Chapitre 7.

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(Martin)

Dans la salle d’attente depuis une bonne demi-heure, j’ai du mal à contrôler mon stress. Ludovic m’a envoyé un texto pour me souhaiter bonne chance il y a vingt minutes de cela.

La porte s'ouvre et la secrétaire me fait entrer dans le bureau du juge pour enfants. Mes mains sont subitement moites.

— Asseyez-vous, monsieur Duguin.  Comment allez-vous ?

Dois-je lui dire que je suis en totale panique ? Que la nuit dernière a été catastrophique ? Que Violette n’est même pas au courant de ce rendez-vous ? Bref que je ne contrôle rien.

— Ça va, merci, décidé-je de dire, en affichant un faux sourire.  Que se passe-t-il ? 

— Votre père a déposé une demande pour obtenir l’autorisation de voir votre soeur, lâche-t-elle abruptement. 

— Pas question, répliqué-je d'un ton sec et sans équivoque. Violette est très fragile. Elle commence à prendre confiance en elle. La confronter à… ça risque de réduire tous ses efforts à néant. 

— Elle ne serait pas seule bien entendu, m’explique-t-elle. Je ne vois aucune raison légale de lui interdire.

— Aucune raison ? éclaté-je. Vous voulez que je vous en donne, moi, des raisons. Toutes ces années où il était si occupé par ses trafics en tous genre qu'il en oubliait sa présence ? Tout ce qu'il a vendu pour pouvoir rembourser ses dettes laissant ma petite soeur se débrouiller seule. 

— Je connais tout cela, monsieur Duguin. J’ai pris la décision de placer Violette en famille d’accueil dans un premier temps puis chez vous pour la protéger de tout cela. Maître Jauris, l’avocat de votre père pense que celui-ci fait un effort de son côté et voudrait s'excuser auprès de sa fille. 

— Qu’il lui écrive ! m’emballé-je. Violette fait encore des cauchemars, madame la juge. Moins souvent, mais il y en a encore.

— Peut-être serait-il possible de trouver un arrangement ? 

— Non. Pas d'arrangement. Une lettre que je m'engage à ce qu'elle lise. 

Durant de longues minutes, malgré la pression, je n’ai rien lâché. Une rencontre avec mon père mettrait Violette à mal. La juge connaît bien le sujet même si elle n’a jamais entendu ma petite soeur hurler dans son sommeil. J’ai obtenu un semblant d’accord : notre paternel peut écrire à sa fille et je ne doute pas un seul instant qu'il le fera. Je vais devoir en parler avec Violette très vite.

( Ludovic)

Occupé dans les serres, je n’ai pas vu passer l’après-midi. Mes commandes pour demain sont prêtes, j’irai les livrer après avoir déposé Fabien au lycée. Il est presque dix-sept heures lorsque j’entends des bruits de portière, Frédéric vient de ramener l’adolescent. Je me dirige vers la maison, impatient de discuter de sa première journée. Je le trouve devant l’entrée, une clope au bec et il sourit en me voyant arriver.

— Frédéric n'a pas pu rester, il avait un rendez-vous. C’est quelqu'un ce mec, s'esclaffe-t-il. Il débite des calembours à la chaîne tous aussi pourris les uns que les autres mais tu peux pas t’empêcher de rire.

Il a tout à fait raison, Frédéric n’arrête pas. De faire rire les autres, comme s'il meublait sa solitude. Fabien est bavard pour la première fois depuis qu'il est arrivé, j’en profite. Quand il écrase sa cigarette, nous continuons à discuter en entrant dans la maison.

— Je pose mes affaires, et on mange un truc ?  me propose-t-il. J’ai faim. Tu dois retourner aux serres ? 

— Non, j’ai bien avancé. Je n’aurai plus qu'à charger demain matin. Je livrerai après t’avoir déposé. Et toi, cette première journée ?

— Plutôt sympa. Le lycée est vraiment pas mal. Je me demandais... Est-ce que cela serait compliqué que je mange une salade ou un truc du genre le midi ? me demande-t-il après un léger temps de réflexion. 

— On m’avait pourtant vanté  le self, ce n’est pas bon ?

— À vrai dire, j’en sais trop rien, j’ai pris qu'une salade que j’ai partagée. Cela reviendrait moins cher et je peux me le préparer moi-même, si tu veux, négocie-t-il.

Je ne suis pas idiot, le problème n’est pas la qualité des repas, mais le fait de manger à l'intérieur.

— Est-ce que quelqu'un... ? 

— Personne ne m’a emmerdé si c’est cela qui t’inquiète...mais Violette, la jeune fille, tu sais, bafouille-t-il, ne mange pas au self et cela me fait grave suer de la laisser seule.

— Pourquoi ne mange-t-elle pas au self ? 

Fabien me regarde et j’ai l’impression qu'il regrette ses mots. Avant qu'il ne se ferme à nouveau, je reprends la parole.

— Écoute, manger au self ou pas, cela ne me dérange pas plus que cela. J’appellerai pour le signaler à l’intendance. Par contre, pas question que tu avales un sandwich tous les midis.

Il me fixe, presque éberlué par ma réponse. 

— Merci, chuchote-t-il en filant vers sa chambre grâce aux vifs mouvements de poignets pour faire avancer son fauteuil. 

Encore un sujet que je n’ai pas abordé. Je réalise que j’évite volontairement tout ce qui peut bouleverser l’équilibre actuel.Je suis conscient qu'il va falloir discuter de la raison de son accident et de la suite des événements. Gérer quelqu'un d'autre que ma propre personne  est nouveau pour moi. En parler avec Martin serait une bonne option mais pour cela, il me faudrait évoquer le lycée et donc Violette. Et j’ai peur de ce que cela pourrait provoquer…

Cinq minutes à peine après,  Fabien est en train de goûter et le regarder avaler yaourts et tartines de confiture tout en discutant est très agréable.  Pourquoi ma soeur me l’a décrit comme un adolescent invivable à cause de son agressivité : Je n’ai rien vu de la sorte.

( Martin)

J’aurai eu le temps d’aller récupérer ma soeur sans problème, mais je devais réfléchir à la façon de lui annoncer l’arrivée d’une lettre. Ma colère est grande, et j’ai beaucoup de mal à me contrôler au sujet de notre père. Je suis parti de la maison très tôt à cause de cela. Contrairement à  beaucoup de mes amis, j’ai su très vite que j’aimais les hommes, et juste estimé, à tort, qu'il me fallait le préciser à ma famille. Mon paternel n’a pas du tout aimé ma franchise. Presque majeur, il ne s'est pas opposé à mon depart, bien au contraire.  Violette était petite et je l’ai laissée tomber. 

Le bruit de la porte m’ annonçant son arrivée me sort de mes pensées. 

— Tu es déjà rentré ? me demande-t-elle.

— Oui, ça a été plus court que prévu.  Et toi, ta journée?

—  Bien. 

La façon dont elle le dit sans hésitation me surprend. Les journées  de lycée de Violette se passent rarement bien, je le sais. Mais je n’ai pas le temps de m’attarder sur cela.

— J’étais chez la juge, lui avoué-je. Il veut que tu viennes en visite.

— Non. Elle ne peut pas m’y forcer, lâche t-elle d'une voix sourde. Tu lui as dit, hein ?  Que je ne veux pas.

— Bien sûr que je lui ai dit, Violette. Elle a compris, mais j’ai du accepter qu'il t’envoie du courrier.

— Je les lirai pas. bougonne-t-elle. Pourquoi on ne me demande pas mon avis ? Je ne veux pas le voir, ni maintenant ni plus tard. Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu avais rendez-vous ? 

— Je ne voulais ni t’angoisser ni te faire manquer des cours. 

— Tu parles. Le proviseur n’aurait rien dit. Je suis une très bonne élève, il paraît, lâche-t-elle sarcastique.

— C’est la vérité,  ma puce. La prochaine fois, j’exigerai que tu sois présente. 









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