Awake - Attrape-Moi (Tome 2)

Chapitre 36

27 juillet 2014

*Point de vue de Castiel

Assis sur le canapé, je gratte les cordes de ma guitare, les pieds de Sasha appuyés sur mes cuisses. Elle est adossé à l'accoudoir, un carnet sur ses genoux et griffonne des notes ou des paroles sur ce dernier. Ça pourrait être une scène tout à fait apaisante, pourtant j'ai le sentiment que quelque chose cloche. Sasha n'est pas d'une nature bavarde, mais elle a à peine décroché un mot depuis que nous nous sommes retrouvés en fin d'après midi. Elle ose à peine lever les yeux vers moi, sauf pour me regarder à la dérobée quand elle croit que je ne la vois pas. Elle transpire une sorte de malaise depuis au moins deux heures mais elle garde le silence. Mes pensées s'activent à outrance depuis une bonne demie heure et je ne vais pas tarder à devenir dingue si elle ne me dit pas ce qui la tracasse.

J'arrête de gratter les cordes et tourne la tête vers elle. Elle lève immédiatement les yeux vers moi et j'y lis cette pointe de culpabilité qui affole les peurs tapies au fond de moi. Elle m'interroge du regard, l'air de me demander ce qui me prend tout à coup de m'arrêter de jouer. Elle tente de cacher son malaise, mais je la connais par coeur.

— Qu'est-ce qui se passe p'tite ? Tu tire une tête de six pieds de long depuis qu'on est là.

Elle détourne immédiatement les yeux et je jurerais la voir rougir légèrement. Si j'avais encore des doutes sur mon pressentiment, je n'en avais plus. Elle n'ouvre pas la bouche, mais je sens son cerveau s'activer à vitesse grand V pour peser le pour et le contre. Ou peut-être tente-t-elle d'organiser sa pensée.

— Crache le morceau, j'envoie en tâchant de cacher mon agacement.

Je pose mon instrument à mes pieds et la regarde avec attention. Je ne veux pas louper une miette de ses gestes qui la trahissent. Ses yeux océaniques croisent à nouveau les miens et mon coeur s'emballe. Leur intensité m'a toujours déconcerté. Elle fouille mon regard, certainement pour vérifier que je suis apte à entendre ce qu'elle veut dire. C'est dingue de tout calculer comme ça.

Ses iris quittent les miens et elle soupire longuement en fermant son carnet. Elle y attache son critérium et pose le tout sur la table. Quand elle me fait de nouveau face en ramenant ses genoux contre sa poitrine son expression est passé de mal à l'aise à solennel. Je me redresse, soudain bien moins sûr de vouloir savoir. Ce genre de mimiques n'annonce généralement rien de bon. Je prends une grande inspiration avant de retenir mon souffle un instant.

— On a jamais parlé de ce qu'on ferait après le lycée, elle commence. Genre, t'as prévu quoi toi ? Tu vas à la fac ? Tu travailles ? Où ça ?

C'est ça qui l'inquiète tout à coup ? C'est vrai qu'on en a jamais parlé, et j'avoue que depuis la soirée où je l'ai embrassé la première fois, ça me passe bien au-dessus de la tête. Bien sûr j'ai fait des voeux pour la fac et j'ai été accepté, mais je ne sais toujours pas si je vais y aller. J'ai postulé en droit et en musicologie. Mais je ne suis pas certain de supporter la fac. Si c'est pour rester assez encore pendant des heures entre quatre murs, je ne vais pas le supporter longtemps. Mais en même temps je n'ai pas forcément envie de bosser à l'Amoris Café toute ma vie.

J'ai envie de quitter Amoris, j'ai envie d'avoir un bon salaire pour enfin sortir de la précarité, mais par-dessus tout, j'ai envie de sillonné le monde en tournée de concert. Pas pour la célébrité, mais pour partager ma musique. C'est ce dont j'ai toujours rêvé depuis le jour où j'ai gratté mes premières cordes. Mais je sais aussi que la vie d'artiste est précaire si on n'est pas très connu. Alors peut-être que l'université pourrait m'offrir une sécurité. Mais est-ce que j'aurais assez de motivation pour aller jusqu'au bout d'une licence de droit ou de musicologie, voir jusqu'à un master ? Trois ans ou cinq ans encore à tirer entre quatre murs pour quelque chose qui ne me fait pas vibrer ? Pas sûr que je tienne. Du coup je ne me suis pas encore inscrit.