( Martin)Ludo vient de raccrocher. Et je n’ai pas trouvé la force, et le courage, soyons honnêtes, de lui dire que la place de chef avait été prise. Le coup de fil me l’annonçant m’a littéralement foutu plus bas que terre.
L’impression d’être un boulet accroché à la cheville de mon amant, et qu'un jour ou l'autre il va m'éjecter. Je sais que c’est un mauvais passage et que je vais trouver un truc, mais j’en rêvais tellement de pouvoir apprendre aux autres à cuisiner.
Je me pelotonne comme un enfant et je sens mon esprit sombrer.
Le bruit de cuillères et de bols me réveille avant la sonnerie de mon portable. Je me lève difficilement avec l’impression d'avoir fait une nuit blanche.
Violette, dos à la porte, lit une feuille tout en déjeunant. Le thermos de café est posé sur la table, je me sers une tasse et je vais l'embrasser comme chaque matin : notre rituel.
— Une dernière révision ? dis-je en jetant un oeil curieux sur le papier. Je n’ai pas oublié que ma soeur a fait les devoirs sous contrainte de quelques petits enfoirés du lycée.
— Un texte à dire en classe après le repas, lâche-t-elle dans un soupir, je ne vais pas y arriver.
— Tu le connais, j’en suis sûr. Fais comme lorsque l’on joue. Tout est dans la respiration, et la concentration. Tu auras un atout de taille dans la classe avec Fabien. Tu le regardes pendant toute l’épreuve, d’accord ? Ce soir, si vous ne nous voyez pas à la sortie, venez ici. Tu vas être en retard, ma puce, va te préparer.
— Quand on sera chez Ludovic, tu viendras me faire un bisou aussi le matin ? me demande-t-elle légèrement soucieuse.
— Tu n’iras plus au lycée quand nous y serons ? me moqué-je. De chez Ludo, il faudra bien que quelqu'un vous amène. Donc bisous et transport. File.
Quand Violette s’en va, je fonce à la douche. Les cartons à embarquer sont dans ma chambre. J’ai encore pas mal de tri à faire mais une après-midi avec Ludo va me faire du bien. Le temps de ranger un peu et j'entends frapper à la porte d’entrée.
Il a l’air fatigué mais comme à son habitude, il sourit. Je ne sais pas comment il fait pour voir toujours les bons côtés des choses. Dès qu’il m’enlace, je sens toute mon angoisse disparaître.
— Bonjour mon coeur. Tu sens bon, dit-il en me reniflant le cou. Tu me payes un café et on charge ?
Je gare ma voiture à côté de celle de Ludo. Celui-ci a déjà deux cartons dans les bras. D’où sort-il son énergie ?
— Pour éviter d’encombrer le passage durant le déménagement, j’ai déblayé un endroit dans le local. La semaine prochaine lorsque nous serons installés, nous les rapatrirons, qu’en penses-tu ?
— Parfait pour les miens, pour Violette, je n’ai aucune idée de ce qu'ils contiennent.
— Elle le décidera au moment . Fabien était surexcité ce matin, il m’a récité un texte qu'il doit dire devant la classe. Il était inquiet pour Violette, elle allait comment ?
— L'oral n’est pas facile pour ma sœur, tu sais bien. Elle le lisait encore et encore ce matin. J’ai tenté de la rassurer et conseillé qu’elle se serve de Fabien comme point d’ancrage. J’espère que cela fonctionnera, elle a fait d’énormes progrès.
— Je l’espère aussi. Ce matin, je dois passer chez Frédéric, tu viens avec moi ?
— Bien entendu, j’aime bien ce mec.
(Fabien)
Nous sommes les deux opposés, Violette et moi. L’épreuve orale est à quatorze heures, et j’ai beaucoup de mal à contrôler mon impatience. Face à moi, celle qui en peu de temps est devenue comme une soeur, se tord les doigts. Elle est paralysée par le trac. Le prof a fixé les moments de passage, et elle est la dernière. Je serai au premier rang, et je lui ai promis que, si elle me regardait et oubliait les autres, tout se passerait bien. Enfin si je m'assure que personne ne s'amuse à la troubler. C'est un cours en classe dédoublée, et deux des "amis" d'Antoine en font partie. Et justement celui-ci vient d’apparaître dans la cour. A moi de jouer. J’aime beaucoup m’amuser avec Antoine, ce caïd des cours de récréation ne m’impressionne pas du tout. Je présume qu'il ne s’est pas vanté avoir perdu la face devant un handicapé en fauteuil roulant, ce sera un moyen efficace de le confirmer. Je stoppe donc mon véhicule à quelques mètres de lui et je sors une clope.
— Qu’est-ce que tu veux ? me demande-t-il d'une voix qui se veut agressive.
— Pas grand chose, en fait. Juste préciser un tout petit détail. Cela te retombera dessus si Lionel ou Joseph troublaient l'oral de Violette.
— Cela n’arrivera pas, il n’y a eu aucun incident depuis, tu as vu ?
— Alors, c’est parfait, conclué-je en repartant vers Violette qui revient des toilettes.
....
— Belle présentation, Fabien. Juste une petite remarque, évite de faire bouger ton fauteuil, c’est très vite troublant. Violette, à ton tour.
Je suis à ma place, prêt à l'épauler lorsqu'elle se trouve derrière le bureau. La prof nous a laissé le choix : assis ou debout.
— J’ai choisi de vous présenter la campagne avoisinante ....
Sa voix a eu du mal au début, avec quelques passages à peine audibles, puis elle a relevé la tête, et regardé dans ma direction sans me fixer. Et, même si je connaissais le texte, les quelques bafouillements se sont vite estompés laissant la place à une diction excellente.
— Merci Violette. Malgré quelques petits problèmes au début, tu as repris la main. Pour ceux qui ne sont pas passés encore, j'espère que vous avez repéré les choses à faire ou à ne pas faire, commente la prof. Vous pouvez sortir.
Violette a eu le temps d’arriver à mes côtés. Ses pommettes sont un peu rouges et son sourire est lumineux.
(Frédéric)
Après une nuit récupératrice, j’ai fait le tour de la maison pour repérer ce que je veux emmener avec moi. Je ne sais pas si Ludovic a réussi à parler de ma proposition à son ami. Ce n’est pas que je suis pessimiste mais s'il m’arrivait quelque chose en Australie cette maison me permettrait de rebondir. L’idée de la laisser inhabitée au risque qu’elle soit squattée ne me plait pas du tout. Par contre, si Martin l’utilise pour monter son affaire, j’en serai très heureux.
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Des Légumes Dans L'assiette.
RomanceLudovic, 28 ans, maraîcher, a accepté d'accueillir son neveu Fabien. Celui-ci en rupture avec ses parents, ingérable, en fauteuil roulant va venir passer une année chez lui pour rattrapper les deux dernières années scolaires catastrophiques. Martin...