Valandia Méridia-Chapitre 2 : Ali

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Isis s'étouffe à moitié et tente de reprendre sa contenance immédiatement après. Les jumeaux méridians et Elia fixent le roi avec des yeux presque exorbités, et je suppose que j'ai le même air ahuri qu'eux. 


Cet endroit est une Cité Méridianne. Doucement, les mots prennent sens dans mon esprit. Mais c'est bien plus que ça, c'est un endroit où nous serons en sécurité. Tous. Un endroit où, peut-être, nous aurons la vie paisible. Je sens une vague de chaleur rassurante monter en moi. Nous sommes en sécurité.

Satisfait de son petit effet, le roi fait demi-tour. Cette fois-ci, l'ouverture dans la roche reste béante après son passage. Les guerriers se mettent en formation autour de nous :
-Nous allons vous mener à vos chambres pour la nuit.
Et nous nous engageons à travers l'ouverture, qui donne sur un immense couloir. Les mêmes cristaux servent d'éclairage. Nous marchons en silence pendant un temps indéfini, avant de s'arrêter devant une porte. Derrière cette porte se trouve un autre couloir. Cet endroit est un vrai labyrinthe. Lucen s'arrête :
-Derrière ces portes se trouvent des chambres. Distribuez-les comme il vous plaira. Mais ne sautez pas l'étape de la douche.
Lory sourit :
-Serait-ce un message ?
-Disons simplement que la dernière fois que je t'ai vue, tu sentais meilleur.
Les yeux de notre meneuse brillent quand elle réplique :
-Je suis contente de te revoir.
-Moi aussi, Lory. Moi aussi...
Nous pénétrons chacun dans une chambre. Bizarrement, après avoir passé des mois entassés sur les autres, avoir un peu d'intimité me dérange presque. Je n'ai plus personne pour couvrir mes arrières pendant mon sommeil. Puis je me souviens. Ici, je n'ai besoin de personne pour couvrir mes arrières. Ici, les armées du Maître ne nous trouverons jamais.

Exténuée, je passe rapidement la chambre en revue. Il y a des réserves d'eau dans un coin, une salle de bain et un immense lit. Je prends un long bain, consciente que mon odeur ne doit pas être des plus agréables. Puis j'enfile une drôle de chemise trouvée dans un tiroir et me laisse tomber comme une masse sur le lit, le premier vrai lit depuis des lustres.

Quelqu'un me secoue le bras. Beaucoup trop fort pour que ce soit un rêve. J'ouvre les yeux subitement et cherche par réflexe le poignard toujours accroché à ma ceinture. Evidemment, je ne porte pas ma ceinture.
Le garçon qui me fait face a les cheveux noirs. Je le sais car ils me tombent dans les yeux. Je crois que c'était un des guerriers qui nous ont trouvé dans les montagnes. Voyant que je me suis réveillée, il se penche vers moi :
-Viens. Il faut absolument que je te parle. Suis-moi.
-C'est demandé si gentiment.

J'ai peur mais je me lève, car j'ai encore plus peur de ce qui pourrait arriver si je ne le fait pas. Il attrape ma main et me traîne presque derrière lui. La pierre me paraît gelée sous mes pieds nus. L'inconnu m'emmène dans une pièce que je soupçonne être le vestiaire des gardes, en raison des armures accrochées partout sur les murs. Il se retourne vers moi et lâche le plus naturellement du monde :
-Au fait, bonjour, je m'appelle Ali.
-Enchanté. Je peux savoir pourquoi tu me traîne dans un dédale de couloirs au beau milieu de la nuit ?
-Tu es humaine.
Il me fixe avec un sérieux implacable. Et soudainement, sans raison, j'ai peur. Ma voix sort cette fois-ci un peu tremblante.
-Oui. Et alors ?
-Et alors, cette cité est la cité Méridianne.
J'hoche la tête. Je sais déjà tout ça.
-Oui, la cité où les humains et les Méridians vivent en paix.
Il secoue la tête, écarquille les yeux et me prends par les épaules :
-Non. La cité où les Méridians vivent en paix. Et où tous les autres, les autres comme toi, sont chassés ou tués.
Je déglutis difficilement. Mes rêves d'endroits sûrs et de paix s'envolent. Ali continue :
-On a demandé plusieurs fois si vous respectiez tous la Règle. C'est ça, la Règle. Etre Méridian.
-Mais Lory a répondu que oui...
-Elle a menti. Et tu devras le faire aussi. Si on découvre qui tu es vraiment, tu es morte.
J'ai l'impression que ma poitrine est compressée. Je suis des centaines de mètres sous terre, mais la véritable raison n'est pas là. La véritable raison, c'est que je vais encore risquer ma vie tous les jours.
-Mais toi... comment as-tu fait pour savoir que je suis humaine ?
-Lucen. Son pouvoir est de deviner si les gens sont, ou seront, des Méridians. Il voit... une sorte d'aura.
-Et pourquoi ne m'a-t-il pas dénoncée ?
-Parce que, comme moi, il pense que nous ne devrions pas nous débarrasser des humains. Que nous ne sommes pas si différents.
J'ouvre la bouche pur l'interroger sur autre chose mais il m'interrompt :
-Tu parles vraiment beaucoup. A moi de te dire quelque chose. Cette nuit, on va voler un registre.
-Mais... à quoi ça va nous servir ?
-Demain matin, vous serez menés à une salle et on vous demandera votre pouvoir. C'est la procédure. Nous devons faire en sorte de trouver pour toi un pouvoir qui ne soit détenu par aucun des habitants de Méridia, ou sinon tu seras démasquée. Le registre que nous allons voler est celui qui recense les Méridians que la cité n'abrite pas encore.
-On le fait maintenant ?
-Ca dépend. Tu tiens à mourir ?
Il sourit dans la pénombre.
-Pas tellement.
-Donc on y va maintenant.

Il me mène à une autre pièce, à l'étage.
-Normalement, les gardes devraient passer par ici dans dix minutes. On a juste le temps qu'il nous faut.
En le voyant crocheter la serrure avec aisance, je le regarde en souriant :
-Tu fais ça souvent ?
-Aussi souvent que des humains s'aventurent dans la cité.
-C'est-à-dire ?
-Presque jamais. Il y a quatre mois, trois d'entre eux sont arrivés dans les montagnes et nous les avons menés à la cité. J'ai réussi à les faire passer pour des Méridians.
-Et ?...
-Et un mois et demi plus tard, le soleil leur manquait tellement qu'ils ont demandé d'aller faire un tour à la surface. Ils se sont fait dévorer par des hyènes à cornes.
-Ah.

Nous pénétrons dans la pièce et Ali empoigne immédiatement un gros volume écarlate. Il parcourt les pages d'un air pensif pendant environ deux minutes, jusqu'à-ce qu'une silhouette apparaisse à l'entrée de la pièce :
-Dépêchez-vous ! Les gardes rappliquent.
Je relève les yeux. Je pense tout d'abord que c'est une complice d'Ali, avant que celui-ci ne me regarde :
-Qui est-ce ?
La fille dans l'entrée réponds à ma place :
-Quelqu'un qui sauve ta peau.
Ali referme le volume aussi sec et court vers la porte.
-Par ici !
Je le suis à toute vitesse. Je cours tellement vite que mon cœur semble vouloir s'échapper de ma poitrine. Mais je ne veux pas que tout s'arrête ici. Je ne veux pas que notre répit prenne fin. Après quelques secondes, des pas se font entendre derrière nous. Nous sommes poursuivis. Ça me manquait presque.

Nous arrivons à un croisement où le couloir se divise, et Elia agresse presque Ali :
-Quel couloir ?
Il fait un signe de tête en direction de celui de droite et nous nous y enfonçons sans nous poser plus de questions. Je crois entendre les pas de nos poursuivants s'éloigner. Elia lance à Ali, sans même se retourner vers lui :
-Si ce couloir mène sur le repaire des guerriers, je te jure que je t'égorge.
-Je suis un guerrier. Et je peux t'assurer que ce couloir ne mène pas à notre repaire.
-Où mène-t-il ?
-Aucune idée. Mais justement, si je ne le sais pas, je suppose que c'est un endroit interdit et donc que nos poursuivants ne nous imaginerons pas assez stupides pour y pénétrer.
-Logique implacable. On va tous mourir.
Mais elle sourit un peu. Juste un peu. Je profite de cette petite course poursuite comme moment idéal pour lui demander
-Comment nous as-tu trouvés ? Tu nous suis depuis ma chambre ?
-Evidemment. Vous étiez à peu près aussi discrets que des sangliers. Quoique les sangliers ont la présence d'esprit de ne pas se balader pieds nus.
Elle jette un regard dédaigneux vers mes pieds. Nous arrivons à une nouvelle embouchure.
-Et maintenant ?
-Gauche.
Nous suivons un couloir aux lourdes tapisseries avant d'arriver devant une porte. Je me rue sur la poignée. C'est fermé. Ali commence à rebrousser chemin :
-Demi-tour.
Mais déjà, les pas des guerriers se rapprochent à nouveau, et Elia s'accroupit au niveau de la serrure :
-Je crois qu'on a déjà trop suivi tes décisions.
Elle sort un trousseau de clés. Ali se penche vers elles :
-Où les as-tu trouvées ?
-Sur toi.
Aussitôt il se relève et tâte ses poches, avant d'afficher une mine ahurie :
-Comment as-tu fait ?
-Tu n'as jamais eu à voler pour bouffer, pas vrai ? C'est bête, ça nous apprends énormément.
Le ton sarcastique qui traîne dans sa voix incite Ali à garder le silence.
-Le temps qu'on ouvre la porte, ils seront sur nous !
-Si je n'étais pas occupée à te répondre, la porte serait déjà ouverte.
-Je ne suis même pas sûr que la clé de cette porte soit sur mon trousseau.
Elia ne réponds même pas et essaye les clés une à une. Les pas se rapprochent, doucement mais mortellement. Et soudain la porte pivote sur ses gonds.
Nous nous engouffrons à toute vitesse dans l'ouverture et Elia referme la porte derrière nous. Le paysage qui s'offre alors à nous est sombre, sale et silencieux, hormis quelques accès de toux de temps en temps. Des cachots. Un frisson parcourt mon dos tandis que mon regard se porte sur les dizaines de personnes enchaînées et squelettiques qui traînent dans la poussière. Soudain, juste derrière la porte, une grosse voix se fait entendre :
-C'est impossible qu'ils soient ici. Tu sais très bien qu'Il est là et que quiconque l'a vu sans autorisation meurt. Et en plus la porte est fermée.
Suivi d'un soupir las et de pas qui s'éloignent :
-Je t'avais dit qu'ils avaient pris à droite...
Je m'autorise alors à me recentrer sur ce qui se trouve devant moi. Des dizaines d'yeux jaunis sont tournés vers nous, des dizaines de visages flétris. Je bloque ma respiration, je me sens en trop. Dans certaines écuelles, une bouillie brunâtre flotte encore, sûrement vestige de ce que tous ces hommes, car il n'y a que des hommes, ont eu à manger. Je réprime un haut-le-cœur face à l'odeur de sueur, de peur et d'urine qui me parvient alors. Tous les prisonniers nous dévisagent sans un mot, et j'aperçois alors, tout au fond de la pièce, une cellule isolée. Je m'en approche en me disant que c'est certainement ici que ce trouve le « Il » dont les soldats ont parlé. Mais tout ce que j'aperçois, tapis au fond de la pièce, est une forme pâle, sale, qui n'a que la peau sur les os. Puis le visage sous les cheveux gras se redresse subitement, et ses yeux pénètrent dans les miens.
-Père ?

* Pour tous ceux qui seraient intéressés, une toute nouvelle histoire postée sur mon profil : La SILENCIEUSE :) n'hésitez pas à jeter un coup d'oeil et à me faire passer vos avis ;)*

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant