Chapitre 23.

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(Violette )

Les menaces de Fabien ont dû fonctionner car aucune demande d'exercices ou de devoir ne m’a été demandé. J’ai bien repéré quelques regards très noirs mais c’est un peu logique, certaines moyennes  vont considérablement chuter sans mon aide. 

A la fin de la journée, nous rentrons à pied vers la maison, il fait beau et ce n’est pas loin. La voix de mon frère en train de pousser la chansonnette nous accueille lorsque nous entrons. Cela me fait plaisir, il est heureux.  Fabien, qui a peu parlé sur le chemin, se détend.

L’appartement embaume comme assez souvent chez nous : mon frère n’est pas cuisinier pour rien. 

— Bonjour les jeunes. La journée s’est bien passé ? demande-t-il. J’ai fait des crêpes, Ludovic va peut-être arriver en retard.

Je remarque le sourire de Fabien. Mon frère a de la farine sur la joue, je me déplace pour lui enlever avec un torchon posé sur le dossier d'une chaise. Cinq minutes après nous sommes installés au comptoir, piochant des crêpes dans le plat. Pas de leçons, aussi nous discutons de tout et de rien, et il me semble bien que mon frère n'intimide plus autant Fabien. Ludovic annonce son arrivée imminente et mon frère s'échappe discrètement.  Son retour très parfumé provoque chez nous un très grand fou rire. C’est à mon tour d’angoisser. J’ai très peu vu Ludo et j’ai peur de ne pas réussir à formuler une phrase s’il me pose une question. Mes mains sont moites et je me donnerais volontiers des claques pour me laisser submerger ainsi.

— Bonjour Violette, me salue Ludo. Es-tu d’accord pour que je t’embrasse ?

Son léger sourire, son regard bienveillant, et la présence rassurante de mon frère balayent mes craintes.

— Bien sûr, acquiescé-je en le laissant m’embrasser. 

( Ludovic)

Je maudis intérieurement madame Picot. Sa gentillesse et son bavardage vont me mettre sérieusement à la bourre. Aussi, le plus discrètement possible, je commence à ranger tout en lui répondant par monosyllabes. Dès qu’elle disparaît, je m’active et galope pour tout ranger comme si on avait poussé le bouton marche rapide. 

J'envoie un sms à Martin pour le prévenir de mon retard plus que probable et me précipite dans ma salle de bain.

Ce sera la première réelle soirée face à la petite soeur de Martin. Il m’en a longuement parlé cet après-midi dans mon lit. Elle est d'une nature timide, et j’ai compris à demi mots que j'étais une source d’angoisse pour elle. 

Martin m’accueille et je me lance en essayant de ne pas bafouiller. Quand elle accepte et que je la serre délicatement contre moi, je suis heureux et la main de Martin qui étreint la mienne me remplit de bonheur. 

(Martin)

Quinze jours ont passé, nous avons pris l’habitude de manger ensemble chez l’un ou chez l’autre. Toujours aucune nouvelle pour la tutelle, j’ai envoyé un mail à mon avocate et la réponse vient d’arriver. Le juge des tutelles va statuer la semaine prochaine,il n’a aucun besoin de nous revoir, mais elle souhaiterait nous recevoir. J’ai une idée de la raison de cette demande, et je tente depuis un moment de trouver un moyen pour en parler avec Violette.

— J’suis rentrée, dit-elle comme si ce n'était pas une évidence

 Le bruit de son sac, suivi de ses chaussures qu’elle laisse tomber au sol dans l'entrée m’informe de sa progression. Elle se serre contre moi et me fait un bref bisou sur la joue.

— Que fais-tu sur le canapé et dans le silence. Tu as des mauvaises nouvelles c’est cela ? interroge-t-elle d'une voix subitement  tremblante.

— Pas de mauvaises nouvelles, le juge statue la semaine prochaine. L’avocate voudrait nous voir, expliqué-je en la fixant. 

Son regard devient dur instantanément, et son corps se raidit. Elle se détache de moi et s'assied au bord du canapé, la tête entre les mains.

— Il sera là ? chuchote-t-elle. 

— Je ne crois pas, non. Je t’attendais pour appeler. 

Combien d’années faudra-t-il encore pour que cette peur tangible cesse dès qu’elle entend parler de lui. Elle n’arrive toujours pas à me raconter toutes ces années où mon géniteur aidé par l’alcool ou pas, hurlait, humiliait, tabassait notre mère. Violette était la plupart du temps présente…

Je compose le numéro après son accord visuel, et je lui prends la main.

— Bonjour monsieur Duguin. Merci pour votre rapidité. 

— Bonjour Maître. Violette est à mes côtés, et nous sommes, vous vous en doutez, inquiets. 

— L’avocat de votre père m’a transmis une lettre. Je pense qu'il serait judicieux de la lire.

— Qu’elle le fasse, chuchote ma soeur.

— Je n’ai pas le droit de la lire moi même et je comprends que ce soit angoissant, continue l’avocate comme si elle avait entendu. Réfléchissez et rappelez moi. 

Nous restons silencieux après avoir raccroché.  Violette est toujours contre moi, je la sais capable de rester murée dans cette position très longtemps. Je ne bouge pas malgré son téléphone qui vibre et que miracle elle attrape. Je suppose qu'il s'agit de Fabien, car sans rien dire, elle se lève et file dans sa chambre.

J’ai moi aussi besoin de lâcher un peu de cette angoisse.

— C’est moi. Tu as un peu de temps ?

— Bien entendu, bébé, toujours pour toi. Que signifie cette toute petite voix ?

— Un mail de mon avocate. Ils statuent la semaine prochaine...et il a laissé une lettre. J’ai tellement peur de ce qu'il a pu y mettre.

— Tu me laisses le temps de prévenir Fabien et j’arrive.

Je n’ai pas conscience du temps qui est passé, je sais juste que des bras m’enveloppent, me réchauffent et que je peux me laisser aller.

Il sait une partie de l’histoire, je rajoute à voix basse celle de Violette. Je lui raconte ses difficultés à se faire confiance et ses énormes progrès depuis l’arrivée de Fabien. Je pleure comme un enfant de la peur qu’elle flanche à nouveau. 

Ludovic m’écoute, me laisse vider mon sac. 

(Fabien)

Ludovic est venu me récupérer au lycée ce soir. Nous retrouver tous les deux est troublant. Pas désagréable mais il est vrai que j’apprécie beaucoup Martin. Lorsqu'il est là,  mon oncle, d'un naturel déjà enjoué, flamboie. J’ai l’impression que Martin et Ludo ne peuvent s’ empêcher de se toucher, s'effleurer, sans que cela soit gênant pour les autres. Violette se plait bien ici, m’a-t-elle dit, et elle est prête pour s'y installer dès que son frère sera officiellement son tuteur. Malgré le fait que nous ayons passé la journée ensemble, j’ai besoin de l’entendre. Aussi, après avoir aidé mon oncle, je m'installe sur le lit et je l’appelle. Son téléphone sonne dans le vide un moment puis elle décroche. Sa voix tremble.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Il a écrit.

Ces trois mots me suffisent. Pas besoin de plus. Le jour où nous avons séché, elle m’a parlé longuement de son père. Le mien à côté ressemble à un ange. Elle redoutait qu’il obtienne le droit de visite, son frère avait négocié du courrier. 

— Tu n’es pas obligé de le lire, si ? 

— Non, mais je crois que Martin en a besoin. Il sera avec moi. Je suis juste une trouillarde.

—Je crois que tu as toutes les raisons pour cela. Martin est là ? 

— Oui, je pense qu'il parle à Ludo. 

—Je confirme, il va le rejoindre vient-il de me dire. Je reste là avec toi.

J'ai discuté  jusqu’à ce que je sois certain qu’elle dormait. Le silence régnait sur la longère, puis j’ai entendu la voiture de Ludo. 

Des Légumes Dans L'assiette. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant