Chapitre 14.

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( Violette )

Je raccroche, rassurée par la réaction de Fabien. Il sera là demain. Reprocher à Martin ses mensonges est carrément culotté de ma part vu tout ce que je ne lui dis pas. Fabien et son regard acéré voient bien des choses : je vais devoir m'expliquer moi aussi.

Quand Martin me dépose devant le lycée et que j'en sors peu de temps après, je suis mal à l'aise. C'est la première fois que je sèche et j'ai conscience qu'après ses révélations d'hier soir, c'est pas bien malin. Mais j'ai besoin d'expulser tout ce que je ressens et Fabien est la personne idéale pour cela. Je m'enfonce dans la ruelle au moindre bruit, jusqu'à entendre le chuintement des roues sur l'asphalte sale.

- Où te caches-tu, petite souris ? demande Fabien, rigolard.

- Ne te moque pas de moi, tu veux ? râlé-je en me montrant.

- Ça le mérite pourtant. Je t'ai dit dans la rue de l'auto-école pas cachée dans une ruelle crade qui pue la pisse, Violette.

- J'ai vu passer un prof... riposté-je.

- Tu as conscience que Martin va être au courant, hein ? Nos cours commencent dans un quart d'heure, il est encore temps de faire demi-tour.

- Non. Mais de ne pas l'inquiéter inutilement, oui. Je l'appelle, dis-je en sortant mon portable de ma veste.

Je lui laisse un message vocal lui expliquant la situation calmement. Et Fabien fait de même de son côté avec Ludovic.

- Du coup, on peut sortir de cette ruelle, maintenant ? me demande-t-il en se bouchant le nez.

- On va où ?

- Quoi ? Tu n'as rien organisé ? s'offusque -t-il. As-tu de l'argent ? Un point de chute ? Pas la peine de répondre, je crois que je connais la réponse, souffle-t-il le sourire narquois. Tu es une novice. Mon oncle m'a préparé une salade composée, des sandwichs et à boire. Je suppose que ton frère en a fait autant donc la nourriture, c'est validé. Rester toute la journée à traîner dans les rues, cela ne me tente pas. Une idée ?

- Il y a la bibliothèque, où nous pourrons être au chaud mais pour discuter, ce n'est pas le top. J'ai un peu de fric.

- Parfait. Alors commençons par un bistrot. Tu en connais un ?

- Non. Il m'est arrivée d'y aller parfois avec mon frère mais je suis incapable de t'y mener, je ne sais même pas si c'est loin d'ici.

- Désespérante, dit-il en levant les yeux au ciel. Allez, suis moi, j'ai regardé sur Google.

( Martin )

Je ne sais pas si je dois être en colère après elle. Son message est clair : elle a besoin d'assimiler tout un tas de choses et je ne dois pas considérer que le fait de sécher est un rejet de mon homosexualité. Je lui ai juste dit en retour que pour ma part, je la couvrais au niveau du lycée. La savoir avec Fabien me rassure, et celui-ci a aussi eu la même réaction en prévenant Ludovic. C'est d'ailleurs chez lui que je vais. C'était prévu d'une manière ou d'une autre : nos deux fugueurs accentuent juste la nécessité de nous voir pour discuter.

J'ai eu des nouvelles pour le poste de second de cuisine. La place serait disponible dans six mois. C'est bien payé, mais en contrepartie, je serai peu présent à la maison. Le contraire de ce que je voulais.

Je me gare chez Ludovic, j'aime cet endroit, je m'y sens apaisé. J'ai à peine le temps de sortir de la voiture qu'il est déjà à mes côtés : il devait me guetter.

- Et bien, tu étais pressé de me voir ! lui dis-je en rigolant alors qu'il me serre dans ses bras.

- J'ai très peu de contrôle, tu le sais bien. Le proviseur vient de m'appeler pour avoir des explications...

- Tu as su mentir ? Ou tu t'es grillé d'entrée de jeu ?

- Moque-toi, ne te gêne surtout pas, râle-t-il. Tu crois qu'ils avaient préparé la fugue hier soir ?

- Sans aucun doute. Violette était bizarre hier en rentrant du bahut.

- Fabien aussi et n'a rien voulu dire malgré toutes les perches que je lui ai tendues. Comment s'est passé ton rendez-vous ?

- Il crée la place dans six mois. Je dois me décider d'ici un mois.

-Tu n'as pas l'air très heureux de la nouvelle.

- Le boulot me plaît, mais il met en péril tout le reste.

- À ce point ?

- Oui. Les horaires vont être lourds, et le stress aussi. J'ai déjà occupé ce poste mais dans un petit restaurant. Là, c'est tout autre chose. Et je dois réfléchir aux conséquences. Je ne me suis pas battu pour que l'on me confie Violette pour ne pas être dans la possibilité de m'en occuper après.

- Tu as justement du temps pour analyser la situation. Les pour et les contre.

- Il n'y a pas que ma soeur que je devrais sacrifier, dis-je en me serrant contre lui. Même si nos deux fugueurs sont au courant de notre relation, nos moments à deux seront forcément tronqués. Je ne suis pas sûr d'en avoir envie.

- Moi non plus. Mais une chose m'échappe : tu connais ce travail, pourquoi y avoir postulé ?

- Violette a les capacités pour faire des études, je voulais pouvoir assurer financièrement. Ma micro entreprise nous permet de vivre mais c'est trop aléatoire. Je vais déjà partir à la recherche d'un appartement moins coûteux.

- Tu en as discuté avec la principale intéressée ? Elle veut faire de longues études, ou c'est toi qui l'imagines ?

- Elle met toute son énergie pour y arriver. Au niveau du travail scolaire mais aussi sur elle. Sa timidité maladive s'estompe petit à petit, et ton neveu y contribue grandement. Je ne peux pas la lâcher, Ludovic.

- Qui te parle de la lâcher ? Elle est en seconde, cela laisse du temps. La décision de tutelle a lieu quand ?

- Avant la fin de l'année. Je dois chercher un appartement.

- Pourquoi vous ne vivriez pas ici ? Ma maison est grande, nous ferions tous les deux des économies substantielles. L'aile du côté de Fabien nécessiterait quelques travaux, mais Violette y serait à son aise.

Je reste bouche bée devant sa proposition. Est-ce que je veux ? Bien sûr. Je n'ai aucun doute, j'aime Ludovic. Mais est-ce que j'ai le droit d'imposer mon couple à ma soeur ? Je suis troublé et sens le regard de mon amant, mon manque de réaction le met mal à l'aise évidemment. Sans un mot, je me colle à lui.

- Cela ne se voit peut-être pas, mais je suis ému. Je crois qu'il faut en parler à Fabien et Violette, non ? suggéré-je en me lovant contre lui. Tu me fais visiter ?

Des Légumes Dans L'assiette. Où les histoires vivent. Découvrez maintenant