Nous accélérons, le vent glacé fouettant nos visages. Chaque pas peut être le dernier. J'avance, haletante. Plus je fais de grandes enjambées, plus la vitesse à laquelle la passerelle tombe grandit. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir exactement ce qu'il se passe derrière moi : les aboiements enragés de la bête qui nous poursuivait, dont le son diminue au fur et à mesure que je m'éloigne du bord m'indique que notre prédateur n'a pas osé nous suivre. Malheureusement pour nous, ce n'est pas ça qui indique que nous sommes hors de danger ! Seconde après seconde, le bois tombe et je vois les cordes qui retiennent les dernières planches s'effiler.
- Il faut y arriver !
- On ne pourra pas atteindre l'autre côté !
Elia hurle pour se faire entendre :
- Si on veut vivre, on n'a pas le choix ! On a échappé à deux cent soldats, c'est pas un pont qui va nous tuer.
Un rugissement sauvage est la seule réponse à sa tirade. Je jette un regard par-dessus mon épaule. L'animal ... a sauté. Il saute sur chaque planchette de bois encore en place pour nous rattraper, la lacérant au passage de longues entailles profondes. Il faudrait être fou pour penser une seule seconde qu'il nous reste une chance de nous en sortir. Alors j'ai la preuve que sur ce pont, nous sommes tous fous. Nous continuerons d'avancer. Je continuerai d'avancer.
- Nous y sommes presque!
Plus que quelques pas .... Mais soudain, un énorme craquement retentit. A l'autre bout du pont, les cordes ont lâché. Ce qui reste de la passerelle est en train de revenir s'écraser contre la paroi du mont que nous voulions atteindre. Surpris par le mouvement, notre poursuivant lâche prise et tombe dans le vide, miaulant et gémissant comme un inoffensif animal, donnant ses coups de pattes dans l'air. Maintenant, il reste nos vies à sauver. La routine.
J'ai l'horrible sensation que quelqu'un pourrait ne pas s'en sortir. Elia parvient à s'accrocher sur le rebord de la pierre. Pendant qu'Isis l'aide à monter, nous sommes précipités sur la falaise, pendus à un morceau de ficelle. La roche me frappe de plein fouet. Un peu sonnée, je reste fortement accrochée à la cordelette que je suis parvenue à attraper lors de l'écroulement du pont. À peu près à la même hauteur que moi, Oren et Lory sont également suspendus dans le vide. Cependant, ils resserrent étroitement leurs mains sur leurs prises, et commencent à remonter, à la seule force de leurs bras et de leurs jambes. Au bout de quelques secondes, ils sont hors de danger. Je comprends alors que la seule personne qui pourrait ne pas s'en sortir, c'est moi. J'ai le choix entre rester à ne rien faire, pendue au-dessus de plusieurs kilomètres de vide, ou essayer de faire comme eux. Ou bien lâcher prise. Faire comprendre à la vie que j'en ai marre qu'elle fasse des siennes, juste en l'abandonnant. Hors de question. Je force sur mes doigts, et appuie bien mes pieds sur la paroi. Et je pousse pour monter de quelques centimètres. Après plusieurs minutes de ce petit manège, je suis enfin à la hauteur d'Isis. Ma corde ne tiendra plus très longtemps. Elle me tend une main :
- Lâche une main et prends la mienne!
Hésitante et tremblante, je décroche peu à peu mes doigts rouges d'efforts de la corde rugueuse. Mes tempes battent mon pouls tandis que j'attrape fermement celle d'Isis. A peine ai-je mis ma paume dans la sienne que le dernier morceau de ficelle qui me retenait craque et tombe. Il était temps.
J'ai vu le vide en dessous de moi avaler beaucoup trop de choses aujourd'hui, et je n'ai aucune envie d'aller les rejoindre. D'une seule main, Isis me remonte sur le mont fortement incliné.
- Merci.
- Avec plaisir.
Elle me sourit, éclatante. En face de moi se trouve la toute première montagne de la chaîne d'Aldia, dont le cratère nous a abrités. Et derrière moi, se trouvent toutes les autres montagnes, des centaines, dans lesquelles nous allons devoir nous enfoncer pour échapper aux soldats. Mais à part survivre, nous avons une autre mission. Mission qui nous sauverait nous, mais qui sauverait également tout le peuple de Valandia. Trouver la « chose » qui peut sauver le monde. Il faudra pourtant d'abord nous sauver nous. C'est exactement pour cette raison que je me relève aussitôt :
- Il faut continuer.
Oren me prévient :
- Ce que nous venons de vivre n'est qu'un échauffement comparé à ce qui nous attend plus loin.
- Je sais. Mais ce qui est devant nous est mille fois moins dangereux que ces soldats qui nous pourchassent. Ils connaissent désormais nos forces, mais aussi nos faiblesses, qu'ils ont eu le temps de dénicher pendant la bataille. Nous n'aurons pas autant de chance la prochaine fois.
Elia esquisse un sourire :
- Après ce petit discours revigorant, je propose de se mettre en route. Nous n'avons pas le temps pour les bavardages.
Les pieds traînants, chargés de fatigue, nous reprenons notre chemin.
Oren soupire :
- Il faut qu'on escalade le mont jusqu'à son sommet. Ou on finira gelés.
Il commence, transis par le froid, et je l'imite. C'est repartit.
Le soleil est maintenant haut dans le ciel, et nous avons enfin atteint le haut de la montagne. L'endroit où nous nous trouvons désormais est plat. Un paysage complètement désertique s'étend autour de nous. Des kilomètres de sable et de gravier, que nous devrons traverser pour atteindre le prochain mont. Mais surtout, le silence, le calme qui règne partout.
Chaque pierre qui roule sur quelques centimètres semble provoquer un vacarme. Pas le moindre signe de vie. La gorge irritée et asséchée par la poussière, ma voix est presque rauque :
- Les montagnes sont réputées pour les animaux mortels qui l'habitent... mais il n'y a ...rien ici.
- Il y a beaucoup plus d'êtres vivants que tu ne le crois... Comme ce rongeur là-bas. ; me répond Isis, pointant du doigt un endroit qu'elle ne regarde même pas.
Plissant les yeux, j'aperçois une petite boule de fourrure noire, qui s'agite en grattant le sol.
- Ne t'approche pas. Le venin qui coule dans ses veines te tuerait en quelques secondes s'il te mordait ou même te griffait.
- Mais comment as-tu fais pour ... deviner sa présence ?
- Grâce aux dons que m'a faits Teyla, l'esprit des animaux, je peux... disons...sentir la présence des animaux les plus proches. Ce pouvoir est limité à quelques mètres, c'est pour cette raison que je n'ai pas deviné qu'un fauve allait vous attaquer. Je sens la vie tout autour de moi, du plus ridicule insecte au plus grand des animaux. Sous ton pied, par exemple. Il y a un nid d'insectes tueurs.
Par réflexe, je soulève soudainement mon pied.
- Sous ton pied, mais plusieurs mètres sous la terre. Je sens chaque animal à quelques mètres à côté, en-dessous ou au-dessus de moi.
- C'est ... incroyable...
- J'ai toujours vécu avec ce don. Ça fait partie de moi. Et ...
Elle arrête de parler subitement et me tire vers elle.
- Serpent siamois.
Je me penche légèrement et aperçoit une tête triangulaire surmontée de deux yeux noirs perçants, dont le corps est camouflé par la poussière et les graviers.
- Sa deuxième tête doit se trouver ... ici.
Elle me pointe un autre endroit. Un serpent exactement identique au premier est à quelques centimètres de nous.
- Tu ne te sens jamais... étouffée ? Avoir conscience de toute vie autour de soi me paraît lourd à porter...
- Non.
Cet animal fait froid dans le dos, mais je sais très bien que ce n'est pas le pire que nous trouverons ici. Dans ces lieux inhabités, c'est le cycle animal qui règle tout. Le plus ridicule animal peut être tout aussi dangereux qu'un immense félin. Chacun ici a sa manière de se défendre, y compris nous. De simples armes auraient fait de faibles combattants face à cette faune sauvage, mais les Méridians sont surpuissants.
- Isis, il y a beaucoup d'autres dons de ce genre ?
- Nous avons encore beaucoup de chose à te révéler, crois-moi. Nous sommes tous différents, mais nous sommes tous puissants à notre façon. Tous dangereux à notre façon.
- Je ...
Le début de ma phrase se perd dans les montagnes, et la suite n'arrivera jamais. A quelques centaines de mètres, je peux distinguer des formes sombres. Des tentes. Il y a des humains ici !
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Valandia. T1_Maudite
FantasyTOME 2 ABANDONNÉ « Le sang... le sang partout. Le sang dans ses yeux, le sang sur mes mains. Partout. » J'ouvre les yeux. La sueur colle à tous les pores de ma peau. Cauchemar. Ce n'était qu'un cauchemar. Puis je me rappelle de la date d'aujourd...