Chapitre 4: L'OMBRE DE LA MORT (Partie 7)

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Une heure passa. Les chevaux se mouvaient toujours à rythme constant, ne semblant pas trop usés par l'avancée pénible dans la vase. C'était la première fois que les adolescents s'aventuraient dans cette partie de la région. L'odeur putride du marais leur picotait les yeux, y faisant couler un flot de larmes. Forcés de plisser des yeux, ils voyaient à peine devant eux. Mais se fiant à la lune, ils s'assuraient qu'ils n'avançaient pas dans la mauvaise direction. Le temps semblait s'écouler plus lentement à mesure que la traversée s'allongeait. Le marais était bien plus grand qu'il n'y paraissait, et les senteurs ammoniacales qui s'en dégageaient rendait difficile la respiration. Elles semblaient crachées en même temps qu'une brume jaunâtre par les bulles explosant à la surface de la vase. Fate parcourut des yeux l'immense étendue de boue qu'ils franchissaient. Il comprenait à quel point cela était impossible de traverser ces lieux en grande escorte, cela expliquant partiellement pourquoi cette partie de la région était considérée comme une limite par la plupart des équipes de moissonneurs. Bien trop difficile à explorer, bien trop incertaine à bien d'égards. Tout au sud, à plus de cent lieues, le fleuve Antara pénétrait le continent et le pourfendait de son immense lit, qui en faisait le fleuve le plus grand de la région. En remontant vers le Nord, sa profondeur diminuait progressivement et ce dernier devenait accessible à pieds ou à cheval par son affluent, s'écoulant à une lieue environ du marais.

De longs instants passèrent, marquant la fin du périple. En témoignait l'intense verdure naissant plus loin, bondant l'horizon de son imposante présence. Fate se pressa de rejoindre l'autre rive, car il ignorait l'effet que pouvait avoir une immersion trop longue dans le marrais. Le sol, humide, presque boueux, semblait rebondir à chacune des foulées des chevaux. L'herbe, fraîche et grasse à souhait, semblait supplier d'être broutée. Le jeune homme accorda alors en récompense à leurs montures un instant de repos, à paître paisiblement. Ils semblaient essoufflés, les pattes entièrement recouvertes de boues aux relents putrides. Bien que le désir de s'élancer à plein galop dans la plaine ondulée courrait dans ses veines, le natif de Maltrea prit son mal en patience. Son instructeur lui avait enseigné la nécessité de ménager les montures lorsqu'on se retrouvait à la surface. Négliger leur forme physique avait conduit bien des Hommes à la mort. Alors, il s'assit contre l'herbe et observa le décor. Une chaîne de montagne semblait gratter la voûte céleste au loin. Il l'avait aperçue sur la carte, servant de limite à l'imposante forêt de Millikan. Ils l'atteindraient avant l'aube, espérait-il. Pourtant, il leur fallait encore traverser le fleuve Antara environ une lieue plus loin et remonter la plaine sur environ quatre lieues. De plus, il ne devait leur rester que bien peu de temps avant que ne s'extirpe de l'horizon, l'astre du jour. Fate regarda sa main. Cela faisait quelques temps qu'elle ne cessait de trembler. Je dois encore tenir bon. 

Solen pensa allumer un feu, tant ses doigts se crispaient sous l'effet des basses températures. Il posa un œil sur ses compagnons. Leur teint livide témoignait que le froid leur pénétrait la chair jusqu'aux os. De sa besace, il tira trois coupes de fer qu'il disposa contre le sol. Il s'en alla plus loin, ramassa quelques pierres et bouts de bois traînant çà et là et les disposa de façon à en faire un foyer. Il prit ensuite deux petites pierres d'un noir d'obsidienne, ainsi qu'un minuscule fagot de fines pailles qu'il disposa au centre du foyer. Frappant les pierres l'une contre l'autre, des étincelles jaillirent et donnèrent naissance à une flamme rouge à la chaleur vive. Le jouvenceau y fit ensuite chauffer de l'eau dans l'une des coupes, qu'il gardait précieusement dans une gourde en cuir. Il répéta l'opération trois fois afin de préparer trois infusions de tilleul. Serena le regardait, recroquevillée sur elle-même, la lueur du feu mettant d'avantage en évidence son admiration. Elle fut tirée de sa rêverie quand le jeune homme lui tendit un des récipients brûlants. Le contact avec le métal chaud lui arracha un cri. Non pas de douleur mais de satisfaction. Elle s'empressa d'en ingérer le contenu et fut comme transie par une sensation de bien-être. 

Fate lui, avait les yeux plongés dans le ciel, perdus entre les constellations luisant dans le ciel de saphir. Le jour nous menace déjà. Cependant, il se sentait fatigué. Son corps était si lourd, et son esprit si embrumé. Il ferma les yeux, et se laissa emporter. A ce moment, Solen se tourna vers lui pour lui proposer l'infusion, mais remarquant que son aîné s'était assoupi, il se ravisa.

Le garçon n'entendait plus rien. Pas même les insectes bruissant dans la nuit qui s'étaient comme tus un par un. Il ne sentait plus rien. Pas même le vent, l'air s'engouffrant dans ses poumons. Pas même la chaleur redonnant à sa peau sa teinte rosée. Il ouvrit les yeux. De la brume à perte de vue, voluptueuse, dense, omniprésente. Il ne vit que ça, et rien d'autre. Pas même ses compagnons, ni les chevaux. Et dans le silence, s'éleva un murmure. Une accusation. Il aperçut une ombre, blanche comme de la neige. Elle n'avait pas de visage, et sa chevelure se confondait au brouillard. Elle se rapprochait de lui. Dangereuse, elle avançait. Apeuré, le garçon se rendit compte qu'il ne pouvait bouger. Comme si une immense épée le pourfendant de part en part clouait son corps contre le sol.

« Réveille-toi... » murmura une voix.

« Réveille-toi, grand-frère » se répéta-t-elle.

Fate entrouvrit les yeux. Le regard flou, il lui sembla apercevoir son frère.

— Réveillez-vous, réitéra Solen en secouant son aîné par les épaules.

Le corps parcourut par un supplice atroce, le jeune homme se releva péniblement, non sans pousser un râle de douleur. Merde... Aurai-je encore perdu connaissance ? Un coup d'œil à ses compagnons, dont les traits s'étaient teintés d'inquiétude soutint cette hypothèse. Il se mit la main sur le visage et se pressa légèrement les yeux.

—Que se passe-t-il ? S'enquit-il. Me serai-je assoupi longtemps ?

—Ce n'est pas le problème, regardez autour de nous.

Un épais brouillard s'était levé, dense et féroce. Il leur léchait les jambes et tourbillonnait dans une danse infinie. Fate fut pris de peur. Était-ce le même qu'il avait aperçu dans son songe? Ou bien était-il encore prisonnier d'un autre rêve? Il l'ignorait. La confusion se répandait dans son esprit comme une traînée de poudre. Dans le doute, il questionna:

—Comment-est-ce arrivé ?

—Peu de temps après que vous vous soyez endormi, le brouillard a surgi en provenance de l'horizon.

Fate leva les yeux et constata en effet que la brume nimbait le décor, le peignant d'un gris sinistre. Ceci n'est assurément pas naturel. Et de toutes les créatures que je connais, aucune n'est à même de produire du brouillard. Je crains qu'un grand danger ne nous guette.

—Ne restons pas ici, j'ignore ce que cela augure mais ça ne peut être que mauvais, clama-t-il en se rua en direction des chevaux.

Au même moment, ils virent des ombres se faufiler dans le brouillard et se ruer dans leur direction. Ils étaient attaqués.





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