-Tasha, tu joues bien du violoncelle?
Mon frère prend la parole, me coupant dans mon élan.
-Oui, et elle joue aussi du saxophone, et du piano, et elle fait du chant!
Le CPE ouvre grand les yeux.
-Mais c'est parfait ça! 16H45 à l'auditorium, Tasha. Ulysse, tu peux aussi venir. Ah, et Tasha... Tu peux prendre ton violoncelle? Il y aura un piano sur place. Merci!
Il part.
Okay. C'était bizarre.
Mon père me dépose avec mon violoncelle après manger. Je vais en cours, et une fois fini je vais à l'auditorium, un espèce d'amphithéâtre. Ulysse est déjà passé, apparemment, ils nous demandent de jouer. Simplement.
Quand mon tour arrive, je monte sur scène. Hormis les juges, certaines personnes sont assises dans les fauteuils pour écouter. Je joue un air de Bach.
Je me laisse porter par la mélodie, douce et virevoltante.
Ensuite, on me demande au piano. Je me contente de la Sonate de Mozart, et je chante en m'accompagnant au piano. Je chante The Scientist.
On me congédie après m'avoir gratifiée de quelques remarques agréables. Je récupère mes instruments et Terence est dans les loges.
-Tasha? Tu veux bien que je te ramènes?
-C'est très gentil, Terence, murmuré-je en baissant légèrement le crâne. Mais, je dois aller quelque part...
-Je peux t'y emmener si tu veux... Je me sens mal à l'aise de te voir porter ton violoncelle sur le dos.
-Vraiment, Terence, je préfère y aller seule, et je ne veux pas te déranger. Mais c'est très gentil. Tu es passé aux auditions? demandé-je pour changer de sujet.
-Oui, je suis passé à la guitare.
-Dis moi... commencé-je alors que nous marchions tranquillement dans les couloirs pour rejoindre la sortie du lycée. Pour quoi est ce qu'on a auditionné, exactement?
-Le lycée va organiser un grand concert, un peu comme un bal... Et il propose aux élèves de se charger de la musique.
-Oh non, pitié, ne me dit pas qu'on va devoir participer à un bal de fin d'année, soupirais-je.
-Pourquoi? demande-t-il. Tu n'aimes pas les bals? Pourquoi?
-Je ne sais pas danser... Je n'aime pas chanter devant du monde... Je suis moche en robe... Et jamais je ne trouverai d'autre cavalier que mon frère. Alors...
-Je suis là, moi, sinon, murmura Terence.
Je sentis mes joues rougir. Ne sachant pas vraiment quoi répondre, je lui dit que je dois y aller et je lui fais la bise. Je réajuste les bretelles de ma housse de violoncelle sur mes omoplates et me mets en marche vers la gare.
J'observe attentivement le panneau des horaires. Le train que je dois prendre passe dans huit minutes. Je me dirige vers mon quai.
Après quarante-quatre minutes de train, je descend. Il n'y avait pas beaucoup de monde dans le wagon. Je prends la navette spéciale. Bien entendu, comme chaque mardi, je suis seule. Comme à chaque fois, en fait. J'observe le paysage défiler par la fenêtre. L'entrée dans le village numéro 1. Le regard effrayé des habitants alors que ce bus ne transporte que les gens en visites. La sortie du village numéro 1. L'entrée en forêt, la sortie de la forêt. L'entrée, le passage et la sortie du village numéro 2. Ensuite, sept kilomètres de plaine. Et au loin, la grande bâtisse, au centre d'un terrain de huit hectares délimité par un grillage. Et par un autre grillage, quelques mètres plus loin. Et par un mur, encore quelques mètres plus loin.
Je montre mes papiers et mon badge au garde. Il me salue. Il me laisse passer et je me retrouve dans le "jardin". Autrement appelé enclos à malade, l'espace consiste en de la verdure, trois arbres par ci par là, et des fleurs. J'observe autour de moi. Le bâtiment se dresse devant moi. C'est un grand bloc un peu triste mais pas trop moche, avec marqué "Hôpital Psychiatrique de la Versière" en grosses lettres oranges au dessus de la porte d'entrée. J'entre dans l'hôpital et me dirige dans les couloirs que je ne connais que trop bien. J'aperçois Jeffrey en salle commune, et il vient me saluer.
Jeffrey a le même âge que moi, il est blond, il a les yeux verts, et il est maigre et grand. Et il parle aux libellules. Parce que les libellules lui apprennent à voler.
-Bonjour, Tashhhhhhh.
-Bonjour, Jefffffffff.
C'est un rituel, entre lui et moi.
Je converse avec lui quelques minutes et je pars. Je jette cependant un rapide regard aux occupants de la salle commune. J'aperçois sans aucune difficulté Julia, la vieille dame qui parle aux murs et qui aime les couleurs. Daniel, un homme de trente ans, est assis par terre, les bras autour de sa taille, se balance d'avant en arrière et compte des... Je ne sais pas ce qu'il compte. Mais il compte. Une bonne dizaine de patients dont je ne connais pas vraiment les noms sont assis devant la télévision, allumée, diffusant un documentaire sur les épis de maïs. Pourtant, ils ne regardent pas. Ils voient, mais ne regardent pas.
En résumé, ils ne sont pas là.
Quand je vois ce qu'on leur passe à la télévision, ce qu'on leur donne à manger, enfin leurs conditions de vie en général, je comprends qu'ils soient tous fous. Enfin, non. Pas fous.
Mentalement dérangés.
Je prends le couloir. Je crois l'aide soignant avec qui j'ai beaucoup sympathisé. Il est très jeune, il n'a même pas vingt-six ans. Il s'appelle Mark. Il est grand, brun, et il a des yeux bleu-verts saisissants. Il me fait la bise et m'ébouriffe les cheveux tendrement. Comme le ferait un grand frère.
-Bonjour, Tasha. Comment vas-tu aujourd'hui?
-On fait aller, répondis-je. Et toi, Mark?
-Je vais bien, merci.
-Mark... Laquelle vais-je voir?
-Elle a fait une crise, cet après midi. Aujourd'hui, il me semble bien que c'est la cinq. Mais fait attention, la deux peut revenir à tout moment si elle est contrariée.
Je hoche doucement la tête et je pousse la porte en jetant un regard involontaire vers le numéro 66. Heureusement que je ne suis pas superstitieuse.
Elle est assise sur son lit, en tailleur, les mains pressées entre ses jambes contre le matelas. Ses longs cheveux châtains tombent en cascade sur ses épaules, et ses yeux gris affichent un air enfantin. La voix fluette de la numéro cinq retentit dans la petite pièce.
-Bonjour, grande sœur!
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Stars [Terminée]
Teen FictionUn jour, mon frère et moi avons commencé le piano. Puis la guitare. Puis le saxophone. Puis le chant. On a tout fait pareil, même si nous sommes très différents. Sauf que moi, je ne me suis pas ramenée un jour à la maison avec trois mecs pour annonc...