L'an 62 après Dieu: Les préparatifs

873 31 3
                                    

Chapitre 1 : L'an 62 après Dieu : l'année des préparatifs  

Je ne m'inquiète jamais de l'avenir. Il arrive bien assez tôt.

 Albert Einstein.

  Le ministre de la Justice, Marcus Cornell, sortit du train magnétique, accompagné de ses deux gardes du corps, un homme et une femme qu'il soupçonnait d'entretenir une relation amoureuse en dehors des heures de travail. Marcus Cornell, qui avait été Colonel autrefois, n'appréciait généralement pas la présence de quiconque pour veiller sur sa sécurité, jugeant qu'il n'en avait pas besoin. Aussi le voir ainsi surveillé était-il rare, plus encore pour une telle sortie, presque devenue une routine depuis son accession au Pouvoir, onze ans auparavant. Il revenait en effet d'une inspection des quartiers de police de Doublonville et songeait avec mauvaise humeur à la paperasse qui l'attendait le lendemain. Mais pour l'heure, il avait un rendez-vous strictement amical au centre de Safrania, dans les locaux de la Sylphe SARL, avec son PDG actuel, le Professeur Higgs, qui occupait aussi le poste de Ministre de la Santé.

En sortant de la gare, l'ancien Colonel pesta en constatant qu'il pleuvait. Il faisait presque nuit et les nuages noirs ne laissaient rien présager de bon. Le garde du corps masculin fit une remarque sur les risques qu'encourrait le costume de son patron, ce qui provoqua le petit rire nerveux de sa comparse et le regard noir du Colonel. L'homme déglutit et détourna le regard avant de suivre les autres sous la pluie. Pressant le pas, le ministre Cornell voyait déjà de bien loin les hauts bâtiments de la Sylphe Sarl. Cette entreprise était la référence technologique de tout Kanto et Jotho, et exportait aussi dans toutes les autres régions du monde. Ce n'était qu'une des nombreuses corporations du Professeur Higgs, qui était considéré, sûrement à raison, d'homme le plus riche et le plus puissant du monde, en dehors, peut-être, des cinq chefs d'Etat qui forment le Gouvernement Mondial.

Après une bonne dizaine de minutes de marche, trempés, le ministre et ses garde-du-corps parvinrent enfin à se réfugier sous le toit de la Sylphe Sarl. Il n'y avait quasiment plus aucun employé à cette heure, hormis quatre agents de sécurité. Une jeune femme aux cheveux rose débarqua et, lorsque Marcus se présenta, elle s'inclina et lui demanda de le suivre. Il se retourna vers ses employés et leur recommanda de se rendre au Centre Pokémon pour la nuit. L'homme acquiesça en ronchonnant et son homologue féminin se contenta de soupirer en repensant à la pluie. Mais ils se dirigèrent tout de même vers la porte qu'ils venaient de franchir, prêts à affronter l'averse de nouveau.

Le Colonel suivit la jeune femme. Celle-ci ressemblait comme deux gouttes d'eau à une infirmière de la famille Joëlle, ce qui étonna le ministre. Ils entrèrent tous les deux dans un ascenseur privé et la demoiselle appuya sur le bouton le plus haut disponible. C'était le seul ascenseur de tout l'immeuble à conduire directement au bureau et aux appartements du Professeur Higgs.

Lorsque les portes de la machine s'ouvrirent, Marcus Cornell put voir, sans surprise, qu'ils étaient au plus haut du bâtiment. Il pouvait observer presque toute la ville de Safrania depuis les baies vitrées. Il voyait aussi, pas loin de là, quelques éclairs. Le tonnerre grondait. Ce n'était pas un temps à laisser un Snubbull dehors. La jeune femme passa devant lui et lui montra le chemin à suivre dans le long couloir. Ils passèrent devant plusieurs portes avant d'atteindre celle du bureau du Professeur. Elle frappa trois fois à la porte.

- Entrez ! lança une voix.

Elle ouvrit la porte, fit quelques pas et s'inclina légèrement. Marcus entra lui aussi et adressa au professeur Higgs en grand sourire courtois.

- Bonjour, professeur.
- Ha ! Marcus Cornell !
répliqua vivement le vieillard en se levant de son bureau pour se diriger vers lui. C'est un plaisir de vous revoir.
- Moi de même, professeur.


Ils échangèrent une poignée de main. Bien qu'il soit très âgé, le professeur avait encore la poigne vigoureuse et semblait encore déborder de vitalité malgré le poids des années. Il n'avait aucun problème de santé apparent et on lui aurait facilement donné une ou deux décennies de moins. Il avait encore des cheveux gris.

- Vous pouvez nous laisser, Pandora, adressa le professeur Higgs à son assistante, qui répondit en s'inclinant à nouveau avant de sortir. Asseyez-vous, asseyez-vous. Je vous sers un petit rafraîchissement, Colonel ?
- Volontiers
, répondit Marcus.
- Vous aimez l'essence de Maracachi, je ne me trompe pas ? demanda le vieillard en se dirigeant vers un petit frigo.
- Non, c'est exact, confirma le Ministre Cornell, surpris qu'on lui propose directement son alcool préféré.
- J'en ai justement ramené d'Unys lors de ma dernière visite, la semaine passée, en pensant à notre petite entrevue à venir, précisa le professeur Higgs en sortant la bouteille à l'effigie du Pokémon Cactus. Un alcool fort, très fort, mais qui, je pense, vous rappelle vos années de service.
- C'est pendant cette période que j'en ai bu pour la première fois
, répondit le Colonel en souriant. Comme toujours, vous êtes plutôt bien renseigné.
- Pas plus que les autres ministres, répondit l'homme. Seulement, quand on parle de détails qui paraissent insignifiants, au contraire de la plupart des gens, j'écoute et je garde tout en mémoire.


Il servit un généreux verre d'Essence de Maracachi à son collègue et se servit pour lui-même un verre de vin d'une bouteille poussiéreuse portant les insignes de Kalos. Ils entrechoquèrent leurs verres et en burent quelques gorgées avant de reprendre la conversation.

- Votre assistante ressemble énormément aux infirmières Joëlle, commenta le Colonel. J'ai été un peu surpris quand vous l'avez appelée Pandora.
- Vous avez raison, Pandora était à la base destinée à être une infirmière, comme toutes les autres
, répondit le vieil homme. Seulement, j'ai décelé en elle quelques qualités et, franchement, avoir une spécialiste des soins à mes côtés est plus prudent avec mon âge.
- Vous me semblez pourtant en pleine forme
, reprit Cornell dans un sourire. On ne peut pas en dire autant de toutes les personnes de votre âge.
- Oui je sais
, soupira l'homme. Voyez cette chère Dorothéa, vous savez, mon ancienne sous-directrice ? Elle se déplace désormais en fauteuil. A la pointe de la technologie, certes, mais ce n'est pas rien pour autant. Enfin, au moins, ni elle ni moi ne perdons encore la tête, comme certains.
- J'ai cru comprendre qu'elle avait du mal à se faire à sa retraite
, fit remarquer Marcus Cornell.
- Oui, elle a fondé un petit laboratoire indépendant je crois, dit le Professeur d'un air absent. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle y fait, mais il faut bien qu'elle s'occupe... Vous en savez peut-être plus ?
- Rien du tout
, mentit le Colonel avant de reprendre précipitamment une gorgée. Mais si elle est bien une ancienne infirmière, pourquoi l'avoir appelée Pandora ?
- Vous ne pensez quand même pas que toutes les infirmières s'appellent Joëlle ?
plaisanta l'homme. Chacune d'elle possède une série de trois prénoms pour se reconnaitre entre-elles. D'autant que Joëlle est plus une... marque de fabrique qu'un nom de famille.
- C'est-à-dire ?
demanda le Ministre de la Justice en plissant les yeux.
- Les infirmières que nous recrutons peuvent venir de n'importe quelle famille, tant qu'elles remplissent certaines conditions, répliqua l'homme. Mais dites-moi plutôt, mon très cher Marcus...

Le Professeur Higgs se redressa sur sa chaise et se rapprocha de son collègue en croisant les doigts. Il avait quelque chose dans le regard qui venait de changer et qui mettait Marcus Cornell mal à l'aise. Il n'entendait plus le clapotis assourdissant des gouttes d'eau ni le grondement des éclairs. C'était comme si d'un seul coup la pression terrestre s'était intensifiée et qu'il se trouvait seul à seul avec le professeur dans une autre dimension. Et pourtant, ils n'avaient pas quitté le bureau et l'orage au dehors continuait de faire rage.

- Vous êtes certain de ne pas savoir ce que fait Dorothéa Crowfoot de tout son temps ou bien tentez-vous de me cacher quelque chose ?

Deus Ex MachinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant