Chapitre 8.

1.3K 168 41
                                    


(Violette)

Le lycée n’est pas très éloigné de chez moi, et quand il fait un temps correct, j’y vais à pieds. Martin dormait quand je suis partie, il s'en voulait hier de m’avoir caché le rendez-vous avec la juge des enfants. Mon grand-frère se sent coupable de son absence à ce moment là de ma vie. Il n’engage pas la conversation sur ce sujet, l'évite systématiquement au point que parfois je me demande si mon père ne m’a pas exprès menti sur la raison de son départ. Arriverais-je un jour à trouver assez de force pour lui poser la question ? C’est très indiscret de lui demander s'il est gay, non ? Mon père le disait sur un ton beaucoup plus méprisant, limite mauvais aggravé la plupart du temps par la quantité d’alcool avalé. 

Arrête de me demander quand il va revenir ! Probablement jamais. Si ça se trouve il est mort ou il a chopé le sida, ton pédé de frère ! “

Après un petit signe au surveillant à l’entrée, je me dirige directement vers le foyer. Mes cours commencent dans une demi-heure, et contrairement aux autres élèves, je n'ai personne avec qui discuter. C’est pour cette raison que je suis surprise en entendant mon nom.

— Attends-moi, Violette, m’interpelle Fabien qui se dirige vers moi avec son fauteuil.

Son visage est souriant et je réalise à cet instant que moi aussi, je souris. 

— Je me doutais que tu serais là ! me dit-il. Tu arrives toujours aussi tôt ? 

— Quand je viens à pied, oui, expliqué-je sans bafouiller à ma grande surprise.

— Tu habites loin ? continue-t-il.

— Non. 

J'espère qu'il ne va pas poser des questions en rafale. 

— Je crois que la grimace que tu viens de faire voulait dire :"il va arrêter avec ses questions ! ", m'explique-t-il en rigolant et tout naturellement je me mets moi aussi à rire. 

Nous avons passé le reste du temps au foyer à discuter. Enfin Fabien a beaucoup parlé, moi je l’ai surtout écouté. A la sonnerie, j’ai réalisé que contrairement à mes habitudes, je n’étais pas déjà devant la salle de cours et une bouffée d’angoisse m'a assaillie. 

L’idée de traverser les couloirs m’a semblé impossible, peut être que Fabien s'en est aperçu. 

— Si tu restes collée au fauteuil, ils ne diront rien, tu seras presque invisible,  m’a-t-il chuchoté.   

Et c’est vrai. Presque pas eu la sensation de leurs regards.

A midi, j’ai été surprise quand au lieu de se diriger vers le self, il m’a suivie dehors.

— Tu ne vas pas au self ? 

— Non. Mon oncle est au courant, j’ai mon casse croûte, je reste avec toi. Tu es d’accord ? 

Bien sûr que j’accepte. Le midi est une de mes pires angoisses. L’espace extérieur est  peu surveillé et cela donne des envies aux petits caïds de rire aux dépends des plus faibles. Je ne serais plus, grâce à sa présence, une cible facile.  

En effet, lorsqu'un peu plus tard le groupe d’Antoine sort du self, un seul regard vers le fauteuil le dissuade  de venir. 

Fabien le remarque aussi et me sourit tout en sortant une cigarette.

L’avantage d’être dehors est  que nous pouvons travailler tranquillement et j’ai de moins en moins de difficultés à parler avec Fabien. Mes mots sortent presque naturellement comme avec mon frère. 

A la reprise des cours de l’après-midi, je me retrouve à côté du fauteuil sans éprouver d’angoisse particulière.

( Martin )

La journée a été assez productive puisque j’ai reçu trois commandes pour des repas la semaine prochaine. Cela tombe à point les finances n’étant pas forcément au beau fixe. Deux d’entre elles sont  plus luxueuses et donc bien payées. Je me suis rendu aussi à un entretien avec un restaurateur qui cherche un second en cuisine. Il a regardé avec beaucoup d’intérêt mes vidéos et réfléchit à un possible contrat. Violette a des ambitions au niveau scolaire que je ne veux surtout pas remettre en question. S’il le faut, j’abandonnerai mes repas à domicile pour un travail plus contraignant mais largement plus rémunérateur.

 Hier soir, j’ai discuté avec Ludovic pendant presque deux heures.  Nous avons de plus en plus de mal à supporter de ne pas se voir quand nous le désirons. Il me pousse à en parler avec ma soeur mais j’estime que ce n’est pas forcément le moment. Bref, je me suis endormi très tard et ce matin je n’ai pas entendu Violette. Elle m’a laissé un petit mot pour me préciser qu’elle allait au lycée à pied. 

J’ai décidé de venir la chercher ce soir, et je suis devant la porte. Je ne lui ai même pas envoyé de message pour la prévenir, elle me verra. Je ne m’attendais pas à cette surprise quand elle entre dans mon champ de vision. C’est la première fois que je la surprends avec un franc sourire dans ce lieu. Et je comprends très vite à qui est dû ce sourire, au mec dans le fauteuil roulant qui l’intéresse a priori. Je l’ai reconnu immédiatement, il s’agit du neveu de Ludovic. Violette a détourné son regard de lui et m'a repéré. Elle lui parle et moi je panique un peu. Comment expliquer que je le connais puisque Violette n’a jamais entendu parler de Ludo. Je décide de prendre les devants mais ma soeur est plus rapide.

— Bonjour Martin, ce n’était pas la peine de venir me chercher, je serai rentrée à pied, me dit-elle d'un ton enjoué. 

— Je n’en doute pas, petite soeur, mais j’étais dans le coin, dis-je et je fixe Fabien comme si je ne l’avais jamais vu. 

Celui-ci me sourit, je vois très bien qu'il m’a reconnu mais il ne dit rien. Il se tourne vers Violette.

— À demain, Violette. Je ne sais pas à quelle heure par contre. Au revoir, monsieur.

— À demain, Fabien lui dit-elle alors qu'il dirige son fauteuil vers le parking.

Elle marche à mes côtés et s'installe dans la voiture lorsque j’ai déverrouillé les portières. Cette situation est une première pour nous. Je me sens penaud car je ne suis pas honnête avec elle et je la sens mal à l'aise pour la même raison.

— J’aurais dû t’en parler, je sais. Fabien vient d’arriver dans ma classe. Le proviseur m’a demandé de l’aider à  rattraper son retard scolaire.

— Je ne vois pas en quoi c’est gênant, Violette. Il a l’air d’être gentil.

— Hier, il était très en colère quand il est sorti du bureau du proviseur et il m’a crié dessus, débite-t-elle d'une traite. Puis il s'est excusé. Si je t’avais dit cela hier, tu aurais rué dans les brancards.

— Il y a de fortes chances, en effet, reconnus-je. Par peur que tu sois mal à l’aise. Mais je n’ai pas ressenti cela en te voyant avec lui. Pas de bafouillements, et des sourires. 

— Hier, nous nous sommes installés au foyer, il manquait le prof d’Anglais. Il m'a dit que son réel point faible c'était les mathématiques. J’étais bloquée, Martin. Impossible de dire un mot. Il a attrapé un papier et il a écrit dessus. “ Par écrit si tu veux”  
J’avais peur d’être exposée avec le fauteuil, c’est l’inverse qui se passe, 

— Et avec les autres, comment réagissent-ils ? questionné-je. Ils viennent avec vous ? 

— Hier dehors,  ils étaient autour de moi comme d’habitude, à rire, se moquer mais quand ils ont vu le fauteuil arriver,  ils sont partis et Fabien a partagé son plateau avec moi. Ce midi, il avait une gamelle. 

Elle me raconte cela tranquillement, j’ai presque la sensation qu’elle me supplie de ne pas interférer dans sa vie et je prends la décision de la laisser faire.  Même si, encore une fois, je réalise que je continue à lui mentir. 

— Et bien, puisque tu es satisfaite, je ne vois pas pourquoi j’interviendrai. 

Son sourire suffit à me convaincre.

Des Légumes Dans L'assiette. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant