(16) Le train déraille

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Point de vue Selena

Les jours passent et se dépassent pareil à une profonde mélasse. Je reste enfermée dans ma chambre, clouée au parquet, emmurée dans mon silence. Sans prêter attention à son insistance. Rongé par la douleur qu'il n'a pas commit. Qui ne vient même pas de lui.

Parfois j'ai l'impression que ma vie ne tient qu'à un fil, c'est sûrement car mon cœur est fébrile. Je vais finir par craquer, si on ne cesse de s'engueuler. Un de ces quatre on finira tous deux à l'asile...

Une nouvelle assiette se brise sur le sol, et j'ai la désagréable impression d'entendre le bruit de mon propre cœur. Pour couvrir le vacarme grandissant je hurle :

- "Mais c'est pas moi, c'est toi ! Parce que moi, j'allais bien avant tout cela !"

Ces derniers temps, chaque fois qu'il arrive vers moi pour me toucher, j'ai juste envie de me barrer. Il me fait craquer encore et encore. Parce que lorsqu'il est sur ma route il y sème le doute.

- "Tes idées noires j'en ai plus rien à foutre !"

Il s'obstine à rallumer les flammes que je m'efforce d'éteindre. Ma force mentale est abîmée, et bien qu'il m'appelle tous les soirs je fais en sorte de ne jamais décrocher. Mais que s'est-il passé ?

Les phrases qu'il me dit, celles que j'oublie. Celles qu'il répète quand il est bourré en pleine nuit. Son corps qui se tord, juste pour me plaire, pour que je ne puisse me défaire. Parfois je lui mens, m'inventant des rêves imaginaires. Parfois je perçois ce qu'il se passe dans sa tête, cet air lasse, lorsqu'il écrase ses cigarettes.

Notre monde déraille. J'ai la sensation qu'on nous a brûlés nos entrailles. Il veut que je sois tout à lui, pourtant une part de moi ne m'a jamais appartenue.

Et chaque fois qu'il m'ouvre les yeux je vois ces centaines de chevaliers, prêt à tout tenter pour moi. À saigner pour la gloire, histoire de voir mon corps s'asseoir prêt d'eux. Une pensée viscérale qui finit par les rendre dingue alors qu'ils se pensent heureux. Du coup je préfère croire en la pure et simple amitié, de nouveau fermer les yeux.

Parce qu'ici tout le monde déraille...

Je m'approche de lui, un pull bien trop grand sur les épaules. Je croise les bras autour de moi, me protégeant de l'impact de ses mots. Je lui murmure si doucement que je ne suis pas certaine qu'il m'ait entendu :

- "Répète encore ce que tu as osé me dire s'il te plait..."

Matty passe une main dans ses cheveux noirs jais, tendant son biceps. J'arrache mes prunelles ambrées de cette vision alléchante. C'est malsain, nous sommes en froid, je ne devrais absolument pas avoir envie de lui comme ça.

- "Que tu étais cent fois trop bonne et que le regard des hommes..."

Je bloque ma respiration, le giflant de toutes mes forces. Tirant le pull en laine sur mes cuisses, cachant mon corps le plus possible de ses yeux de chacal. Sans me demander ma permission, son index vient se nicher au creux de mon cou. Parcourant ma clavicule, effleurant la naissance de mes seins. Je serre si fort le comptoir que mes phalanges blanchissent quand il pose une main sur ma taille, empoignant mes fesses de l'autre.

- "Te voir énervée m'excites tellement... Je pourrais bien te faire toutes sortes de choses, ici et maintenant, sur cette table."

C'est comme un déclic, pareil à une vieille pendule qui après toutes ces années se remet à l'heure. Je halète, pas seulement parce qu'il me touche, mais également car je saisie que j'ai été une pauvre fille crédule. Je le gifle une deuxième fois, commençant à avoir la main rougie. Au bord des larmes je souffle :

Aime moi si tu l'oses (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant