Chapitre 4 : New York, New York

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God bless 'Murica

Il n’y avait pas de bateaux directs pour les États-Unis depuis Londres. Il fallait rejoindre la côte est de l’Angleterre pour ça, puis attendre. Aussi, le détective et son médecin mirent plus d’une semaine à atteindre le Nouveau Continent. La traversée fut houleuse avec les deux tempêtes qui frappèrent le bateau mais il tint bon.
New York se présenta sous une pluie diluvienne glacée qui réveilla la douleur dans la jambe du docteur, ce qui força Sherlock Holmes à trouver une chambre d’hôtel et se reposer avant de continuer son enquête. Il fut mécontent au début, mais accepta en voyant la grimace sur le visage de son ami. Ils optèrent pour un petit hôtel dans Brooklyn qui leur offrit une chambre pour deux pour une poignée de dollars.
La chambre était, pour son prix, tout à fait respectable. Une fenêtre donnait sur la rue bruyante et sale. Il y avait deux lits, un canapé, un bureau avec une chaise et une armoire dans l’entrée. Une petite salle de bain adjacente présentait une baignoire dont les pieds étaient cassés, des toilettes et un lavabo surmonté d’un miroir.
Holmes fit asseoir Watson dans le canapé et ouvrit le sac du docteur à la recherche d’antidouleurs. Il les trouva soigneusement rangés dans une trousse au fond. Il disparut dans la salle de bain et revint avec un verre d’eau, tendant la pilule au pauvre homme qui massait douloureusement sa jambe.
« Merci Holmes, le remercia-t-il. »
Il avala le médicament du premier coup.
« Désolé pour… s’excusa-t-il sans finir, faisait plutôt un geste vers son membre blessé. »
Le détective s’assit à côté de lui.
« Ne vous excusez pas pour quelque chose que vous ne contrôlez pas mon cher Watson… Votre jambe est si mal en point ? »
Le susnommé le regarda un instant, un peu stupéfait que Holmes s’enquisse de son état.
« Eh bien, elle n’est pas plus douloureuse que lors des jours de pluie à Londres, mais je crains ne pas pouvoir courir, répliqua-t-il en baissant les yeux vers cette satanée jambe.
-Je doute qu’on ait besoin de courir de toute manière, lança le criminologue. Repose-vous Watson, nous ne sortons pas avant demain, huit heures.
-Et où allons-nous ? s’enquit ledit Watson.
-J’ai contacté quelques personnes pour filler la trace de notre homme avant de partir. Nous avons rendez-vous avec eux. »
Le docteur acquiesça, acceptant que Holmes soit mystérieux, comme toujours.

À huit heures le lendemain, Watson avait fait sa toilette, s’était habillé et avait pris son petit déjeuner alors que Holmes, s’habituant mal au changement d’heure, traînait. En réalité, son ami se doutait bien que ce n’était pas le changement d’heure le problème – ce n’était qu’un prétexte – mais l’endroit où ils se rendaient. Il comprit bien mieux pourquoi en arrivant.
C’était un bâtiment au cœur de Manhattan, haut, dont la plupart des étages semblaient n’être que des bureaux, mais il y avait peu d’indice sur leur utilité. Un drapeau américain flottait au dessus de la fenêtre du troisième étage au centre, large, impressionnant vu d’en bas. La façade était récente, elle venait d’être refaite car les bords des fenêtres et de la porte d’entrée laissait apercevoir de vieilles briques sous le plâtre qui les recouvrait. Sur la porte, quelques mots indiquaient à quoi servait le bâtiment : Pinkerton National Detective Agency.
« Vous avez engagé des détectives Holmes ? demanda l’ancien militaire, surpris. »
L’autre se contenta de grommeler et entra d’autorité.
Les couloirs et les escaliers s’enchaînaient, lentement car le blessé ne pouvait se dépêcher en de telles circonstances. Et puis, il fallait le dire, le détective consultant n’avait vraiment pas hâte de rencontrer les détectives de l’agence Pinkerton. Particulièrement un certain Allan…
Les deux hommes se retrouvèrent finalement à attendre devant le bureau du patron. Holmes trépignait, incapable de se tenir. Si son ami ne le connaissait pas, il aurait cru à de l’excitation, mais il savait reconnaître l’agacement chez son ami maintenant.
« Je n’y crois pas ! Ces imbéciles me font attendre, moi, le seul détective consultant au monde ! s’exclama-t-il au bout d’une heure, faisant lever les yeux au ciel à son cher Watson face à tant d’égocentrisme et si peu de modestie. Une chance que je me retienne d’enfoncer cette porte !
-Vous n’aurez pas à le faire, monsieur Holmes, répliqua un homme barbu dans l’encadrement de la porte du bureau. »
Il était fort barbu, brun, avec deux yeux acérés qui scrutaient tout. Il avait un visage résolu en toute circonstance. Un début de calvitie pointait sur son front – que seul Holmes remarqua. D’ailleurs, ce dernier s’était reconstitué un masque impassible et soutenait le regard de l’autre homme en silence. Le combat silencieux qui se menait là fut interrompu par la toux gênée du docteur. Le patron afficha un sourire de convenance et fit un pas en avant.
« Bonjour messieurs, je suis Allan Pinkerton, le fondateur de l’agence Pinkerton.
-Ce n’est pas difficile à deviner, railla sèchement Holmes. »
Pinkerton lança un regard glacial au détective consultant.
« Vous êtes celui qui nous a demandé de l’aide Monsieur Holmes, le rappela-t-il à l’ordre. Faites preuve de politesse si vous voulez que cet accord soit honoré. »
Holmes marmonna quelques mots étouffés et l’autre comprit que c’était sa reddition. Un sourire à effrayer la plus grande des brutes se dessina sur ses lèvres.
« Bien, allons dans mon bureau, nous ne nous ferons pas déranger ainsi. »
L’homme entra dans la pièce et laissa le criminologue et son collègue s’installer dans les fauteuils face au bureau. Ils étaient en velours, rouges et finement ornés de boiserie en pin. Le bureau était massif et prenait presque toute la place libre, le tapis persan cachait un plancher abîmé et une seule fenêtre, derrière Allan Pinkerton, donnait sur l’extérieur. Il y en avait deux autres à l’opposé qui, derrière d’épais rideaux noirs, laissaient voir  le couloir. Le détective était assis dans un grand siège noir, faisant face à Holmes et Watson avec une certaine supériorité.
« Peuh ! Autant d’artifices pour si peu ! se moqua Sherlock Holmes.
-Nous soignons nos locaux Monsieur Holmes, répliqua froidement l’américain*.
-Hum, il me semble que nous sommes venu ici pour affaire ? intervint Watson, s’attirant la foudre des regards de Holmes comme Pinkerton. »
Ce dernier toussa pour reprendre contenance.
« Tout à fait. Nous savons que votre cher inspecteur a fréquenté un hôtel près de Times Square pour toute la durée de son séjour, qui en a duré quatre. On ne peut cependant pas savoir ce qu’il faisait de ses journées. Il avait pris un billet pour un train vers San Francisco et on a toute idée de croire qu’il s’y trouve actuellement. »
Holmes hocha la tête. Il fouilla dans sa poche et sortit cent vingt dollars qu’il posa sur le bureau. Pinkerton les fixa avec intensité.
« Il se pourrait, reprit-il, qu’on sache qu’il aie pu correspondre avec un homme à Londres, un certain Terrence Robert. »
Watson retint une exclamation.
« Il lui a envoyé deux lettres mais nous ne connaissons pas le contenu. »
Holmes parut satisfait. Il se leva et lança un regard froid à l’autre détective.
« Prenez l’argent. Merci pour votre coopération, lança-t-il. »
Il tendit la main vers Pinkerton qui la prit et la serra avec toute la force qu’il possédait. Watson leva les yeux au ciel.
« Au revoir monsieur Pinkerton, soupira-t-il bruyamment en sortant du bureau le premier. »
Et bien sûr, Holmes était sur ses talons.
« Que faisons-nous, Holmes ? demanda le docteur une fois dans la rue. »
Le susnommé regarda sa montre.
« Eh bien, je crois qu’il devrait y avoir un train pour San Francisco dans peu de temps, répliqua-t-il tranquillement. Nous ferions mieux d’aller chercher nos bagages et de nous rendre à la gare. »
Watson acquiesça et suivit son ami, comme à son habitude.

« C’est scandaleux ! ragea Holmes, irrité d’être regardé dans son affaire. Devoir rester trois jours de plus à New York pace que de simples voleurs à la sauvette ont voulu se faire bandit de grand chemin ! »
Un télégramme était parvenu à la gare indiquant que l’express qui desservait New York et San Francisco avait explosé suite à un attentat entre les gares de Bellefonte et Milton, à une heure d’arriver à son terminus. La traversée prenait déjà plus de trois jours, alors si en plus ils devaient en attendre trois autres pour aller à San Francisco, Holmes exploserait. Il était déjà en train de s’énerver contre le pauvre contrôleur venu annoncer la nouvelle et Watson dût user de beaucoup de réflexion et d’audace pour le faire taire. Audace impliquant son coude dans les côtes de son homologues qui, trop choqué par le geste, n’eut même pas l’idée de le disputer. Watson eut un sourire satisfait alors, ce qui calma l’assistance effrayée par la colère – qui, disons-le, tournait au désespoir – du criminologue frustré par ce problème.
Heureusement, la compagnie ferroviaire leur proposa une alternative qui prenait cinq jours avec plusieurs correspondances à Cleveland, Galesburg, Colorado Springs, Saint Georges et Bakersfield. Alors Holmes accepta, car il n’avait pas mieux. Le prochain train pour Cleveland partait dans vingt minutes, juste le temps d’échanger les billets et de s’installer.
Alors que le train démarrait, un sourire indéchiffrable étira les lèvres du détective que seul son ami intime comprit : il aimait les chasses à l’homme, et Lestrade lui donnait du fil à retordre. C’était son terrain de chasse, et Holmes en remercierait presque Gregson pour cette affaire. D’ailleurs, il avait fini par l’oublier celui-là, il devait être en train de mobiliser toutes ses troupes pour fouiller jusque les égouts de Londres – ce qui, il l’admettait, n’était pas une mauvaise idée, surtout de la part de l’inspecteur qui manquait cruellement d’imagination. Cette image mentale le fit rire sous cape et il se dit que l’homme pourrait bien attendre, il lui enverrait un télégramme plus tard. Là, l’heure était au train filant vers Cleveland car enfin ils allaient pouvoir s’approcher de leur but.

*Allan Pinkerton vient d'Angleterre, il n'est donc pas techniquement américain mais anglais, je l'appelle comme ça parce qu'en tant qu'immigré, il est devenu américain, mais aussi pour le mettre en opposition à Holmes.

Holmes nrv et Watson qui en profite pour s'amuser un peu is my sexuality.
Arriveront-ils à San Francisco ? La réponse, peut être au prochain chapitre !

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