Chapitre 11.

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(Martin)

Pour une fois, je suis debout avant ma sœur. Il faut dire que ma nuit a été perturbée. J’entends encore la voix de Ludovic me dire qu'il ne voulait plus mentir, et je réalise qu’en croyant bien faire, j'ai risqué de perdre l'essentiel.

Malgré les quatre ans qui nous séparent, Ludovic est celui qui est le plus jeune d’esprit. Il reconnaît lui-même que jamais il n’a eu la nécessité de se cacher. Acceptée par sa famille, son homosexualité ne lui a jamais pesé. Il ne l'expose pas, comme beaucoup d’entre nous, mais il l’assume pleinement. Quand je me suis installé dans la région, j’ai eu besoin de me plonger dans le milieu gay, comme une contrepartie logique à mon coming out. C’est au cours d'une soirée que je l’ai rencontré, je n’avais jamais ressenti cette attraction animale avant. Dès la première nuit, je me suis senti chez moi. 

J’ai adoré ces mois où nous retrouvions dans mon petit studio ou chez lui. Nous ne nous cachions pas. Il était au courant pour Violette, de ma volonté d’obtenir la tutelle pour l'éloigner définitivement de notre père. J’ai exigé de lui que notre relation soit invisible aux yeux de ma soeur. C'était stupide.

— Bonjour, grommelle ma soeur. Déjà debout ? 

Ses cheveux en pétard, le regard sombre, elle a mal dormi. Malgré sa mauvaise humeur évidente, je la serre juste dans mes bras sans rien dire. 

— Bonjour. Céréales, jus de pomme ?

— Jus d’Orange, s'il te plait. 

Elle n’a pas mis fin à mon calin, la nuit a été sombre. Il est à peine 6h15, rien ne presse. C'est elle même, après un profond soupir, qui me donne le signal. Le rituel des lendemains des sales nuits nous le connaissons bien. Il est moins fréquent et  dure moins longtemps mais il est encore nécessaire parfois. C’est aussi cela que je dois protéger. Elle a été meurtrie.

— Je t’ai préparé une salade composée. J'ai été large, vous pourrez partager. 

— Merci. Tu as un repas ce soir ? 

— Non, c’est calme en ce moment. J’ai eu un rendez-vous pour une place dans un restaurant. Ça rapportera un peu plus d’argent, et de façon régulière. 

— Je pourrais faire du baby-sitting ...

—Tu as quinze ans donc, non. Va te préparer, il est presque sept heures. Et ne te tracasse pas, il y a encore des sous. 

Je ne mens  pas, il reste de l'argent. Sûrement pas pour payer un studio ou un logement étudiant mais nous avons encore du temps devant nous.  Notre appartement est beau mais sa situation en plein centre a un coût. Il est envisageable d’en trouver un autre moins luxueux, ce qui soulagerait le budget. 

Vingt-minute plus tard, nous sommes sur le chemin afin de récupérer Fabien à quelques rues de notre appartement. Violette a repéré le fauteuil roulant avant moi, et s’est installée derrière afin que le jeune handicapé soit plus à l’aise. En souplesse,  je le vois se soulever du fauteuil, se poser sur le siège passager, et plier l’engin que je récupère pour mettre dans le coffre. Lorsque je prends place derrière le volant, le jeune homme me tend une main franche et lance avec un sourire aimable.

— Bonjour. Merci beaucoup, je commençais à me peler sévère. 

— C’est parce que le ciel est dégagé, du coup il fait froid, réplique Violette ce qui me confirme à quel point elle est à l’aise avec lui. 

Je n’ai pas parlé beaucoup sur le chemin, mais eux ne se sont pas gênés  Entendre ma soeur discuter ainsi me fait réellement plaisir. En arrivant devant le lycée, tout souriant Fabien prend le temps de me dire que Ludovic le récupère en fin de journée. Ce n'était pas une surprise, Ludo m’en avait informé mais Violette n’en sait rien, aussi je me contente de les déposer sans commenter.

(Fabien )

Dire que les presque deux heures avec mon oncle ont été géniales serait un mensonge, mais j’y ai découvert un professionnel. Sérieux dans son travail, courtois avec les autres, il semble être apprécié. Nous n’avons pas eu le temps d’entamer une réelle discussion au sujet de Martin mais je suis persuadé que nous le ferons bientôt. Le regard de celui-ci dans la voiture était bienveillant, il faut dire qu’entendre Violette si détendue ne peut que mettre de bonne humeur.

Je n’aime pas mentir, je préfère donc éviter le sujet. Nos cours commencent direct ce matin et se sont enchaînés toute la matinée. Arrivé à midi, je suis heureux de me retrouver dehors. Je m'écarte de Violette pour fumer. Il y a pas mal de monde dans la cour, et je la vois littéralement se recroqueviller dans son coin à l'arrivée d’Antoine. En l’espace de quelques secondes, je quitte mon coin et m’approche d’eux. Antoine la domine d'une bonne tête et sa corpulence semble écraser encore plus Violette. 

— Il se passe quoi, ici ? demandé-je en me forçant un passage avec mon fauteuil. 

— Rien, nous discutons Violette et moi, rétorque Antoine, sûr de lui. J’ai un souci sur le devoir de Mathématiques, et elle m’expliquait. Je vais manger, à plus tard.

Je le regarde traverser la cour et presque simultanément j’entends le soupir de soulagement de Violette.

— Tu m’expliques ? demandé-je.

— Il vient de te le dire, je l'aide, réplique-t-elle, le visage fermé.

Je ne suis pas né de la dernière pluie,  elle esquive purement et simplement mon regard. Et cela confirme ce que je pense.

— Cela dure depuis combien de temps, cette aide ponctuelle et désintéressée ? Avez-vous révisé ensemble au foyer ? Ou il se contente de recopier purement et simplement ce que tu lui donnes ? 

Elle ne répond pas mais je surprends le regard affolé qu’elle jette vers un groupe de lycéens. 

— Nous en parlerons plus tard, au calme, dis-je et pour indiquer que le sujet est clos, je sors le repas préparé par mon oncle. 

Sur le temps du midi, d’autres lycéens défilent auprès d’elle, et je ne dis rien parce que cela ne va pas s'arrêter tant qu’elle ne fait rien pour. L’autre jour, j’ai cru qu'ils la bousculaient, je me suis trompé : ils l’utilisent. Quand l’heure de retourner en classe sonne, elle prend place à côté de mon fauteuil et nous avançons en silence. Que dire ? J’ai compris et elle le sait.

Pendant toute l'heure de Français, elle remplit plusieurs feuilles. Je rage à la voir faire, et je ne résiste pas. Discrètement, je sors mon portable et j'envoie un texto. 

Fabien : Je t'appelle ce soir. Tu m'expliques ou je vais voir le principal. 

Elle regarde son écran mais ne me répond pas. Elle se contente de me fusiller du regard. 

Cinq minutes avant la fin des cours, mon téléphone vibre.

Violette :  S'il-te-plait, ne dis rien à mon frère. 

Des Légumes Dans L'assiette. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant