La Fille Gelée et la Prophétie

Une nuit difficile

         Les nuages n'étaient pas réapparus, et lorsqu'Othar leva la tête en soupirant, il put admirer les nombreuses étoiles qui jouaient à cache-cache avec la cime des arbres. La journée avait été loin d'être de tout repos, et la fatigue tiraillait la moindre parcelle de son corps. Il n'avait ni dormi, ni mangé depuis la veille au matin, et il savait qu'il ne tiendrait pas longtemps s'il ne s'octroyait pas un peu de repos.

        Assis, adossé contre le tronc d'un arbre, Othar serrait les poings, tremblant. Ces cinq derniers mois avaient été durs, tant physiquement que psychologiquement. Cette course poursuite incessante derrière les dirigeants elfiques n'avait eu que pour but de les neutraliser pour retrouver une paix sereine au sein de la Forêt. Le jeune elfe et Hyamendacil avaient néanmoins décidé de les laisser vivre malgré leur haine respective envers ceux qui avaient causé tant de mal. Envers ceux qui lui avaient infligé une flagellation doublée d'une humiliation.

        Othar passa ses mains sur son crâne en échappant un grognement lorsque ses doigts sales rencontrèrent une profonde plaie qui lui vaudrait une seconde cicatrice derrière son oreille droite. Il avait eu de la chance que la flèche n'ait fait que l'effleurer. Contrairement à Ponghu.

        Si le jeune elfe avait été très occupé ces derniers mois en plus des différentes batailles menées, du fait de sa position de supérieur, il avait néanmoins trouvé du temps pour discuter avec ceux qui se battaient à ses côtés, dont Ponghu, Jayse, Soan et Luuis. Le premier avait été d'une gentillesse rare, il avait eu la main sur le cœur, toujours prêt à se sacrifier pour éviter aux autres de se retrouver dans des situations peu plaisantes. Cette fois-ci, Ponghu avait perdu la vie en voulant aider un de ses amis. Ces derniers étaient inconsolables, sonnés, et certains restaient dans le déni, même face au corps inanimé du combattant.

        Sur une décision collective des différents supérieurs qui avaient mené cette guerre civile, les morts seraient brûlés dans les plus brefs délais, lorsqu'ils auraient tous été identifiés. Les défunts venant de tous les coins des royaumes, qu'ils soient humains ou elfes, les rapatrier était trop compliqué, et les enterrer relevait de l'impossible. Les hommes étaient exténués et aucune magie suffisamment puissante n'était à leur disposition pour creuser à leur place. De plus, attendre trop longtemps signifierait une trop grande décomposition des corps, les mouches bourdonnant déjà par centaines tandis que deux vautours avaient été aperçus dans l'après-midi, décrivant de grands cercles dans le ciel. Ils ne pouvaient tout simplement pas laisser les charognards s'approcher des corps. Le plus simple était donc de tous les rassembler pour former un immense bûcher. Ils craignaient cependant que la forêt ne soit avalée par les flammes, alors plusieurs soldats étaient déjà partis recueillir de l'aide, espérant tomber sur un magicien qui pourrait les aider à limiter les dégâts.

        Othar soupira de nouveau, les yeux perdus quelque part entre la voûte céleste et ses sombres pensées. Il songeait à Suron qui était dans un état critique malgré les mains expertes de Rùmil. Il pensait aux amis qu'il avait perdus. Il pensait à Aïkida. Avait-elle retrouvé sa sœur ? Était-elle rentrée à la Vallée ? Le jeune elfe espérait de tout cœur que les réponses soient positives. D'après ce qu'il avait compris, la jeune femme n'avait plus que sa sœur. Elle avait certes un oncle qui habitait le village Oribana, mais Suron lui avait raconté qu'Aïkida avait été obligée de lui mentir pour le préserver. Alors si Emelï restait introuvable ou si elle était retrouvée morte, la jeune Ilewite n'aurait plus que Suron. Et ce dernier avait basculé entre la vie et la mort quelques heures auparavant.

        Othar ne savait pas comment il pourrait réagir si le maître d'armes venait à succomber à ses blessures. Il avait trouvé en lui non seulement un fidèle ami, mais également une figure paternelle qu'il avait perdue étant plus jeune, à ses vingt-huit ans.