Je rentre chez moi comme d'habitude, mais sans mon frère. Il devait "parler avec Lucas", mais je n'en sais pas plus. Il faut que je parle de Suzanne à mes parents. Parce que, bien sûr, je pense qu'ils ne sont même pas au courant de ce qui s'est passé à l'asile, aujourd'hui.
Je regarde autour de moi, je vois le paysage défiler. Je passe bientôt devant la cathédrale pour rejoindre mon arrêt de bus. Je n'ai jamais vu un aussi bâtiment de ma vie. Je ne peux pas résister à l'envie d'entrer dans la bâtisse. Je ne crois pas en Dieu, forcément, mais l'atmosphère qui règne dans les églises est tellement reposante pour l'âme...
Il y fait sombre, mais un éclairage tamisé apaise nos mœurs. Le silence est seulement brisé par la respiration ou l'écho des pas des fidèles venant se recueillir. Après des journées compliquées, je m'octroie souvent une petite dizaine ou vingtaine de minutes de paix dans la cathédrale. Malgré le fait que beaucoup de touristes viennent la voir, ils sont respectueux et ne font pas trop de bruit.
Je marche dans la nef et j'observe le plafond, les vitraux. C'est fou ce que les hommes ont pu bâtir grâce à la présence d'un Dieu dans leur cœur. Cependant, l'inverse est aussi vrai... Certains ont bafoué leur religion, leur Dieu pour servir leurs propres objectifs.
Je suis assise depuis un quart d'heure sur une chaise, en train de me calmer et de prendre un peu de temps pour réfléchir. J'ai manqué mon bus, mais il passe toutes les dix minutes, alors ça va. Je décide de sortir, et la clarté du jour me saute au visage. Je dois prendre quelques secondes pour m'habituer à la luminosité. Je remets mon casque sur mes oreilles, met du Lucky Chops (un groupe de jazz/funk qui reprend des musiques modernes) et je me remet en marche en direction de mon arrêt.
Je pousse la porte d'entrée de notre maison et je débouche dans le couloir. Je pose mon sac, range mon casque, enlève mes bottines et accroche mon manteau. Je les entends discuter dans le salon. Je débarque dans la grande pièce à vivre, mes parents sont assis sur le canapé.
-Bonjour, ma puce, commence ma mère.
-Comment était ta journée?
-Pourquoi Ulysse n'est pas avec toi?questionne ma mère.
-Ulysse devait parler avec quelqu'un. Et ma journée? Eh bien... Mouvementée, on va dire.
-Ah bon? Comment ça, demande mon père.
-Suzanne a fait des siennes à l'hôpital.
Ma mère se lève.
-Bon, ben je vais aller préparer le dîner, il ne va pas se faire tout seul...
Bien sûr, préparer le dîner. Il est 17H34, mais ça, elle n'a pas l'air de l'avoir enregistré.
Je lui barre la passage.
-Maman, assieds toi s'il te plaît. Il faut que tu arrête de t'éloigner de la réalité. Oui, Suzie est malade, mais elle reste quand même votre fille. Et ma sœur. Alors, maman, assieds toi.
Ma mère se rassoit, ennuyée, aux côtés de mon père.
-Suzanne 6 est apparue aujourd'hui, mais je savais qu'elle avait commencé la suite hier.
-Suzanne "6"? La suite?
Je leur explique tout ce que je sais, ainsi que ce qu'elle a fait aujourd'hui. Ma mère est un peu déstabilisée, mon père me regarde... Je ne saurais pas décrire son regard, en fait.
-Tu veux dire que tu es entrée là dedans alors que cette Suzanne 6 voulait ta mort? Mais tu es complètement inconsciente?
-Elle ne m'aurait rien fait, papa.
-Quand même! Et tu as réussi à... La faire obéir? Comment?
-En fait, je l'ai appelée par son prénom, alors que d'habitude je l'appelle Suzie, ça ne marche qu'avec moi mais ça la fait réagir. C'est comme si, à ce moment là, elle était obligée de m'obéir.
Nous avons continué à parler de Suzanne jusqu'à ce qu'Ulysse arrive.
-Ah, ça tombe bien que vous soyez là! Je dois vous parler.
Quand Ulysse doit nous parler, ce n'est jamais bon. Mais jamais.
La dernière fois, il nous a dit ça quand il avait fait "accidentellement" brûler la grange du voisin con et chiant qui nous faisait braire depuis quelques années. Il nous a aussi, un jour, annoncé qu'il était homosexuel (en soi ça n'est pas un problème hein) avant de changer d'avis quelques minutes plus tard, sous prétexte qu'il voulait "évaluer notre réaction" et voir si on était "une famille digne de ce nom". Je dois préciser qu'un jour il nous a ramené un serpent parce qu'il avait craqué dessus à l'animalerie? Alors que ma mère et mon père sont des grands phobiques des serpents?
Résultat, il a pu le garder, mais dans sa chambre, et sa chambre devait être fermée à double tour. Ce pauvre serpent est mort une semaine après parce que mon idiot de jumeau ne sais pas s'occuper d'un autre être vivant que lui. Et encore, on a mis cinq mois avant de lui apprendre à faire marcher le micro onde, c'est pour dire.
Bref. Je distingue deux silhouettes derrière lui, et je reconnais Terence et...
Attendez.
Je veux bien que ce soit une journée de merde, mais quand même: c'est mon karma là? C'est bon, ça fait cinq ans que je l'ai écrasée, cette fourmi!
Lucas se tient derrière mon frère. Retenez moi de rire, ou de pleurer, je ne sais pas.
Qu'est ce que ce connard fait dans ma maison?
-Il fait quoi là, lui? demandé-je, froide.
Ma mère était déjà debout pour regarder mon frère et ses deux amis.
-Tasha, ne soit pas si froide enfin... Il m'a l'air charmant, ce garçon!
-Maman, Papa, Tashouille (QUOI?!) je voudrais vous annoncer quelque chose, dit il.
Mes parents se regardent.
-Ne le dis pas que t'as fait brûler quelque chose, sinon je t'envoie dans un goulag dans les pays soviétiques, clame mon père avec un sérieux comique qui fait sourire Terence et rire Lucas.
Je n'avais jamais entendu Lucas rire. Il a une voix grave, mais son rire est presque cristallin, franc, il part du fond de la gorge.
-Avec Lucas et Terence, on a passé des auditions musicales pour le bal du lycée et on s'est rendu compte qu'on aimait ce que les autres faisaient, alors on a décidé de former un groupe, annonce mon frère sans aucune respiration. On va s'appeler The ULTimatum. U comme Ulysse, L comme Lucas et T...
-Oui bah c'est bon on a compris, rétorque ma mère. C'est génial mon poulet. Je suis contente pour toi. Tu n'intègre pas ta sœur?
-Non, c'est bon maman, disais-je.
J'en ai marre qu'elle cherche toujours à me caser où elle peut.
-Bien. Les garçons, vous mangez là, ce soir?
Les deux énergumènes hochent la tête.
-Très bien, ce soir c'est pizza! On ira en chercher avec Jean-Marc.
-Quoi? Mais c'était pas gratin de pâte?
-Chut, m'intime ma mère. J'en peux plus du gratin de pâtes.

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Stars [Terminée]
Teen FictionUn jour, mon frère et moi avons commencé le piano. Puis la guitare. Puis le saxophone. Puis le chant. On a tout fait pareil, même si nous sommes très différents. Sauf que moi, je ne me suis pas ramenée un jour à la maison avec trois mecs pour annonc...