Chapitre 5: TRIBULATIONS (Partie 3)

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De la crainte saisissait le cœur du jeune homme. À mesure que courrait dans ses vêtements le vent, et que roulait à toute vitesse le sol sous ses pieds, une émotion nouvelle s'emparait de lui. Malgré le danger, de l'excitation pulsait en même temps que le sang dans ses veines et dessinait sur ses lèvres un étrange sourire. Une œillade à l'arrière, les loups courraient aussi vite que leurs montures pourtant très véloces. La brume dense qui masquait leurs silhouettes laissait cependant voir leurs crocs acérés ainsi que les lianes recouvrant leurs corps anormalement grands. Le garçon avait toujours pensé ces canidés moins gros. Toutefois, le continent n'avait jamais cessé de le surprendre depuis qu'il avait posé pied à la surface. Bientôt, il aperçut un faible scintillement se dessiner à l'horizon. Ce doit être le fleuve Antara. J'ai dans l'espoir que nous pourrons le traverser. Un regard à Fate et Solen comprit que cela devrait être possible. Le natif de Maltréa les dirigeait sereinement en direction du cours d'eau. Regardant plus attentivement, l'éphèbe aux cheveux dorés s'inquiéta. Son compagnon semblait fournir de grands efforts afin de garder ses yeux ouverts et maintenir son équilibre. La respiration lui paraissait difficile, en témoignaient les mouvements amples de son torse à chaque passage de l'air. Son état s'aggrave... Qu'a-t-il pu lui arriver ? Serait-il en proie à quelque mal inconnu ? À peine eut-il envisagé cette dernière hypothèse que le natif du camp Baltras, comprit.

Les sabots des chevaux heurtèrent bruyamment la surface du fleuve, faisant gicler dans leur galopade effrénée, des saillies d'eau qui mouillèrent leurs cavaliers. Et au bout de quelques instants, ce fut la terre ferme. La présence de leurs poursuivants se faisait plus intense et leurs grognements se voulaient de plus en plus insistants. Puis, soudain, sortie de terre, une liane happa une des pattes de Seth et le projeta violemment sur le sol. Ses cavaliers se vautrèrent brutalement sur le sol, écrasés sous le poids de l'équidé et furent traînés sur plusieurs pieds. Solen interrompit la course de sa monture et se dirigea prestement vers ses compagnons. Serena fut la première à se relever, malgré la plaie saillante tailladant sa cuisse. Chancelante, la jeune fille retomba immédiatement sur ses genoux.

— Fate ! hurla Solen en panique.

Faisant fi de leurs assaillants, le cadet descendit de son cheval et courut aux côtés du jeune homme qui semblait avoir perdu connaissance. Immobile, du sang lui coulait du crâne et inondait sa chevelure noire. Au même moment, un coup de griffe lui lacéra le bras et le garçon poussa un cri d'effroi qui tonna à travers la plaine. Une complainte si aiguë qu'il en perdit la voix. Les yeux suintant de larmes, il vit les créatures les encercler et les menacer de leurs crocs. Nonobstant la douleur brûlant sa chair, l'inexpérimenté moissonneur se saisit de son arbalète et la mit en joue. Conscient de la vanité de sa tentative d'intimidation, il jeta un regard suppliant en direction de Serena. À l'aide ! Mais la jeune fille ne broncha pas. Là, assise sur le sol et le corps émaillé de blessures, elle semblait aussi vulnérable que lui. Solen ne put retenir ses larmes. Il comprit que l'adolescente ne lui porterait pas secours. Elle le leur avait dit, elle ne savait pas comment faire appel à ses pouvoirs, et ignorait tout du processus qui leur permettait de se déclencher. Quel affreux timing. Inconsciemment, son regard chercha prestement du réconfort dans celui de Fate, pourtant dérobé à sa vue par ses paupières fermées. Il n'était plus là. Il ne pouvait plus les protéger du danger, et s'avançait lentement dans les affres de la mort. Solen était seul.

Brusquement, l'un des loups s'élança vers lui en des bonds gracieux et prestes. Un carreau d'arbalète siffla avant de se perdre dans la nuit. Lentement, le garçon sentit les canines en bois de la bête transpercer sa chair. Elle avait sauté en plein sur lui, et lui mordait la clavicule. Elle le secoua vivement, déchirant d'avantage la morsure, faisait exploser des flots de sang qui baignèrent le visage horrifié de l'adolescent. Sa voix le trahit. Aucun son ne consentit à s'échapper de sa bouche ouverte. Aucune main ne saisit la sienne tendue vers les cieux. Les paupières lourdes, le cœur palpitant, il ne sentit rien, rien d'autre que les griffes du loup dévorer ses flancs, et la chaleur de son propre sang, réchauffer son corps. Ses iris, qui viraient au gris, se posèrent sur le sol.

Tout ce sang... On dirait ce jour-là...

Tiens ? Qu'est-ce que je fais là ? N'étais-je pas mieux là-bas ? J'étais heureux, j'avais un chez-moi, de quoi manger...

Qu'est-ce que je raconte ? J'étais heureux ?

*

* *

— Comment osez-vous faire une chose pareille ? Comment allons-nous vivre si vous nous chassez nos demeures ?

Tiens ? Mes souvenirs s'emmêlent avec la réalité. Je serais en train de mourir ?

— Vous nous avez déjà pris ce qu'on avait comme vivres la semaine dernière. Si vous voulez nous tuer, usez de vos glaives au lieu de nous pourrir l'existence.

C'est mon père ? Ah d'accord... C'est avant sa mort. Oui, c'est le moment où le soldat a tiré son épée et lui a frappé la gorge. À cette époque, l'Ancien avait chassé tous les résidents du district d'Uma afin de tenter d'y faire fleurir un élevage de volatiles, malgré le haut risque qu'une épidémie se déclare et infecte tout le camp.

Un garçon à la chevelure blonde abondante, le corps recouvert de gale et les dents à moitié cariées tenta de subtiliser la bourse d'un soldat.

Étrange... Cette scène se déroule deux ans plus tard, je devais avoir quatorze ans. À cette époque, je dormais dans la rue –ma maison ayant été détruite et mon père exécuté– et ne me nourrissais que grâce aux larcins que je parvenais à perpétrer. Sauf que... Ce jour-là, j'aurais dû accepter que la faim me torde les entrailles.

Le soldat se rendit compte du forfait et attrapa le jeune homme par le col et le hissa au-dessus du sol, de manière à croiser ses yeux bruns emplis de hargne.

— Tiens, tiens... Qu'avons-nous là ? grogna l'homme dont la rudesse des traits était mise en relief par son imposante carrure. Un voleur ! Ils sont vraiment nombreux en ces temps-ci. Ils copulent ou quoi ? railla-t-il.

— La plupart d'entre eux proviennent de l'ancien district d'Uma, intervint un autre aux cheveux noirs qui semblaient briller sous les lumières des cristaux, il ne doit certainement pas savoir qu'ici au district de Reg patrouillent les meilleurs soldats du camp. Après tout, nous gardons l'une des entrées, ajouta-t-il en se rapprochant de l'éphèbe afin de le contempler de plus près.

Au bout de quelques instants, il soupira et se gratta la tête en râlant.

— À ce rythme, la situation va vraiment dégénérer. Et je n'ai pas l'impression que l'Ancien s'en préoccupe.

— Tu m'étonnes qu'il n'en ait rien à faire ! Avec son projet de ferme qui a subi un échec cuisant, il s'attèle à renforcer notre équipe de moissonneurs. Alors un problème lié à la plèbe qui ne sait pas garder sa place...

— Et pourtant, cette plèbe constitue plus des deux tiers de ceux qui vivent dans ces galeries, piqua l'acolyte du colosse.

— Hum...Bon, Fregel, que fait-on de lui ? On le laisse partir après une bonne bastonnade ?

Ah, c'est ce moment-là... Je pensais avoir tout perdu. Mais j'ai appris qu'il y avait toujours à perdre tant qu'on respire.

 Mais j'ai appris qu'il y avait toujours à perdre tant qu'on respire

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