(Martin)Il me tarde que ce repas se termine. Les clients ont eu l'air satisfaits mais ce n'est pas mon cas. Ce genre de faux snobs me hérissent le poil. Ils n'ont pas pris le temps de savourer, avalant le repas à la même vitesse que leur salade du midi. Bientôt vingt- trois heures, il me restera un peu de temps pour discuter avec Ludovic : son neveu l’a envoyé paître tout à l'heure. Le gamin a l'air d'être très mal dans sa peau. Débarquer dans un nouveau bahut en milieu de trimestre en fauteuil roulant, c'est très loin d'une expérience idéale.
Appuyé contre la voiture, j'attends le train de ma soeur. J’ai laissé un message à Ludovic, supposant qu’à presque minuit celui-ci dormait. Quelques voitures arrivent chargées de parents. Je ne suis pas encore trop à l’aise dans ce rôle : nous n’avons même pas dix ans de différence, Violette et moi. Quand le train arrive en gare, je me positionne sur le quai. Ma soeur n’aime pas trop se faire remarquer, la ville est petite. C’est une des raisons - la plus importante- qui fait que je lui cache mon homosexualité, que je la cache tout court d’ailleurs. Ludovic me le reproche assez souvent.
Un bisou effleure ma joue, puis nous nous dirigeons vers la voiture. Violette traverse la vie comme une ombre.
— C’était bien, lui demandé-je une fois installé.
— Oui, mais je n’y retournerai pas. Je crois que je ne suis pas faite pour ce genre de voyages, Martin. Trop de bruit.
— Tu n’as pas trouvé de trou de souris pour devenir invisible, petite soeur ? me moqué-je gentiment. Quelqu'un t’a embêtée ?
— Non. J’étais avec deux filles sympas... Et toi, ton repas de ce soir ? Cela leur a plu ? change-t-elle adroitement de sujet.
— Je crois, oui. C’est peut-être moi qui suit un éternel insatisfait. Demain, tu dors. Pas de lycée avant la semaine prochaine.
(Ludovic)
Après la remarque de Fabien, j’ai préféré le laisser tranquille. Le travail de maraîcher a cela de plaisant, tu es au calme : les légumes ne te parlent pas, et tu fais de l’exercice. C’est sûrement à cause de cela que mon corps, sans un seul passage en salle de sport, est musclé. En milieu d'après midi, le repas que j’avais laissé dans le frigo avait disparu. Après une douche rapide je suis allé frapper à sa porte.
— Fabien, tu me retrouves dans la cuisine s’il te plait ? lui demandé-je sans insister.
A peine cinq minutes après, il est là, ses yeux fixés sur ses mains. J’ai l’impression qu'il s’attend à des remarques.
— Je te disais tout à l’heure que nous allions parler d’organisation, commencé-je en rentrant directement dans le vif du sujet. Une infirmière passera tous les jours. A toi de voir si tu préfères le matin ou le soir. Ton taxi passe te prendre et te ramène le soir. A toi de le prévenir si tes horaires changent. Pour le kiné, je n’ai pas encore trouvé quelqu'un mais j’attends un appel aujourd'hui.
— La kiné, je me la faisais moi-même, ne te tracasse pas avec cela. J’ai juste besoin de deux ou trois trucs, précise-t-il et cette fois-ci, il me regarde. Excuse-moi pour tout à l’heure, Ludo. C’était pas très malin ce que j’ai dit. Le lycée, il est loin d’ici ? Je veux dire, pas moyen d'y aller en fauteuil ?
— Un petit quart d’heure en voiture. C’est le taxi qui t’emmerde ?
— Oui. Ce n’est pas très discret. Y a pas moyen que tu me déposes, toi ? Même si je dois rester en permanence...
— Attends, je vais chercher ton emploi du temps, dis-je en me déplaçant jusqu’à mon bureau.
Je sais pertinemment que cela risque de compliquer mon boulot : il commence tous les jours à neuf heures. C’est justement à ce moment-là que je m’active à préparer mes commandes, et mon étal de l’après-midi. L’aller-retour va me bouffer une bonne demi-heure mais cela a l‘air d’être important pour lui.
— Alors ? me demande-t-il dans l'entrebâillement de la porte. Tu penses que c’est jouable ?
— Regarde, lui montré-je. Tu débutes tes cours à neuf heures sauf le vendredi puisque tu as sport. Je vais m’organiser pour t’accompagner. Et les jours où ça sera compliqué Frédéric te déposera. Ça te convient ?
— Tu es génial, sourit-il. Est-ce que je peux t’aider à quelque chose ? A part préparer à manger, là c’est un truc que je n’ai jamais fait. Tu étais dans les champs, là ?
— Non, je préparais ce qu'il faut pour la vente, expliqué-je en jetant un oeil sur l’heure. Viens, je te montre. Tu pourras peut-être m’aider.
Il me suit sans aucune hésitation. Le chemin de la maison au petit local où je vends mes légumes est goudronné, il devrait pouvoir y arriver sans problème. Je lui ouvre la porte coulissante et je rigole de sa mine étonnée.
— Tu n’as jamais vu de légumes ou quoi ? éclaté-je de rire.
— Si, n’exagère pas, tu veux, ironise-t-il. Tu produis tout cela ?
— En ce moment, oui. Mais la mauvaise saison arrive, certains vont disparaître et d’autres arriver. Et puis je vends aussi du miel, des oeufs de producteurs du coin. Tous les après-midi sauf les dimanche et lundi.
— Et tu crois que je saurai faire cela ? me demande-t-il incrédule.
— Tu veux essayer ? Avec moi, bien entendu, le rassuré-je.
— Et si je me trompe ? Mon père dit que je suis bête comme mes pieds.
— Laisse ton père où il est, tu veux bien. Phase d’observation pour commencer, les premiers clients arrivent, précisé- je.
Installé à proximité de moi, j’ai repéré très vite qu'il ne manquait aucun de mes mouvements. Souriant avec la clientèle plutôt bon enfant, ricanant parfois à mes blagues, je crois qu'il a apprécié. J’ai envie de lui proposer d’essayer de lui même quand il me surprend.
Une dame que je vois pour la première fois lui tend le sac en papier où elle a glissé des pommes.
— Pouvez-vous me donner le poids et le prix, jeune homme ?
Fabien me regarde, cherche visiblement mon accord que je lui offre d'un discret hochement du menton.
— Deux kilos six cent, madame. Des Golden. Trois euros vingt, c’est cela, patron ? me questionne-t-il tout heureux.
— Parfait, n’est-ce pas, madame ? Vous êtes la première vente de ce jeune employé aussi ces pommes vous sont offertes par la maison.
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Des Légumes Dans L'assiette.
RomantizmLudovic, 28 ans, maraîcher, a accepté d'accueillir son neveu Fabien. Celui-ci en rupture avec ses parents, ingérable, en fauteuil roulant va venir passer une année chez lui pour rattrapper les deux dernières années scolaires catastrophiques. Martin...