Chapitre 15 : Mathéo

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Jeudi 23 Mars, Cours de récréation du Lycée privé Sainte-Émilianne

Trois mois. Cela fait maintenant trois mois qu'on la voit dépérir un peu plus chaque jour. Romain pense que c'est à cause du suicide d'Éléanore qu'elle est comme ça, mais moi je vois bien qu'il se passe quelque chose. Sa façon de nous regarder sans cesse du coin de l'œil, de nous suivre partout comme notre ombre.

- Allons lui parler Romain, s'il te plaît.

- Plutôt me crever un œil ! Vas-y toi si tu veux.

- Non, tous les deux, c'est important : il faut qu'on aille la voir, ensemble.

Je me lève d'un bond pour faire état de ma détermination. Après un très long soupir, il se redresse à son tour et s'en va vers Alisée d'un pas las et hésitant. Le temps de traverser la cour et nous arrivons en face d'elle. Mais après un rapide échange de banalités, la gêne s'installe, personne n'osant briser le silence. À un moment, Alisée se met à pleurer tandis que Romain et mi nous échangeons un regard d'incompréhension.

- Je suis tellement désolée. Je vous jure que je ne le voulais pas, réussit-elle à exprimer entre deux sanglots.

- Hé, calme-toi, tout va bien. Tu n'as pas à t'excuser de quoi que ce soit.

D'un coup, elle se jette sur Romain et pleure dans ses bras. Ne sachant pas trop que faire, il tapote doucement son dos en me lançant un regard meurtrier.

- Vous avez l'air si heureux tous les deux que je ne peux m'y résoudre.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as des problèmes ? m'enquis-je d'une voix que j'espère réconfortante.

- Oui, j'ai des problèmes, ou plutôt un seul en fait. C'est un secret qui depuis bientôt quatre mois grandit inéluctablement en moi.

- Pourquoi ne nous en as-tu jamais parlé ? s'inquiète Romain. Ok, on a eu des différends mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, n'est-ce pas Mathéo ?

- Ah euh oui... Évidemment, tu peux tout nous dire Alisée.

- Comment aurais-je pu vous le dire ? Je ne pouvais pas juste débarquer devant vous et lâcher la bombe comme la suggérer cette pétasse qui m'a gâchée la vie ! Père lui-même m'a reniée et chassée du domicile familial où j'ai vécu ces quinze dernières années.

- Attends, tu ne vis plus chez toi ? Mais pourquoi ? Où vis-tu dans ce cas ?

- Je suis réduite à vivre sur le parking du centre commercial de Quimper, dans la voiture que Nanny a délaissée avant d'être rapatriée en Écosse. N'étant pas en âge de conduire et n'ayant personne vers qui me tourner, c'est avec une immuable tristesse mêlée d'une profonde honte que je me rends chaque soir depuis ce qui me semble être une éternité aux Restos du cœur ainsi qu'aux différents organismes d'aides aux personnes en difficulté. Je suis devenue une loque mendiante des super-marchés ! Vous y croyez, vous ? Alisée, lycéenne le jour et SDF la nuit.

- Tu aurais du nous appeler ! Ou bien nous envoyer un message, je ne sais pas, quelque chose !

- Oui, il est vrai que j'aurais pu demander de l'aide aux trois autres personnes concernées par ma grossesse, mais à qui ? Certainement pas à Éléanore puisque de là où elle est, elle ne peut rien faire. Ni à toi, Mathéo, car je devrais alors t'avouer l'inavouable. Aussi, il ne restait que Romain. Quelle ironie ! Tout à commencer avec lui, aussi est-ce logique que je me tourne vers lui – ou du moins, ce n'est pas illogique. C'est par ailleurs une des deux personnes à me connaître mieux que je me connais ; l'autre vit désormais entre Édimbourg et le lac du Loch Ness.

- M'avouer l'inavouable ? Je ne comprends rien absolument rien ! j'avoue, mettant à mal ma dignité.

- Je suis enceinte de toi.

- Tu mens !

- Mathéo, calme-toi, me dit Romain. Et écoute plutôt ce qu'elle a à dire pour sa défense !

- Écoute Romain, si tu me juges je te jure que je te tue ...

- Je ne pense pas que tu soies dans la bonne position pour proférer des menaces, Alisée ! crache Romain.

- Bon très bien, c'est arrivé après la soirée des jumeaux quand sous les ordres d'Éléanore nous l'avons fait, Mathéo et moi...

Le déroulé de son récit me fait revivre cette nuit horrible et les jours qui s'en sont suivis. Tout me revient en mémoire désormais et ce, dans les moindres détails. Il ne me semble plus improbable qu'elle soit enceinte.

- ... mon père n'a pas pu encaisser le fait que je voulais garder... la chose. N'est-ce pas idiot de conserver l'instrument de ma propre perte ? De toutes façons, selon les délais prescrits par la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, je ne peux plus avorter. Alors à moins qu'il ne m'arrive un quelconque accident, le bébé naîtra dans quatre mois.

- Oh mon Dieu, parvient à dire Romain contrairement à moi qui reste bouche bée.

- La seule chose qui me motive le jour et qui me fait rêver la nuit, c'est que je suis plus forte que tout ce que le monde pense de moi et il est temps d'arrêter de jouer à la faible. Je vaux mieux que ça, mon bébé vaut mieux que ça.

- Je n'arrive pas à croire que tu aies gardé tout ceci pour toi ! Tu n'es vraiment qu'une...

- Fille courageuse ! je déclare pour faire comprendre à Romain qu'Alisée n'a pas besoin d'être rabaissée plus qu'elle ne l'est déjà. En tous cas, il est hors de question que tu passes une nuit de plus, seule, dehors, dans le froid.

- Mathéo, je ne suis pas sûr que ta famille d'accueil accepte de l'héberger...

- En revanche, cela ne posera aucun problème à ta mère.

- Mathéo, Romain, tout va bien, ne vous en faites pas pour moi : ma voiture est très confortable et les jours vont en se réchauffant.

- Bon c'est d'accord ! obtempère Romain. Ce soir, tu récupères tes affaires et tu viens à la maison. Mais je te promets qu'à la plus infime contrariété, tu pars subito presto.

- Merci infiniment Romain ! Je ne sais pas comment te remercier : tu me sauves la vie, littéralement.

ROMÉOOù les histoires vivent. Découvrez maintenant