Chapitre 1.

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La voiture garée dans le parking de l'aéroport de Rouen, je me dirige à grandes enjambées énergiques vers le hall des arrivées.

Malgré l'heure tardive, je n'ai pas, heureusement, raté l'atterrissage.

Une très bonne nouvelle, mon neveu Fabien n'a pas besoin d'une déconvenue supplémentaire. J'espère n'avoir pas pris une mauvaise décision. Je me sens capable de gérer un adolescent, même si celui-ci a fait tout et n'importe quoi ces deux dernières années. D'après ce que m'a expliqué ma sœur, son accompagnant devrait le porter puisque le fauteuil est dans la soute. Planté devant la sortie, je ne pensais pas être autant surpris en le voyant arriver. Ma sœur m'a décrit un adolescent fermé, en colère contre le monde entier. Le complet opposé avec ce jeune homme souriant. J'ai même le réflexe de regarder si un autre fauteuil roulant suit celui-ci.

- Tu ne me reconnais pas, Tonton ? m'interpelle le garçon souriant.

- Holà, Fabien. Si tu m'appelles Tonton, je te renvoie d'où tu viens, remarqué-je avec un large sourire. Ludovic ou Ludo ira très bien. Il est où ton accompagnateur ?

- Parti. Son rôle était juste de me porter jusqu'à mon fauteuil. Il récupère les bagages, précise-t-il. Je me débrouille tout seul pour le reste.

- Tu en as encore pour combien de temps ? lui demandé-je en montrant le fauteuil.

- On peut changer de sujet, s'il te plait, réplique-t-il immédiatement d'un ton plus sec. C'est loin chez toi ?

- Une petite demi-heure. On va chercher tes bagages ?

En deux mouvements, le fauteuil me double. Un tel écart de comportement en si peu de temps, c'est surprenant ! Deux énormes valises nous attendent sur un chariot surveillé par un homme qui leur fait signe.

- Et ma guitare ? s'inquiète mon neveu d'une voix à peine aimable.

- Elle ne devrait pas tarder, les objets fragiles sont mis à part, lui répond poliment l'homme.

Un mec arrive justement avec un étui qu'il pose sur les genoux de Fabien. Celui-ci s'empresse de vérifier l'état de son instrument et vu son sourire, tout va bien.

Je réalise en fermant le hayon que ma voiture n'aurait pas été assez grande : même plié un fauteuil roulant prend beaucoup de place. Lorsque Fabien bascule de celui-ci au siège passager, je remarque la fine musculature de mon neveu.

- Peux-tu t'arrêter dans un bureau de tabac, s'il te plait ? Il ne me reste plus que deux cigarettes.

- Ma maison n'est pas non plus en pleine cambrousse, tu sais ? Et tu as même l'autorisation d'en fumer une maintenant. Le propriétaire de cette voiture fume comme un pompier, ne te gêne pas !

- Je peux attendre plus tard, j'aime juste pas en manquer, remarque-t-il avant de fixer la route en silence.

Quel drôle de gamin me demandé-je ! Il semble lutter constamment entre joie et tristesse. Je réalise à cet instant que mes études dans le milieu social et mes quelques années de pratique en tant qu'éducateur vont sûrement m'être utiles. Ma soeur n'a pas été très loquace sur son fils, les relations semblaient être figées depuis l'accident. Un sujet délicat qui déclenchait chez elle des larmes et des soupirs, et apparemment l'adolescent n'avait pas l'air d'être plus ouvert sur cette discussion.

Quand je tourne dans la cour et coupe le contact, j'en profite pour jeter un oeil sur l'adolescent à mes côtés. Le lieu ne laisse pas beaucoup de doutes sur la maison. Toute en pierre, des ouvertures de style ancien, une allure de vieille maison. Fabien, une petite moue sur son jeune visage ne paraît pas emballé.

- Je descends cinq minutes pour prévenir Frédéric que nous sommes arrivés. C'est sa voiture et sa maison. La mienne est un peu plus loin. Pas moyen de faire autrement, monsieur déteste les portables, précisé-je en levant les yeux au ciel.

- Pas de soucis, j'en profite pour fumer alors.

Je trouve Frédéric plongé dans les papiers quand je frappe à la porte de son bureau.

- Nous sommes arrivés. Tu me déposes la voiture tout à l'heure ?

- Attends, tu ne vas même pas me présenter ce fameux neveu ?

- Ce n'est pas un animal de foire, tu sais ! Tu auras tout le temps de le rencontrer, il va vivre chez moi toute l'année. J'y vais. Et n'oublie pas la voiture, j'en ai besoin demain !

Je m'installe derrière le volant et démarre la voiture.

- En effet, c'était rapide, remarque mon passager, la cigarette allumée à la main. Du coup, je peux la finir ?

- Prochain arrêt, bureau de tabac, et après à la maison. Tu as appelé ta mère ?

- Je lui ai laissé un message, répond-il sèchement.

Je grimace, décidément certains sujets sont à éviter. Espérons que la maison lui redonne le sourire.

Après un bref arrêt où j'ai été chercher des cigarettes, j'entre enfin dans ma cour. Et vu comment mon neveu se redresse sur le siège, je pense avoir réussi mon coup. Il a dû, comme beaucoup, imaginer que mon métier de maraîcher implique une vieille ferme pourrie ! Je coupe le moteur et attend fier de moi. Elle a de la gueule ma longère !

- C'est ta baraque, s'extasie Fabien ?

- Oui, avoué-je. Elle te plait ?

- Je ne sais pas, je m'attendais surtout pas à cela !

- Et à quoi tu t'attendais, alors ? demandé-je curieux.

- À rien de particulier, Ludo. Mon objectif était juste de partir de chez moi.Tu peux sortir mon fauteuil, s'il te plait ? J'aimerai me reposer un peu.

J'obtempère et après une visite brève des lieux, mon neveu s'installe dans sa chambre.








Des Légumes Dans L'assiette. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant