtemps, replonger dans mes cauchemars où ma sœur me dit, avec un sourire diabolique et papa en fond "c'est de ta faute, tu l'as tué". J'ai encore du chemin à faire, j'en suis consciente, mais j'ai enfin de l'espoir et du bonheur, grâce à toi. Alors merci, merci du fond du cœur.
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La Mystérieuse
Teen FictionDarius revient des vacances de la Toussaint et il y a une nouvelle dans sa classe : Darina. Elle ne semble pas aller bien, mais elle parle rarement d'elle et ne laisse jamais voir ses émotions. Jusqu'au jour où un de ses anciens camarade de classe d...