L'une des difficultés majeures, lorsque l'on souhaite tracer un portrait aussi précis et juste que possible sur le Duc de Reichstadt, est de réunir des textes fiables et de savoir lire entre les lignes.
Un grand nombre de documents a été compilé par Jean de Bourgoing, ce qui constitue une source particulièrement riche, mais malheureusement ternie par l'idée que celui-ci se faisait du Duc de Reichstadt, ce qui revient à dire que les sélections qu'il a faites servent plus généralement à souligner son propre point de vue sur la question qu'à présenter le personnage dans un souci purement objectif et historique. De plus, une partie de ces textes n'a pas été traduite, et n'est disponible à l'heure actuelle qu'en langue allemande (d'ailleurs, si quelqu'un a du temps à perdre, j'aurais un ou deux textes à lui confier ^^;). Cependant, il a réuni et fait publier quelques extraits de journal intime et de textes rédigés par le Duc de Reichstadt qui, quoique très peu nombreux, sont une des sources les plus passionnantes sur le sujet, parce que la manière la plus directe de retracer une part de son caractère.
Concernant les dernières semaines de sa vie, autrement dit celles qui peuvent permettre de trancher entre la thèse officielle de la mort par la turberculose ou bien celle par empoisonnement, la source la plus riche reste indéniablement le journal du Baron Jean-Charles de Moll, dans la mesure où l'on garde quelques détails d'importance en tête. Déjà, le texte en lui-même n'existe que dans deux versions : la version allemande originale, ou bien la version traduite en français, qui est déjà une version traduite en italien, c'est-à-dire une version qui a subi une double transformation et qui, par là-même, perd largement de sa précision. Quant à savoir pourquoi personne n'a pris la peine de le traduire directement de l'allemand au français (>_<)
L'autre détail d'importance concernant le journal de Moll est inclu innocemment dans l'introduction que Pietro Pedrotti a rédigée pour la traduction italienne. Déjà, une grande partie de ce journal a disparu : "Durant treize mois, Jean-Charles de Moll a dû faire des annontations quotidiennes ; or il ne nous reste que celles qui furent rédigées au cours des deux derniers mois". Ces deux derniers mois retracent les symptômes présentés par Reichstadt jusqu'à sa mort. Autrement dit, les pages manquantes du journal étaient les plus à même de présenter le duc tel qu'il était dans son quotidien et qui pourrait mettre en valeur la vitesse à laquelle les premiers symptômes se sont déclarés, ou même simplement les qualités de l'homme avant que la mort ne vienne s'abattre sur lui. Mais à ceci s'ajoute un autre détail d'autant plus troublant, et qui vient souligner ce que la disparation des autres pages a de suspect, concernant la description du journal : "quatre-vingt-dix pages environ, recouvertes d'une écriture régulière et bien lisible, sans rature". Or, il s'agit là d'un journal intime, rédigé par un homme d'armée. Qu'il parle essentiellement du duc, et très peu de lui-même ou de ses proches pourrait à la limite être vraisemblable dans la mesure où il a passé plusieurs semaines au chevet d'un mourrant. Mais qu'il ait rédigé chaque jour son journal sans même rayer un mot ou présenter des écarts d'écriture tels que l'on en voit naturellement semble plutôt montrer que le journal en question a été recopié, donc réécrit. Ce qui revient à dire que ce texte est intéressant, mais n'est pas entièrement fiable.
Ensuite, et pour ne pas oublier l'un des textes les plus connus qui ait été rédigé sur Napoléon II, je me dois de faire au moins allusion à Montbel. Seulement, même ses contemporains mettaient ses paroles en doute. Je me contenterai donc d'éclaircir un peu cette citation de Dumas : "Il est vrai que, lorsque nous empruntons du Reichstadt à M. de Montbel, c'est traduit du carlisme, et que, quand nous en empruntons à M. de Prokesch, c'est traduit de l'autrichien." Autrement dit, Montbel, en bon oppportuniste, n'a rédigé son texte que pour servir son ambition personnelle, et n'a eu aucun scrupule à modifier la réalité. D'autant plus que l'Autriche lui a procuré un asile, et que son livre était une bonne manière également de leur payer sa dette.
Quant au Chevalier de Prokesch-Osten, si Dumas dit de lui que c'est du Reichstadt "traduit de l'autrichien", je pense qu'il est exactement à l'opposé de Moll. Il est généralement admis qu'il a été le seul ami fiable et sincère du duc de Reichstadt, et il a rédigé trois textes, suite à sa mort, pour rétablir un portrait plus flatteur que ceux qui circulaient de rumeurs en ambitions. Je reviendrai plus longuement sur le personnage par la suite. Je tiens juste à souligner les quelques détails qui permettent de lire plus clairement entre ses lignes et mieux comprendre ce qu'il n'a pas pu dire ouvertement. Prokesch était autrichien, non pas noble mais bourgeois, c'est-à-dire qu'il a fait sa carrière de lui-même. Ses textes étaient soumis à la censure du gouvernement autrichien, ce qui revient à dire qu'il a dû peser chacun de ses mots avant de pouvoir les présenter à la publication. C'est en gardant cette idée à l'esprit en lisant ses textes que l'on peut discerner les indices qu'il a égrainé tout du long. Et c'est sans doute en cela que je considère que ses textes sont les plus fiables qui existent sur le duc de Reichstadt.
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Essai sur la vie et la mort du Roi de Rome
Kurgu OlmayanNapoléon II, Roi de Rome, Prince de Parme, puis Duc de Reichstadt. Si les noms se sont succédés, sa vie n'en est pas moins dramatiquement courte. Quelques réflexions, pensées et envolées lyriques...