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Je suis mon père qui porte les derniers cartons. Pour une des dernières fois, je tire la porte rouge de ma maison puis je reste plantée sur le trottoir à la contempler.

- Tu sais à quel point je suis fier de toi Cara... Tu as grandi si vite, je n'ai pas vu le temps passer. Regarde-toi maintenant, prête à intégrer l'Université des Métiers. Tu sais déjà lequel tu vas choisir ? Enfin si tu as le bon classement et je suis sûr que tu l'auras.

Ces quelques paroles me réchauffent le cœur pendant que je jette mes sacs dans le coffre d'une voiture trois places. Je me rappelle plus la dernière fois où j'ai bien pu monter dedans. Cela doit remonter à au moins deux ans. Il est rare qu'on puisse en emprunter une même si elles fonctionnent totalement à l'énergie solaire. Cependant pour les grandes occasions, la Fondation fait certaines exceptions et puis je n'allais quand même pas trainer mes affaires derrière moi pour aller à la cérémonie.

En cette grande soirée, j'ai sorti la robe que mon père m'a offert à mes dix-huit ans, spécialement pour cette soirée-là.

- Tu es magnifique ma chérie, tu lui ressembles tellement.

Il se tourne pour sourire de toute ses dents et s'attarde quelques secondes pour me contempler. Je le regarde aussi dans les yeux, essayant de graver ces souvenirs dans ma mémoire. Je ne sais pas dans combien de temps je pourrai revoir mon père, je ne suis jamais restée plus d'une journée loin de lui. Il va tellement me manquer. Je suis tellement reconnaissante pour tout ce qu'il m'a donné et sacrifié afin que je puisse accéder à un meilleur avenir. Au fond de moi j'aimerai rester à ses côtés, je ne veux pas le laisser seul.

- Merci papa, merci pour tout.

- Merci à toi Cara. Merci de m'avoir permis d'être un père.

- Le meilleur des pères.

Je vois une petite larme couler sur sa joue droite qu'il essuie rapidement. Il se ressaisit instantanément.

- Je sais que je n'ai pas pu te donner tout ce dont tu avais besoin, j'ai fait de mon mieux.

- Papa non, tu m'as tout donné, je ne pouvais pas imaginer mieux.

- Je m'en veux tellement de ne pas avoir été aussi bien classé que tu le seras. Tu aurais pu mieux vivre.

- Mais tu n'aurais pas rencontré maman.

Je lui souris.

- Certainement.

- Raconte-moi comment tu l'as rencontré.

Je ne lui avais jamais demandé. Je sais que cela est un sujet sensible mais vu que je pars dans quelques heures j'aimerai beaucoup savoir. Sans aucune hésitation, il commence son récit.

- Nous avons passé l'examen final la même année : on s'est donc retrouvé ensemble à l'Université des Métiers. Nous faisions partie de la promotion 2071. Je l'avais déjà vu au Centre de Connaissances mais nous n'étions pas amis. Elle était de la 2ème Classe et moi 4ème. Elle a réussi à se surclasser, malheureusement pour moi, je n'étais pas assez assidu pour m'en tirer. Et puis quand on s'est retrouvé à l'Université, on avait tous grandi et pour le peu de temps qu'il nous restait tous ensemble, on se réunissait tout le temps. Les 1ère et 2ème Classe organisaient tout le temps des soirées, des jeux, des réunions... On nous laissait faire même si c'était interdit. Je pense qu'ils veulent qu'on profite une dernière fois avant d'être « manipulé » par leurs soins. Les querelles de Classe disparaissaient pendant un instant, nous vivions le moment présent.
Nous n'avions que sept mois devant nous avant d'entrer dans la vraie vie et nous mépriser les uns et les autres. Et c'est lors d'une de ces soirées que j'ai « rencontré » ta mère. Je suis tout de suite tombé amoureux d'elle en la voyant avec cette longue robe blanche. On aurait cru voir une mariée. Je l'ai tellement dévoré du regard qu'elle s'est précipité sur moi pour me traiter de pervers ! Je lui essuie la petite larme sur sa joue. Alors qu'elle me traitait de tous les noms, je lui ai tendu la main pour lui demander de danser avec moi. Elle a refusé bien sûr, tout en me traitant davantage et rigolant avec ses copines. Maintenant il se met à rigoler. Ce n'est que vers le milieu de la soirée, qu'elle est revenue vers moi, seule cette fois et elle m'a proposé une danse. Je ne savais pas pourquoi un tel revirement de situation mais j'ai accepté. Nous avons dansé tout le restant de la soirée, collés l'un contre l'autre. Et à un moment elle m'a chuchoté à l'oreille qu'elle avait attendu ce moment toute sa vie et qu'elle avait toujours essayé d'attirer mon attention mais que ses parents n'auraient pas acceptés cette relation. Je n'en revenais pas ! Je l'ai raccompagné à son dortoir et nous ne nous sommes plus jamais quittés.
Nous nous étions promis de finir l'Université avec notre premier choix de métier, de s'installer ensemble et de vivre heureux. Hélas, comme tu dois le savoir maintenant, les relations entre différentes Classes ne tiennent pas toujours et sont très peu tolérées par la Fondation. Le mariage, la conception d'un enfant ou l'achat d'un logement sont soumis à d'énormes conditions. Alors à la Cérémonie de remise des métiers, le trente et un décembre de cette même année, devant tout le monde, ta maman a fait le sacrifice des avantages de sa Classe et de son métier pour s'installer avec moi et t'avoir. Il me tient la main. On s'est marié trois ans plus tard et on t'a eu cinq ans après : on t'aurait donné des grands frères ou des petites sœurs si on avait pu.

Retrouve Moi Une Dernière FoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant