Chapitre 17 : Le poison

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Je me réveille en sursaut. Oren est penché au-dessus de moi. Les arbres sont toujours là. Les traces de cendre aussi. Tout est exactement semblable.

Tout, hormis cette douleur atroce, ce feu invisible qui me dévore la main. D’apparence, elle est normale, sans blessure. Mais à l’intérieur, un brasier anormal avale mes muscles.

Je grimace et me retient d’hurler. Oren m’aide à me relever :
- Tu es vivante !
- Plus pour longtemps.

Il s’apprête à ouvrir la bouche, mais je le prends de court :
- Ecoute, je n’ai plus beaucoup de temps. Owo Ina a accepté de m’apprendre une seule chose. Il a quelque chose, ou quelqu’un, qui peut nous sauver.
- Mais où ?
- Dans les montagnes d’Aldia.
- Je ne vois pas comment quelque chose… ou quelqu’un pourrait survivre là-bas.
- La pierre ne ment pas. Elle ne peut pas mentir. C’est notre seul espoir.
Il me regarde grimacer une nouvelle fois. L’acide qui me consume atteint mon poignet. Il se penche précipitamment sur moi :
- Tout va bien ?
- Un poison était contenu dans la pierre. Quand je l’ai brisée, je me suis coupée.
- Tu veux dire que…
- Que le poison est entré en moi et qu’il me dévore ? Oui. Il me consumera jusqu’au dernier morceau de chair.
La douleur est insupportable. Comme si un immense feu déchiquetait chaque partie de mon corps, lentement, en jubilant. Mais j’ai un moyen d’échapper à ce supplice. J’articule si faiblement, si difficilement qu’il a sûrement du mal à comprendre :
- Oren. Tu sais toute la prophétie. Tu t’en souviendras ?
- Oui… mais tu seras toujours là pour m’aider à m’en souvenir, non ?
Il me soutient. Sa voix est pleine d’espoir.
L’espoir ne sert à rien.

- Non. Je ne veux pas agoniser pendant des heures. Tues–moi.
Il reste immobile, ses yeux plongés dans les miens pendant de longues secondes, comme si il ne pouvait pas y croire. Puis, plus lentement, il se détache de moi en secouant frénétiquement la tête :
- Je ne… peux pas.
J’utilise mon bras encore valide pour le rattraper :
- J’ai besoin de toi. C’est ma seule chance. Mon seul moyen d’être libérée.
- Tu ne peux pas dire ça. On… On va trouver une autre échappatoire.
- Ne me laisse pas !
Je lui hurle ces mots. Je m’accroche à lui comme une démente. Je ne veux plus ressentir cette douleur ! Je ne veux plus sentir la violente morsure de l’acide sur ma chair ! Je ne veux plus endurer le combat qui fait rage à l’intérieur de moi, entre mes muscles et le poison ! Mes yeux deviennent fous. Je veux que tout s’éteigne.
- Non, non, non… Ecoute, Lory va nous retrouver, elle te guérira, tout ira bien…
- Lory ne pourra pas arrêter ce poison, Oren ! Qu’importe ses techniques de médecines, c’est trop tard.
- Si. Elle peut te sauver. Tu sais déjà qu’Isis et moi sommes des Méridians. Mais Elia et Lory le sont également. Lory maîtrise la guérison. Et elle sera là à temps.
Je reste bouche-bée un instant. Tous Méridians. Ceci explique peut-être pourquoi j’étais rétablie trois jours après mon éjection du Trône.
- Elle te sauvera.
Il me fixe en essayant de croire lui-même à ses paroles. Ma respiration n’est plus qu’un souffle rauque et ma voix un murmure :
- Tu sais que ce n’est pas possible. La douleur a déjà atteint mon coude. Le poison dévore mes muscles mais pas ma chair. A partir du moment où l’acide atteindra un organe vital ce sera fini.
- Ce n’est jamais fini.
Ma vision qui se trouble me prouve que si. Je me demande pourquoi je ne me suis toujours pas évanouie… ça doit faire partie du supplice. Je ne respire plus, je ne pense plus. Je veux juste être libre. Oren ne comprend pas.
- Je t’en supplie ! Achève-moi !
- Lory va arriver.
Il ne me regarde plus. Il est tourné vers les bois, espérant que quelqu’un surviendra pour me sauver. Mais je sais que jamais personne ne pourra nous retrouver.
Je l’observe, puis sens une présence près de moi. Un lapereau. Puis un renard le rejoint. Je jette un coup d’œil à Oren et me rend compte qu’un sanglier lui tourne autour. Les animaux arrivent calmement et se placent autour de nous, créant un cercle infranchissable.
Des cerfs, des biches, des lièvres, de nombreux renards, sangliers, oiseaux, ours nous entourent. Je me crispe mais Oren semble comprendre ce qu’il se passe mieux que moi. Il murmure quelques mots presque inaudibles :
- Elle nous a retrouvés…
Je panique un instant, pensant qu’il parle de la Reine du Peuple, mais le sourire rassuré qui s’étire sur ses lèvres écarte cette option. Puis, le silence se fait dans la forêt. Plus un seul oiseau ne pépie, plus un ours ne grogne. Puis on entend au loin le bruit d’un galop régulier, qui s’approche. Et un cerf pénètre dans le cercle. Le plus grand, le plus majestueux des cerfs. Mais, plus incroyable encore, une personne se tient assise sur son dos, telle une reine, en amazone. Isis.

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant