Chapitre 0

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Depuis ses premiers cris poussés dans le creux d'une roche humide et froide, c'était la première fois qu'il ressentait sur son visage la lumière du soleil. La chaleur rayonnante de l'astre fit parcourir dans tout son être un friselis de plaisir. Ses poils s'hérissèrent et ses yeux bleus s'illuminèrent lors de ce baptême solaire.

Toute sa vie se résumait en un exil forcé dans cette grotte. Et la seule lumière qu'il avait jamais connu, c'était celle des cristaux magiques qui constamment éclairaient les entrailles lugubres du petit camp Maltrea. Jamais il n'avait pu s'aventurer au-dehors. C'était trop dangereux pour un enfant de treize ans. Mais en fait, ça l'était pour tout le monde.

Ce jour-là, Fate comprit pourquoi. Car la vérité vint à lui, avec à sa suite un messager de la mort.

C'était l'un de ces matins tranquilles où tout le monde se prépare à affronter la routine, se levant péniblement de sa couche, en désirant prolonger son sommeil. Les enfants, matinaux, courraient dans tous les sens au grand dam des gardes qui avaient veillé toute la nuit et qui attendaient la relève, le corps courbaturé.

Fate et son frère Ethan, comme à chacune de ces aurores banales, faisaient la queue au Secours populaire. Ce dernier, mis en place pour fournir de la nourriture aux orphelins dont le nombre croissait à l'inverse des vivres disponibles. Ils avaient vécu ainsi des années durant sans jamais se plaindre, essuyant la misère chronique et les maladies auxquelles ils survivaient miraculeusement.

Et alors, la bête gigantesque s'était écrasée sur le camp, tombant du ciel telle une comète. Elle brisa le plafond et leur routine dans un grondement apocalyptique. La déflagration qui naquit de la collision entre son corps et le sol souffla les bicoques de bois mal construites éparpillées dans l'enceinte étouffante de la roche. Sur ses écailles noires, se reflétait la lumière tamisée du matin. Elle les salua d'un rugissement terrifiant qui ébranla les parois bancales de la grotte ainsi que les cœurs de ses habitants. Les yeux hagards, ils dévisageaient la mort qui les fixait de ses prunelles émeraude.

La chaleur du soleil que ressentait le garçon n'était pas un signe de liberté. Et l'air pur qui gonflait ses poumons n'était pas vivifiant, car le destin était venu à leur rencontre. Horrifié, il fixa la bête sans pouvoir bouger, tandis qu'elle dévorait allègrement chaque âme à sa portée. L'odeur du sang. Le bruit des os se brisant. De la chair se déchirant. Des cris, des hurlements à peine humains. Cette scène macabre exacerba l'instinct de survie des habitants du camp, étouffé sous trois siècles d'isolation souterraine.

Ainsi, une marée humaine tenta de se ruer en catastrophe hors du refuge. Bousculant tout. Écrasant tout. Dans le chaos, piétinant les plus faibles. Les réduisant en loques. Plus rien ne semblait prévaloir sur le désir de vivre. Une symphonie était jouée, la mort comme orchestre. Fate serra très fort dans sa main celle de son petit frère, et courut aussi vite qu'il le pouvait. Vite ! Se hurla-t-il. La sortie n'était plus loin. Elle leur tendait les bras.

Ils allaient s'en sortir. Comme ils avaient toujours su le faire, à tout prix.

Soudain, la bête se remit à hurler. Ses yeux s'illuminèrent. Elle ouvrit sa gueule et vomit de gigantesques flammes noires qui vinrent noyer l'essaim de fuyards. Ceux qu'elles touchaient ne criaient même pas. Ils s'écroulaient, sans vie, tandis que leurs corps ardés se flétrissaient contre le sol. Comme si avant de s'en rendre compte, ils avaient cessé d'exister.

Le dragon cracha. Encore et encore, sans s'arrêter. Dans toutes les directions, malgré la destruction. Malgré qu'il ne restait pas pierre sur pierre. Un concentré de maléfice.

Dans le chaos, il s'aperçut que deux enfants n'avaient pas été touchés par ses attaques. Alors, tandis qu'ils s'enfuyaient, il sauta et leur tomba dessus.

FATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant