L'An de Dieu

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  L'An de Dieu  

  S'il n'y a pas de prix à payer, c'est que cela ne vaut rien.  

Albert Einstein

  Aldebert et Oscha étaient en train de charger à l'arrière de leur Pick-up le matériel nécessaire pour soigner des Pokémon blessés quand on frappa à la porte du garage. Oscha abandonna de suite la trousse qu'il tenait en main afin d'aller ouvrir à son frère, Rémus, qui était enfin de retour avec leur mère, Olivia Higgs. Elle était vêtue de vieux vêtements, un peu déchirés, et n'avait comme bagage que son petit sac à main. Son frère aidait la pauvre femme à rester debout, car elle se sentait de plus en plus faible ces derniers jours et avait beaucoup de mal à se déplacer.

Mais malgré son état de grande fatigue, Olivia Higgs gardait le sourire. Elle n'avait plus vu ses garçons depuis leur départ de la maison, juste après leur dernier diplôme, quelques mois auparavant. Afin d'échapper à l'influence de leur père, les jumeaux s'étaient littéralement enfuis de chez eux. Ils avaient trouvé, avec Aldebert, un travail à Parmanie, au Parc Safari, l'une des plus grande réserves naturelles de Kanto et qui servait aussi d'attraction touristique très règlementée pour les dresseurs de passage. Ils n'avaient pas pris la peine de prévenir leur père, qui était entré dans une rage folle et se refusait désormais de les voir. Olivia, par contre, avait été mise au courant, mais n'avait rien dit à son mari. Elle avait profité d'un voyage professionnel de l'architecte pour arranger une visite chez ses deux fils, dans le plus grand secret.

Les jumeaux Higgs attendaient ces retrouvailles avec beaucoup d'impatience, mais en voyant son état, Oscha se demandait si c'était bien raisonnable. Il aida son frère à la soutenir et la firent s'asseoir sur une vieille chaise en osier.

- On ferait mieux de t'installer chez nous, aujourd'hui, lui lança Oscha, l'air inquiet. On dirait que tu es complètement lessivée...
- Ho, non, j'ai dormi tout le trajet avec Rémus
, dit-elle en soupirant. Je vais bien, ne t'inquiète pas pour moi...
- Oscha a raison, tu couves quelque chose, maman !
répliqua Rémus en se mordillant les lèvres.
- Mais je n'ai pas de température, tu l'as dit toi-même, répondit leur mère, contrariée. Je ne vous ai plus vu depuis si longtemps, je ne vais quand même pas rester au lit toute la journée sans vous voir ! Je veux passer la journée avec vous, mes trésors. C'est ce qui était prévu...
- Bon, d'accord...
dit Rémus. On va s'arranger...

Ils finirent de charger le reste du matériel, ainsi que la nourriture spéciale à donner aux Minidraco, puis chargèrent un lit de camp à l'arrière du véhicule, le bloquant pour qu'il ne bouge pas à l'aide des sacs et des boites qui s'y trouvaient. Ils y installèrent leur mère, qui protesta un peu, mais se laissa faire. Il y avait normalement deux places à l'avant, mais comme les deux frères voulaient veiller sur leur mère, seul Aldebert s'y installa, et son Balignon prit la place du passager. A trois à l'arrière, les jumeaux n'étaient pas installés de manière aussi confortable que leur mère, mais ils s'en fichaient. Nucléos et Fluvetin, contents de retrouver Olivia, s'étaient posés prêts de sa tête, comme pour veiller sur elle, à l'image de leurs dresseurs. Puis Aldebert démarra, pas trop vite car il souhaitait éviter les chemins les plus mal tenus de la réserve pour ne pas secouer leur visiteuse.

- Je crois qu'elle s'est endormie... dit Oscha après quelques minutes, en voyant que leur mère avait les yeux clos.
- Ça ne durera pas longtemps, je crois, répondit Rémus, qui ne la quittait pas du regard. Elle a fait plusieurs petites siestes comme celle-ci, à l'aller, mais elle s'est toujours réveillée après quelques minutes.
- On n'aurait pas dû l'emmener avec nous
, regretta Oscha. Elle est vraiment pas bien, elle doit être malade...
- Elle était comme ça quand je suis arrivé à Jadielle... et malgré ça, elle était toute seule chez nous... Pas que je voulais voir papa, hein, mais il aurait pu annuler son stupide voyage en voyant sa femme de cet état, franchement...
- Il a toujours été un hypocrite qui pense qu'à lui
, cracha Oscha.
- Ouais... Dis, on va où, comme ça, d'ailleurs ? répondit Rémus pour changer de sujet. J'ai même pas demandé, et je vois plein de matériel de soin, à bord...
- C'est un des troupeaux de Kangourex de la zone F
, répondit son frère. On nous a signalé que plusieurs individus avaient été blessés.
- C'est étrange, c'est pas leur saison des amours, pourtant...
- Je sais, mais Mr Baoba, le directeur, a dit qu'on ne devait pas s'en inquiéter, et qu'ils avaient surement eu des affrontements avec les Tauros. D'après lui, ça arrive parfois...


Une fois arrivés aux abords du troupeau de Kangourex, Aldebert arrêta le Pick-up. En les apercevant, les Pokémon se dirigèrent d'eux-mêmes vers eux. Ils avaient l'habitude de croiser des humains, se trouvant dans la zone réservée aux visites des touristes. De plus, quelques fois par semaine, les employés du Parc venaient pour distribuer de la nourriture supplémentaire à ce qu'ils trouvaient naturellement dans le Parc, afin de leur assurer un meilleur régime. C'est donc tout naturellement que les Pokémon se rassemblèrent autour d'eux. Malgré leur taille et leur physique imposant, ces Pokémon étaient plutôt placides et rarement agressifs, tant qu'on ne s'en prenait pas à leur progéniture.

Ils descendirent le lit de camp et Olivia afin qu'elle puisse observer ce qu'ils faisaient. Puis, attrapant chacun un kit de soin, les trois jeunes hommes commencèrent à inspecter les différents individus qui composaient le groupe, tout en offrant un peu de nourriture à chacun. Le constat était assez inquiétant, car presque un Pokémon sur quatre avait de larges entailles au niveau des jambes, comme si elles avaient été réalisées par des objets tranchants ou perçants.

- Je me demande bien ce qui a fait ça, grommela Aldebert en nettoyant les plaies qu'un mâle avait aux cuisses.
- C'est pas un Tauros, ça, c'est sûr, lança Oscha. Une corne ne peut pas laisser des marques comme ça...
- Ouais, et c'est trop régulier aussi. Une sorte de morsure, peut-être...
- Je pensais plutôt aux cornes d'un Scarabrute
, dit Aldebert. Si le Pokémon les referme sur leur jambe, ça pourrait faire quelque chose comme ça...
- Sauf qu'il n'y a pas de Scarabrute en Zone F, ni autour
, dit Rémus.
- Et ces deux espèces ne s'attaquent jamais entre-elles, hors, ici, ils sont nombreux à avoir été blessés. Ce n'est pas normal...

Ils continuèrent à soigner les plaies des Pokémon. Plus tard, Rémus tomba sur un individu femelle particulièrement amoché. Elle avait des blessures sur tout le ventre et semblait fortement souffrir de celles-ci. Rémus s'en approcha doucement et lui pris calmement le bébé qu'elle avait dans la poche ventrale. Le Pokémon grogna, manifestement pas très heureux d'être séparée de son enfant, mais Rémus lui chuchota des mots rassurants à l'oreille. Le Pokémon le laissa faire et le soigneur déposa le petit auprès de sa propre mère, pour lui montrer qu'il était en de bonnes mains. Le Pokémon renifla, agacé, mais se laissa ensuite soigner. Après quelques minutes, Rémus récupéra le petit Pokémon et le rendit à sa mère, qui le plaça dans sa poche avant de se détourner.

- Tu sais t'y prendre avec les Pokémon, dit Olivia avec un faible sourire.
- Ils savent que je fais ça pour leur bien, répondit-il. Mais je suis quand même inquiet, les blessures de celle-ci sont très profondes, et j'ai peur que ça ne s'infecte...
- Ho...
- Il faudra qu'on revienne vérifier l'évolution dans les prochains jours... j'espère vraiment qu'on ne devra pas l'euthanasier...
- Tu penses qu'il y a un risque
, demanda sa mère, visiblement troublée.
- Hélas... Tu sais, j'aimerai vraiment trouver un moyen de soigner efficacement tous les types de blessures, mais malheureusement, ça n'existe pas...
- Alors, invente-le !
lui proposa sa mère. Toi et ton frère, vous êtes mes petits génies. Rien n'est impossible pour vous.
- Merci, maman
, dit Rémus avec un sourire embarrassé. C'est sûr que ce serait vraiment génial ...
- Dans ce cas, je compte sur vous deux !
répondit-elle en continuant de sourire.
- Qu'est-ce que vous racontez ? demanda Oscha, qui venait d'arriver pour reprendre une nouvelle boite de désinfectant.
- Ho, je disais à ton frère que j'étais vraiment très fière de ce que vous étiez devenus, tous les deux.
- Tu ne nous en veux pas de t'avoir quitté comme ça ?
demanda Oscha en rougissant.
- Au contraire, vous deviez vivre vos rêves, leur dit leur mère en sortant de son sac une petite bouteille. Votre père vous en empêchait, et c'est bien normal que d'être partis... Mais je suis quand même contente de vous avoir revus. Je suis vraiment fière de vous, mes trésors... Je sais que vous allez faire de grandes et belles choses.
- Merci Maman
, lui répondirent ses deux garçons en souriant, avant de repartir au travail.

Une fois qu'ils furent tous les deux de nouveau en train de soigner les Kangourex, Olivia tenta de se relever péniblement. La voyant en détresse, Aldebert alla l'aider. Elle désirait simplement attraper son sac à main, qui était resté à l'arrière du véhicule. Le jeune homme alla le chercher à sa place et lui remit avec un grand sourire. La femme le remercia faiblement et il se détourna tandis qu'elle attrapait une bouteille en plastique remplie à moitié d'un liquide vert pâle, qu'elle but d'une traite avant de se recoucher sur le lit de camp.

Mais peu de temps après, alors que les jeunes vétérinaires avaient presque terminé d'inspecter tous les Pokémon du Troupeau, le bruit caractéristique d'un moteur se fit entendre. Alors que les Kangourex étaient d'ordinaire habitué à celui-ci et se laissaient approcher facilement, ceux-ci poussèrent des cris de contestations et la plupart des plus jeunes firent même mine de s'éloigner. Surpris par cette étrange réaction, Aldebert, Oscha et Rémus regardèrent la voiture s'approcher d'eux.

- Ce n'est pas un pick-up du Safari... dit Rémus en fronçant les sourcils.
- Qu'est-ce qu'ils foutent ici... s'étonna Aldebert, l'air pas très rassuré.
- Aucune idée...

La plupart des Kangourex étaient en train de partir dans la direction opposée. Cependant, quelques-uns étaient restés, et s'étaient mis en position de manière à empêcher la voiture de passer pour rejoindre leurs semblables. Ils grognaient et écartaient les bras comme pour se rendre plus imposants. Enfin, l'automobile s'arrêta à un dizaine de mètres d'eux et trois hommes dont le visage était en partie caché par un foulard en sortirent. Les trois jeunes scientifiques, quant à eux, se tenaient entre eux et les Pokémon du troupeau.

- Des braconniers, chuchota Oscha, en serrant les poings.
- Déguerpissez d'ici ! leur cria Rémus. Vous n'avez pas le droit d'être là, et ces Pokémon ne sont pas à vous !

Pour toute réponse, les hommes se mirent à rire et envoyèrent chacun trois Poké-ball en l'air, invoquant des Scarabrute. Les Pokémon Insecte étaient plutôt imposants et paraissaient particulièrement agressifs, faisant claquer leurs cornes. En les voyant, Aldebert, Oscha et Rémus comprirent aussitôt que c'était ces-mêmes Pokémon qui étaient à l'origine des blessures des Kangourex qu'ils avaient soignés. Ceux qui étaient restés poussaient des grognements de colère.

- Si j'étais vous, je m'en mêlerais pas, les jeunes ! lança un des braconniers, narquois. Allez plutôt voir dans une autre zone.
- Allez vous faire foutre
, répondit Rémus. Amos !

Le Fluvetin réagit aussitôt, envoyant un Eclat magique en direction des Insectes. Mais ceux-ci étaient d'un tout autre niveau et l'attaque ne sembla pas leur faire de mal, alors qu'ils n'avaient pas bougé. Leurs dresseurs rirent, puis leur ordonnèrent de charger. Ils s'exécutèrent, fonçant à trois vers un Kangourex chacun. Les Pokémon pris pour cible s'élancèrent à leur tour avec Bélier, dans l'espoir de freiner l'attaque de leurs adversaires. Mais ce n'était en rien suffisant et les cris de douleur fusèrent quand les puissantes cornes claquèrent violement partout sur leur corps.

Les trois scientifiques crièrent avant d'ordonner à Nucléos, Fluvetin et Balignon d'attaquer pour venir en aide au Kangourex le plus proche. Fluvetin tentait désespérément d'attirer l'attention d'un des Scarabrute vers lui, à l'aide d'odeurs et d'Eclats Magiques. Mais le Pokémon continuait de planter ses cornes autour du corps de Kangourex avant de les refermer, provoquant de nouvelles effusions de sang. Nucléos, lui, était parvenu à énerver l'un des Scarabrute en le provoquant. Le Pokémon s'était détourné de sa victime et s'avançait en claquant des cornes, menaçant. Balignon, quant à lui, balançait des spores diverses sur le dernier Scarabrute, espérant l'empêcher de continuer.

Pour résumer, l'aide de ces trois Pokémon n'était pas un grand succès. De plus, ils n'aidaient qu'un seul des Kangourex, les deux autres devant se battre seuls contre trois Pokémon chacun, et poussant des cris d'agonie de moins en moins forts, comme si leur force les abandonnaient. Ils parvenaient bien à frapper l'un ou l'autre Scarabrute, mais sans parvenir à les faire tous dégager. Les autres Kangourex, apeurés, s'étaient enfuis pour se diriger vers le troupeau. Ils savaient qu'ils ne faisaient pas le poids...

Finalement, le Pokémon attaqué par Balignon s'endormit, ayant enfin respiré assez de Spore. Balignon allait venir en aide à Fluvetin quand, soudain, le Kangourex s'écroula et manqua de l'écraser. Le pauvre Pokémon gémissait faiblement alors que le dernier Scarabrute continuait de s'acharner dessus, les cornes rougies par le sang de sa victime. Amos le Fluvetin tenta alors de l'attaquer directement et physiquement. Mal lui en prit, car son adversaire l'attrapa de sa main et l'écrasa violemment au sol. Rémus, son dresseur laissa échappé un cri de surprise et, voyant son Pokémon inconscient, le rappela dans sa Poké-ball. Enragé par la situation, il se dirigea vers le Pick-up, dans l'espoir de trouver de quoi les aider à s'enfuir. Presque au même moment, le Nucléos d'Oscha esquiva de justesse un claquement de Cornes. Le Pokémon se rapprochait de lui et semblait avoir la ferme intention de le déchiqueter sans ménagement. Oscha avait sa Poké-ball prête à rappeler son partenaire en cas de pépins. Heureusement, Balignon arrivait par derrière afin d'aider son ami.

De son côté, Rémus était en train de fouiller le véhicule, désespéré. Ils avaient surement oublié les Talkie-walkie car il n'arrivait pas à mettre la main dessus. Il était en train de retourner tous le matériel, priant pour trouver quelque chose d'utile. Ne trouvant rien, il pesta et détourna son regard pour voir comment son frère et Aldebert s'en sortaient. Mais son regard fut soudain attiré vers le lit de camp sur lequel se trouvait sa mère. Elle n'avait pas dit un mot, n'avait pas bougé depuis que l'attaque avait commencé. Il fronça les sourcils et se rapprocha, d'elle. Elle souriait paisiblement, les yeux clos. Par terre, à côté de son sac à main, il y avait une bouteille presque vide. Rémus la ramassa, déglutit, puis l'ouvrit et huma l'odeur qui s'en dégageait. Un parfum acre et nauséabond...

Rémus lâcha la bouteille en écarquillant les yeux. Il regarda sa mère et tomba à genoux. Il en avait oublié la gravité de la situation, et jusqu'à l'existence même des braconniers qui les attaquaient. Il prit le bras de sa mère et chercha son pouls. Sans succès.

- Non... Non... non non non... répétait-il alors qu'il vérifiait, l'un après l'autre, chaque signe vital qu'un être humain en bonne santé était censé présenter. Non... NON !

Il s'écroula sur le cadavre d'Olivia Higgs, éclatant en sanglots. Il caressa ses cheveux, lui quémandant désespérément qu'elle se réveille, ne voulant pas y croire. Il cria soudainement un juron, qui attira ainsi l'attention de Rémus et Aldebert, mais aussi des Pokémon encore en état de se battre. Son frère le regardait de loin, l'air étonné, tandis qu'Aldebert s'approchaient de lui. C'est quand il vit Rémus tenter un massage cardiaque qu'il comprit que quelque chose de terrible était arrivé. Il resta un instant pétrifié puis se mit à courir vers eux.

Puis, brusquement, il se ravisa, et se retourna à nouveau. Il avait entendu un braconnier donner un nouvel ordre, comme s'il voulait régler l'histoire au plus vite. Nucléos était resté sur place et, son attention attirée, il avait baissé sa garde. C'est ainsi qu'Oscha vit son Pokémon se faire déchiqueter en lambeau par le Scarabrute qui l'avait pris pour cible.

Le jeune homme en resta pétrifié d'horreur. C'était le choc de trop pour lui. On aurait dit que le temps s'était arrêté et que, partout autour de lui, le monde s'écroulait sous ses yeux. Les braconniers envoyèrent alors des Poké-ball pour cueillir les Kangourex qu'ils avaient littéralement massacrés et qui peinaient à respirer, laissant derrière eux de l'herbe souillée par leur sang. Ils rappelèrent ensuite leurs Scarabrutes et se hâtèrent de retourner dans leur véhicule, tout en proférant aux jeunes scientifiques qui avaient échoué à les arrêter de nouvelles insultes et moqueries. Mais aucune d'entre-elles n'atteignirent les oreilles d'Oscha. 

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