Acte III, scène 3.

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Estebar et Jaesa.


A mi-chemin vers la chambre du Roi, la troisième Princesse chancelle. Le Conseiller la rattrape de peu. Anxieux pour sa santé, il fait signe aux Princes de rejoindre leur père, tandis qu'il la soutient.

ESTEBAR Vous êtes épuisée. Vous n'avez cessé de galoper toute la journée durant pour préparer la fête et voilà que vous ne tenez plus sur vos jambes. Devrais-je vous ramener à vos appartements ?

JAESA Non, je veux aller voir père.

ESTEBAR Votre Altesse, ne vous surmenez pas. Le Roi est déjà bien entouré. Vos frères veillent sur lui. Reposez-vous et demain, vous irez les joindre.

JAESA Lord Estebar, qui veillera sur moi pendant ce temps ?

ESTEBAR Je peux le faire. Si c'est votre souhait, je serai le protecteur de votre nuit. Mais pour cela, il faut dormir.

JAESA, les yeux brillants de fatigue — Vous êtes un Ange. Par chance, vous êtes le mien. C'est un ordre, Estebar : restez avec moi pour toujours. Ne me quittez jamais. Ne me faites jamais souffrir. Et... Et aime-moi pour l'éternité.

ESTEBAR, soupirant et baissant la tête — Je crains que nous n'ayons l'éternité à notre disposition. Je ne peux vous aimer que la nuit, quand votre père détourne le regard ou quand il est absent. Quelques minutes par jour ne vous suffiront, votre Altesse. Ne songez plus à cet être insignifiant que je suis et voyez grand. Des tas de nobles et de Princes - dignes de vous - sont à vos portes. Ouvrez-leur et soyez heureuse.

La Princesse se sépare brusquement de son étreinte et le toise, agacée et troublée.

JAESA Cela veut-il dire que vous n'êtes pas digne de moi ? Qu'à vos bras, je ne serai heureuse ?

ESTEBAR Bien sûr que non, votre Altesse. Je suis le Conseiller du Roi et vous êtes sa fille. J'ai grandi avec votre père et je vous ai par la suite vue grandir. Votre père et moi avons reçu une éducation similaire et je vous ai éduquée des années après. Je vous connais par cœur, même la couleur du nœud à cheveux que vous préférez.

JAESA Moi aussi, je vous connais !

ESTEBAR Savez-vous quel aliment j'adore ? Savez-vous quelle boisson je favorise aux autres ? Savez-vous ce que j'observe le soir ? Savez-vous comment je noue mon haut ? Par ailleurs, savez-vous pourquoi des serviteurs ne le font pour moi ? En ce qui vous concerne, j'ai toutes les réponses. De la viande à peine grillée et séchée, accompagnée des légumes que vous êtes allée cueillir le matin avec vos Dames de Compagnie ; du vin parce que vous avez l'impression d'être plus âgée en buvant de l'alcool ; les différentes tailles des étoiles, car vous présumez qu'il existe une hiérarchie entre elles ; d'abord le côté droit, c'est une habitude que vous avez prise depuis votre enfance ; et vous détestez qu'on vous habille puisque vous vous sentiriez encore enfant. Pouvez-vous répondre à ces questions à mon sujet ?

JAESA Comment le pourrais-je, alors que vous me repoussez toujours ?!

Des larmes s'invitent aux coins de ses yeux noirs intenses et elle s'en veut de pleurer devant lui. Elle se retient courageusement.

JAESA Cependant, vous doutez-vous une seconde de pourquoi est-ce que j'ai ces préférences et ces habitudes ? Je suppose que non, vous êtes trop aveugle ! Laissez-moi donc vous éclaircir. La viande grillée et séchée est le mets que vous m'aviez cuisinée un jour d'automne où mon esprit était monopolisé par les nuages ternes. Vous aviez su me redonner mon sourire ! Ce jour-là, vous m'aviez assurée que la nourriture était meilleure si nous la cueillons et préparons de nous-mêmes. Depuis, je sors régulièrement du palais à l'insu de mon père afin de rapporter mes propres légumes. Et vous aviez raison, le goût en est largement amélioré ! Du vin pour paraître plus âgée, mais surtout auprès de vous. Je me fiche de comment Ethrian me voit. Enfant ou pas. Tant que vous me considérez comme une adulte, je suis réjouie ! C'est vous qui m'avez appris l'astronomie. C'est à vous que je dois mes contemplations nocturnes ! Pour finir, c'est en vous regardant vous apprêter de votre tunique de soie que j'ai adopté cette habitude du pan droit en premier.

ESTEBAR, bouleversé par les aveux — Votre vie est-elle à ce point ancrée sur moi ?

JAESA Vous êtes le seul à ne pas l'avoir constaté ! Lord Estebar, le jour où l'on m'a dictée la définition de l'amour, j'ai su que celle-ci vous était destinée. Je vous aime et vous épouserai quoi qu'il m'en coûte.

ESTEBAR, hésitant — Votre père n'est pas sûr de survivre et vous pensez au mariage...

JAESA Mon plus merveilleux rêve est de pénétrer la salle du trône, mes frères de part et d'autre de l'immense allée, mon père sur son siège, ma mère me scrutant méchamment comme à l'accoutumée, et vous à mes côtés. Dans ce séduisant songe, je m'incline face à sa Majesté et je lui délivre une requête. Lord Estebar me comblera de bonheur, j'en suis convaincue, alors ne vous opposez pas à notre union. Voilà ce que je lui dis. Et il accepte. Mon père ne doit pas mourir, sous aucun prétexte, ou mon rêve tombera aux oubliettes.

ESTEBAR, perdu — Votre Altesse, s'il vous plaît, ne dites plus un....

JAESA Je n'attendrai pas qu'il succombe. Ne comptez pas sur moi pour me retenir. S'il le faut, je m'enfuirai avec vous. Mais nous serons mariés, je vous le jure !


Ethrian III - Eriel et Ana-suOù les histoires vivent. Découvrez maintenant