[I&II] Aissam et les Filles

[XXIII]

Il est dix-sept heures et demi, l'heure à laquelle on s'est fixé rendez-vous à l'aéroport étant donné que notre avion décolle à vingt heures. Je me trouve au Starbucks accompagné Toto en attente de l'arrivée des deux filles mais après déjà vingt minutes d'attente, personne à l'horizon. On ne voit ni Rim la petite bouboule, ni Thislim la... Thislim.

Ça là, c'est ma hantise ; le manque de ponctualité lors d'un voyage, pas avec moi. Autant j'suis pas le gars le plus à cheval sur l'heure d'arrivée, autant je trouve que durant un voyage, c'est quelque chose de primordial. Le chauffeur de bus, il t'attend peut-être quand il te voit courir après son véhicule —et encore, je suis déjà tombé sur des enfants péripatéticiennes avec les conducteurs du DeLijn— mais le pilote là, il veut pas entendre parler de toi hein. Du coup, ça commence à m'agacer parce qu'on va rater notre vol bêtement mais heureusement pour elles, elles se pointent à temps.

Je les aperçois arriver à vive allure tant bien que mal avec leurs bagages en main et la Thislim, pfff, toujours plus. Elle transporte deux putains d'énormes valises alors qu'on reste seulement dix jours là-bas, n'importe quoi.

Elle, d'ailleurs, depuis notre altercation, je ne lui ai pas ré-adressé un mot et je pense qu'il en sera ainsi jusqu'au jour où elle viendra me présenter ses excuses, ce qui prendra du temps à arriver parce qu'aux dernières nouvelles, elle est toujours remontée contre moi. 'fin, pour une personne énervée, ça va, je la trouve plutôt détendue.
Elle me claque carrément la bise pour me saluer, elle a le visage ouvert, calme, tandis que moi, à mon visage, tu vois bien que les nerfs sont au summum de la tension dès que je croise son regard. J'ai la haine d'elle, vraiment.

« Une heure de retard ! les blâme Ayrton en tapotant son poignet

— Désolée, les copains ! s'excuse Rim. Mon père a eu un problème avec la voiture

— On va rater l'avion bêtement

— Mais non, allez on y va

— Mais pourquoi t'as de si grosses valises toi ? demande Ayrton à Thislim. On part que dix jours hein

— Après je bouge direct à Kin en fait, l'informe Thislim

— Oh, tu vis toi. Je peux venir avec toi ?

— Si tu veux mais j'y vais pas pour ksar. Comme je veux y vivre plus tard, je vais travailler pendant un mois dans l'entreprise de mon oncle pour voir le rythme de vie là-bas. Du coup, je reste seulement cinq jours au Cap

— Et tu restes combien de temps au bled ?

— Juste un mois

— Ah, tu seras là à temps pour le mariage de mon frère. Bloquez déjà le deux octobre les minettes »

Le grand-frère d'Ayrton va unir son destin à celui de sa copine d'un an seulement, une cap-verdienne. D'après lui, la quantité ne compte pas, juste la qualité. Bon, moi, rien à foutre, je sais que je vais me péter la panser avec des pastels et essayer —je dis bien essayer— de me mouver sur du funana. Et la présence de Thislim, franchement, rien à foutre.

Je suis pas forcément quelqu'un de rancunier mais ses propos m'ont fort vexé. "Putain de gamin de merde", "va t'acheter des couilles", "fourbe" et j'en passe des bonnes et des pas mûres. Il ne s'agit pas d'insultes mais c'est vraiment insultant pour le coup. Néanmoins, je peux comprendre sa nervosité parce que j'ai joué au gosse en lâchant cette bombe. L'excuse c'est que son Isaiah, je peux pas me le voir en peinture. Vraiment, c'est physique, dès que ma pupille le capte dans son champ de vision, une envie de le monter en l'air se manifeste en moi. Imagine seulement mon état quand je l'ai vu débarquer alors qu'il n'était pas invité ? Et quand Thislim nous a annoncé qu'il s'incrustait dans le voyage à Cape Town ? J'ai totalement vrillé, un plomb a sauté dans mon cortex et je m'suis mis à agir en enfant.