Le Dernier Moment

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Le Dernier Moment

  Nous aurons le destin que nous aurons mérité.  

Albert Einstein

  Déjà le théâtre de plusieurs affrontements, la Route 7, entre Celadopole et Safrania, s'apprêtait à vivre une nouvelle grande bataille. Depuis la ville, le Général Hesse avait commandé à tous ses hommes de se tenir prêts et de mettre à contribution la quasi-intégralité de leurs ressources en prévision de ce qui allait arriver. Ses éclaireurs lui avaient effectivement communiqué des informations très préoccupantes, comme quoi les dresseurs retranchés à Safrania étaient en route en grand nombre avec des milliers de Chimères et de Pokémon autour d'eux. Une véritable armée d'adversaires, là où auparavant ils n'avaient envoyé qu'une poignée d'individus à la fois.

Aussi, afin de les accueillir dignement, plus de dix-mille hommes et Pokémon avaient été postés, auxquels on ajoutait les pilotes de 150 M47 Pasteur, véhicules de guerre prêts à foncer dans le tas et à provoquer un maximum de dommages. Ils avaient aussi déployé une ligne de canon à obus, manœuvrés par quelques militaires, avec l'aide des citoyens volontaires. Enfin, en retrait, des ingénieurs et les derniers bénévoles civils attendaient, à l'abri, qu'on leur demande d'intervenir, que ce soit pour réparer en urgence des machines endommagées ou simplement sauver des soldats et Pokémon blessés.

A peine avaient-ils su que les forces de Red étaient en mouvement que le Général Hesse et ses officiers avaient réagi. Il ne fallait surtout pas leur laisser l'occasion d'entrer dans la ville, même si l'Opération Fouinette était déjà en grosse partie terminée à Celadopole. Cependant, et ils le savaient, ils avaient dû réagir dans l'urgence et ils craignaient d'avoir fait des erreurs stratégiques dans leurs positions. Mais ils n'avaient hélas plus beaucoup de temps pour changer quoi que ce soit.

En première ligne, aux côté de son Charkos, maintenant son épée à la manière d'une canne de la main gauche et observant l'horizon avec des jumelles de la main droites, le Général Hesse patientait. Les militaires s'étaient tout de suite mis en mouvements, sans rechigner ni protester, suivant à la lettre le protocole et la discipline qui faisaient la force de l'Armée. D'après les derniers messages de ses officiers, ils étaient fin prêts. Le Général ne pouvait cependant s'empêcher d'avoir une boule au ventre. Une partie des leurs étaient déjà blessés et certains n'avaient jamais combattu en situation réelle. Ils n'avaient que leur lourd et strict entrainement sur les épaules, pour affronter les Chimères, ces créatures tout droit sorties de leurs cauchemars, et les Pokémon tout aussi endurcis des dresseurs. Au moins pouvaient-ils compter sur leurs véhicules pour tirer leur épingle du jeu.

Plus loin, à la tête d'une autre troupe, le Colonel Cornell paraissait très inquiet. Mais ce n'était pas à la bataille à venir qu'il devait cet état. Il ne cessait de penser au Professeur Caul et à Mr Shelley. Ceux-ci s'étaient jetés dans la gueule du Grahyena sans hésitation, allant jusqu'à voler un hélicoptère. Il n'était pas sans nouvelle cependant, car Kate lui avait permis d'entrer en communication avec Stephen. L'écrivain lui avait alors appris qu'Aldebert était resté sans bouger devant les Genesect et que Patrick Stearns était décédé. Lui-même avait frôlé la mort, à l'entendre. De plus, selon eux, le dirigeable ne bougeait plus. Le Colonel ne savait qu'en penser. Le Professeur Caul était-il encore en vie ? Et quelle allait être la réaction d'Isaac, qui n'avait pas attendu toutes les explications pour courir les rejoindre. Et puis, il y avait le Major Campbell et mademoiselle Ross, dont il n'avait toujours aucune nouvelle. Devait-il les prévenir à leur tour, au risque de les voir risquer leur vie eux aussi ?

Son Talkie vibrant dans sa poche le rappela soudain à la réalité. Il soupira et l'attrapa pour mieux entendre. Saisissant ses propres jumelles, il observa ensuite l'horizon. Hesse ne mentait pas. Ils arrivaient.

Il balaya rapidement les adversaires du regard, afin d'avoir une vue d'ensemble. Ils étaient nombreux, très nombreux. Des milliers de Chimères et de Pokémon avançaient, prêts à en découdre. Mais ce qui étonnait Cornell, c'était l'absence de dresseurs. Il n'en voyait aucun en première ligne. Il grogna en comprenant que ces derniers laissaient faire le sale boulot à leurs partenaires. Surement étaient-ils tous en retrait. Puis, soudain, il lança un juron. Il venait de voir, au-dessus des troupes ennemies, le Pokémon violet que lui avait décrit le Major Campbell précédemment. Cette créature aux pouvoirs psychiques risquait de poser de gros problèmes à l'Armée. Des problèmes auxquels ils n'étaient pas nécessairement préparés.

Lorsqu'enfin ils furent à portée, le Général Hesse donna l'ordre de tirer les obus depuis les lignes de l'arrière. Les projectiles filèrent bruyamment, signal du début de combat. Si la plupart des bombes firent mouche, blessant et tuant les cibles dans un certain périmètre, une petite partie d'entre-elles furent stoppées en plein vol. Une partie des soldats qui s'étaient élancés vers les ennemis se figèrent soudain, poussés par ceux de derrière, comprenant ce qu'il se passait. Les obus pivotèrent avant de pointer vers eux et reprirent subitement leur course, explosant cette fois parmi les militaires. Constatant le fiasco de la manœuvre, et estimant que les pertes seraient trop conséquentes, le Général et une bonne partie des officiers contactèrent immédiatement les lignes arrières pour annuler tous les tirs prévus. Leur propre équipement se retournait contre eux. Certes, ils pouvaient provoquer plus de dégâts qu'ils n'en recevaient, Mewtwo ne pouvant pas tout bloquer. Mais les hauts gradés n'avaient aucune envie de sacrifier leurs hommes. Pas quand leurs ennemis disposaient de quoi soigner rapidement et totalement leurs blessés et pas eux, en tout cas.

Résigné, le Général Hesse brandit son épée devant lui et cria aux hommes qui l'entouraient de foncer. C'était encore la meilleure solution pour envisager le combat. Ainsi, marchant en rang d'oignon aux côtés de leurs propres Pokémon, les militaires s'avancèrent, leur arme en main, couverts par les tanks qui, malgré la présence écrasante de Mewtwo, restaient un atout sur lequel ils pouvaient compter.

Ainsi la bataille pour Celadopole s'engagea. Des Chimères particulièrement excitées se précipitaient vers les militaires, toutes griffes et crocs dehors, comme si elles n'avaient plus été nourries depuis des jours et qu'elles ne s'alimentaient que de chair humaine. Leurs proies pouvaient cependant compter sur leurs Pokémon pour les protéger et garder des distances avec elles, et ils n'hésitaient pas à frapper de leurs armes tranchantes si elles venaient à s'approcher de trop près. Les Pokémon des deux camps s'entrechoquaient sans cesse, enchainant les adversaires sans nécessairement en avoir terminé avec le précédent. Le tout était à la mêlée générale.

Les dresseurs, bien loin en retrait, assistaient aux affrontements presque confortablement. Certains d'entre eux avaient même pris de quoi grignoter pour observer le spectacle. Chacun d'eux disposait d'un Holokit spécial qui leur donnait une vision globale de leurs propres Pokémon et leur permettaient de leur donner des ordres. En effet, presque dissimulés dans le désordre de la bataille, des Pokémon plus petits et chétifs étaient équipés de caméras et suivaient l'un ou l'autre Pokémon qui leur avait été désigné. C'était ainsi que, sans risquer leur vie, les dresseurs pouvaient exploiter au maximum leurs talents de dressage dans cette guerre.

Red lui-même disposait de tout un équipement afin de garder un œil sur un grand nombre de ses protégés. En tant que dresseur de légende, il avait entrainé énormément de Pokémon en prévision de ce moment. Il assistait, l'air exalté, aux combats de ces derniers et riait avec un certain plaisir quand il les voyait tuer des militaires ou des Pokémon. Chaque meurtre était autant d'offrande faite à Dieu pour le Paradis à venir.

Pourtant, parmi les forces déployées aujourd'hui par le camp du Professeur Higgs, il y avait quelqu'un qui ne partageait pas la bonne humeur générale. Toujours à plusieurs mètres du sol, Mewtwo avait plutôt l'air songeur, observant la plupart des combats sans intervenir. Il ne faisait attention ni aux cris de guerre, ni aux hurlements de douleur, ni au vacarme des tirs de tank. Seuls les ordres de Red depuis son oreillette semblaient le faire sortir de sa torpeur, l'espace d'un instant, le temps qu'il pulvérise un véhicule ou l'autre par la simple force de son esprit ou qu'il tue quelques soldats gênants. Mais aussitôt sa mission était-elle remplie qu'il s'abandonnait à nouveau dans ses réflexions.
Sa rencontre avec la jeune fille qui affirmait ne pas être une infirmière le troublait encore, même deux jours plus tard. Il avait crû l'espace d'un instant avoir retrouvé cette jeune humaine, le seul contact qu'il avait alors qu'il était encore en développement dans sa cuve sur l'Ile Neuve. Avant même sa naissance, les deux clones avaient eu l'occasion de longuement discuter ensemble, dans le plus grand des secrets. La jeune fille avait hérité de la plupart des souvenirs de son original grâce à son père. Elle lui avait alors appris à quel point la vie pouvait être belle et comme elle avait hâte de vivre à nouveau. Et puis, un jour, sans raison, elle était morte. Lui-même avait été empoisonné. Mais il avait survécu avant d'être plongé dans le coma. Cependant, sa peine était encore là lorsqu'il avait enfin pu sortir de sa prison de verre. Et la colère avait tout emporté. Il s'était déchainé ce jour-là, criant sa colère contre la vie.

Par la suite, il avait vécu de nombreuses années en compagnie de Giovanni. Un homme qui s'était présenté à lui comme son seul ami, la seule personne avec laquelle il pourrait être bien. Finalement, ce n'était encore qu'une déception, car il avait fini par comprendre que ce qui intéressait Giovanni, c'était ses pouvoirs. Mais ayant appris à calmer ses pulsions, il s'était simplement enfuis.

Quelques temps plus tard, c'était le jeune Red qui l'avait découvert, reclus au fond de sa grotte. Le jeune homme était alors plein de vie e de compassion envers Mewtwo. Ils finirent par s'apprivoiser l'un et l'autre, puis par devenir partenaires, sans contrainte d'une Pokéball pour autant. Ils s'amusaient ensemble, se distrayant à l'abri du regard des autres. C'est au cours d'une belle après-midi passée avec le jeune homme et ses Pokémon que Mewtwo s'était sentit véritablement vivant pour la première fois, alors qu'ils étaient simplement couchés ensemble dans l'herbe à observer les nuages et à imaginer les formes de ceux-ci.

Red le présenta ensuite au professeur Higgs. Ce-dernier leur expliqua à tous les deux que Dieu les avaient choisis pour porter une mission sur leurs épaules. Ils étaient là pour rendre la Terre aux Pokémon et débarrasser la planète des êtres humains. Mais pour cela, il ne suffirait pas de foncer tête baissée. Ils devaient suivre les plans de Dieu et lui jurer fidélité. Ce que Mewtwo avait accepté, souhaitant aider son ami. Il avait alors grandi avec Red, l'accompagnant en secret dans différentes missions. Ils étaient plus que des partenaires, de véritables amis qui pouvaient compter les uns sur les autres. Mais au delà de ça, ils avaient de plus en plus de tâches à effectuer. Et le souvenir d'Amber s'était caché au plus profond de son cœur.

Mais aujourd'hui, le désir de vivre sa vie et d'en profiter s'était de nouveau manifestée. Cette femme, qui qu'elle soit, avait au moins cela en commun avec le clone défunt. Une volonté de vivre sans contrainte. Lui aussi l'avait longtemps ressentie avant de s'abandonner à ses responsabilités prévues par Dieu.

Mewtwo ne cessait d'y penser. Au départ, il s'était dit que, justement, à l'aube de ce nouveau Paradis, il n'allait plus tarder à pouvoir profiter de la vie pleinement. Mais à y réfléchir, était-ce vraiment la voie que Mewtwo désirait suivre ? La Paradis de Dieu allait lui confier de nouvelles tâches auxquelles il ne pourrait pas se défiler. De nouvelles responsabilités qu'il n'avait plus envie d'assumer. Tout ce qu'il voulait, c'était vivre à nouveau avec quelqu'un comme Red ou Amber, et se coucher avec eux dans l'herbe verte d'une plaine pour observer les nuages. Vivre en toute liberté, comme Amber lui avait promis et comme il l'avait découvert avec Red.

Mais aujourd'hui, alors que leurs efforts étaient sur le point d'aboutir, Mewtwo ne reconnaissait plus le jeune homme qui lui avait appris à vivre. Etait-ce l'effet du temps ? Où était l'adolescent, prodige parmi les dresseurs, qui prenait tant soin de ses partenaires ? Et comment était né cet homme qui riait à la vision des combats et des morts, qui ne prenait même pas le temps de pleurer la perte d'un de ses Pokémon et préférait se concentrer sur les affrontements des autres, tant que ceux-ci provoquaient de nouveaux décès ? Comment en était-il arrivé là ? Etait-ce là le mauvais aspect de l'être humain dont Higgs avait si souvent parlé qui se manifestaient chez lui aussi ? Dans ce cas, que devait-il faire ? Continuer d'obéir, afin de provoquer, comme prévu, l'extinction totale de l'humanité, Red compris ? Ou bien autre chose ?

La grande bataille durait déjà depuis plusieurs heures. Chaque camp avait subi de larges pertes et le sol était couvert de corps inanimés. Pourtant, personne n'abandonnait le champ de bataille. Le Général Hesse et ses officiers ne pouvaient pas abandonner sans signer la mort de tous les hommes présents, et les dresseurs voulaient plus que tout en finir avec Celadopole et, par extension, l'Armée à Kanto. Personne ne voulait lâcher le morceau. Et puis, quand bien même ils augmentaient la liste des blessés, il suffirait de quelques minutes à Dieu pour les remettre sur pied.

Puis, soudain, au son tonitruant des Brouhabam, les Chimères et les Pokémon commencèrent à fuir le champ de bataille. Mewtwo resta un instant le seul Pokémon présent avant de se retirer lentement. Les militaires, surpris, laissèrent éclater leur joie, pensant qu'ils avaient fini par l'emporter ! Mais le Général Hesse, plus méfiant, n'y croyait pas. Il réclama de suite un rapport des unités les plus avancées afin de savoir ce qu'il se tramait. Il attendait les informations quand le Colonel Cornell arriva vers lui. Ce dernier constata que son Supérieur avait les vêtements tâchés de sang, comme beaucoup d'autres soldats, mais il était impossible de dire s'il était gravement blessé. Lui-même avait reçu tout au plus des éraflures dues aux griffes des Chimères, mais il avait vu de nombreux soldats qu'il avait lui-même instruit être brûlés à mort par plusieurs Pokémon. Il n'y avait pas de trace du Charkoss du Général.

- Les hommes attendent le signal du repli, Général, lança-t-il avec sérieux. Je leur ai dit qu'il ne fallait pas nécessairement compter là-dessus...
- Ouais, j'y crois pas trop non plus,
lança-t-il, perplexe. Je soupçonne un sale coup de Red et des autres...

Ils restèrent quelques secondes sans bouger, silencieux, pendant que les militaires autour d'eux ramassaient du matériel, s'entraidaient pour déplacer des corps, ou repartaient simplement vers Celadopole avec allégresse. Ni le Général ni le Colonel n'avait envie de leur ordonner de rester sur place tant qu'ils n'étaient pas fixés. Après une si terrible bataille, tout le monde avait besoin de repos. Puis, enfin, le talkie vibra. Quand il vit le Général blêmir et déglutir bruyamment, Marcus poussa un grand soupir avant de lui adresser un regard interrogateur.

Pendant toute la durée de la bataille, alors que les dresseurs coordonnaient leurs Pokémon, d'autres hommes avaient préparé l'arme secrète de leur groupe. Une quantité phénoménale de Pokémon avait été préparée pour former un gigantesque troupeau de Pokémon. Parmi eux, on comptait surtout un très grand nombre de Tauros, mais aussi des Rhinocorne, des Frison, des Bourrinos, et bien d'autres encore. Il y avait là au minimum un million d'individus rassemblés. Et les dresseurs étaient tout simplement en train de les exciter au maximum, piégés sur place pour le moment. Mais une fois qu'ils seraient libérés, ils allaient foncer dans le tas, et tout détruire sur leur passage.

Aussitôt, Hesse ordonna à tout le monde de se replier et de s'écarter de la ville au plus vite. Le Troupeau allait agir comme un raz-de-marée vivant, impossible à arrêter. Celadopole était condamnée, quels que furent leurs efforts pour préserver la ville. Et s'ils tentaient de les arrêter, ils allaient tous finir piétinés. Même les Tanks seraient renversés par les puissants Pokémon du troupeau et seraient endommagés. Et pour les canons à obus, ils n'avaient tout simplement plus le temps de les déplacer. Hesse enrageait tellement qu'il balança bien loin son épée couverte de sang et hurla de rage.

- Général, calmez-vous, se risqua Cornell en se rapprochant de lui.
- Me calmer ? répéta-t-il avec ironie. Alors qu'on a perdu la bataille comme des cons ? On a perdu la moitié de nos hommes pour rien, et bientôt la ville avec ! Et en plus, nous aussi, on va crever, on pourra pas tous évacuer à temps ! Y a que ceux qui ont des Pokémon volants qui pourront s'en sortir, et encore...

Il donna un coup de pied sur le corps d'une Chimère qu'il avait lui-même tuée pour évacuer sa colère. Le Colonel soupira et attrapa son propre talkie-walkie après l'avoir réglé sur le bon canal.

- Mr Offenbach ? lança-t-il. C'est Cornell.
- Oui, oui, on sait, on est en train de se carap...
- Surtout restez sur place et écoutez mes instructions
, l'interrompit sèchement le Colonel.   

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