Chapitre 9 : Les roses sont rouges

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Les violettes sont bleues, Holmes aime Watson, et surtout sa que-

Les quatre hommes étaient face à face, se regardant silencieusement, sans bouger, muets d’une consternation, frappés de stupeur comme s’ils avaient vu quatre fantômes. Et voilà, quatre esprits se regardaient sans oser faire le premier pas, attendant que l’autre le fasse. C’était un ballet invisible qui se jouait. Quand l’un avançait, l’autre reculait et ils s’évitaient, ils évitaient le moment fatidique où les mots interviendraient, où il faudrait briser ce moment de flottement, de joie de revoir l’être aimé. Peut-être, si on bougeait, les fantômes s’évaporeraient-ils, peut-être fuiraient-ils encore, qui pouvait le savoir ? Les autres personnes de la pièce regardaient cet étrange quatuor, déstabilisées.
Quelqu’un toussa, et la tension fut rompue. Ce fut Holmes qui esquissa le premier geste, s’approcha doucement de son Watson, comme s’il ne voulait pas l’effrayer. Et comme il ne bougeait pas, il continua son avancée jusqu’à se retrouver le torse contre le sien. Ils se regardaient dans les yeux avec une question muette, et pour y répondre, le détective pencha son visage et scella ses lèvres avec celles de son cher ami. Le baiser était chaste au début, timide de la part de Holmes qui avait déjà assez osé et se trouvait bien loin de sa zone de confort. Aux antipodes, même. Alors, ce fut Watson qui l’approfondit, glissant sa main dans les cheveux ébènes qui n’étaient pas gominés comme d’habitude. Il mut ses lèvres, légèrement d’abord, puis, ouvrant la bouche, invita son compagnon à y entrer. Et celui-ci comprit, grand esprit déducteur qu’il était, risquant sa langue dans la bouche de son homologue. En sentant celle de Watson, il la retira avec pudeur, mais le médecin ne l’entendait pas de cette oreille et décida de lui mordre la lèvre inférieure, le faisait gémir délicieusement, impudique, obscène, et certains détournèrent le regard face à ce spectacle de sensualité.
À côté, ce n’était pas les mêmes retrouvailles. Gregson et Lestrade se défiaient du regard, jaugeant la réaction de l’autre, attendant celui qui exploserait en premier. Ce fut Gregson qui, rongé par son inquiétude, s’approcha d’un large pas et lança :
« Qu’est-il donc passé par la tête, Lestrade ?
-Je ne sais pas, murmura le susnommé avec une voix enrouée. »
Le regard dur de son interlocuteur le rendait mal à l’aise, il se sentait comme un enfant pris en faute.
« Je ne sais pas, répéta-t-il alors que Gregson ne répondait pas.
-Sais-tu au moins combien je- nous nous sommes inquiété ? répliqua-t-il enfin.
-Non, affirma Lestrade. Non mais…
-Tais-toi, le coupa son collègue. Tu as assez parlé dans ta lettre, maintenant, c’est à moi de parler. Tu pensais que je ne te chercherai pas, hein ? Ça me déçoit. Ça me déçoit parce que tu es mon meilleur ami, et je pensais que tu m’estimais aussi. J’ai faux, je l’admets.
-Non- tenta l’autre. »
Mais Gregson ne l’écouta pas et continua son babillage, s’énervant, répétant combien il était inquiet, puis il se tut face au mutisme inhabituel de son ami, qui ne se laissait pourtant jamais faire quand on lui disait de se taire. Il inspira, s’avança encore, expira longuement comme un soupir... et prit Lestrade dans ses bras. Le pauvre inspecteur, serré ainsi, ne pouvait pas bouger et était de toute façon trop stupéfait.
« T-Tobias ? balbutia-t-il.
-Je suis un inverti, expliqua Gregson. »
Un rire secoua son collègue.
« Je m’en doute maintenant, répliqua-t-il. Moi aussi. »
Ces simples mots firent l’effet d’une déclaration auprès de Tobias, et alors ils n’avaient besoin de dire rien d’autre : ils s’étaient compris.
Holmes et Watson se séparèrent finalement, le premier tenant les mains du second, baissant la tête comme honteux de lui-même. Et puis une larme roula sur sa joue. Le docteur, la voyant, fut frappé de stupeur : il n’avait jamais vu son ami pleurer. Il essuya la larme, qui réapparut, et releva alors la tête penchée vers le bas. Le regard du criminologue était larmoyant mais surtout empli d’une joie et d’une douceur infinie. Ses masques s’étaient brisés sur cette simple apparition, ce simple baiser, et il pleurait maintenant devant une assemblée muette.
« Holmes… murmura son compagnon, la voix peinée.
-Je me suis tellement inquiété… répliqua le susnommé sur le même ton. »
Watson sourit doucement, avec toute la chaleur que son expression pouvait communiquer.
« Moi aussi Holmes, je vous ai cru mort… avoua-t-il. »
Le détective l’embrassa encore pour lui montrer qu’il était bien là, en vie, et surtout qu’il l’aimait.
Ce fut cet instant que Cecile choisit pour intervenir.
« Allons jeunes gens, ce n’est pas une garçonnière ici ! Ah, la fougue de la jeunesse, sûr que Mathilde serait attendrie de voir ça. »
Et comme le nom invoqua à ses mémoires des souvenirs lointains, elle poursuivit :
« Ah, Mathilde, ma petite Mathilde. Elle n’avait pas vingt ans et était déjà toute excitée, toute joyeuse de vivre. Pour sûr qu’elle m’a baladée partout. »
Et sur ces mots, le souvenir se tut puisqu’elle se tut aussi et disparut dans la cuisine. Les deux couples se regardèrent, et deux des hommes rirent alors que leurs compagnons ne comprenaient pas.
La vieille dame revint avec un plateau de thé et invita les deux nouveaux venus à le partager avec ses autres pensionnaires.
« Non, nous n’allons pas vous déranger plus longtemps madame, refusa poliment Holmes. »
Lestrade se mordit la lèvre alors que Cecile se tournait vers l’importun.
« Me déranger ! s’exclama-t-elle. Me déranger ! Ah, vraiment, vous ne manquez pas d’humour ! Si vous voulez partir, asseyez vous et partagez le thé avec nous avant. »
Gregson voulut intervenir, souhaitant repartir en Angleterre le plus tôt possible, mais son amant l’arrêta et le fit s’asseoir. Holmes s’exécuta, lui, à la demande murmurée dans son oreille de Watson. Cecile servit le thé à tout le monde puis s’assit sur son fauteuil, juste en face du détective. Elle but sa tasse par petites gorgées, sa main fripée tremblotant. Holmes, lui, prenait de longues gorgées, le geste précis, le dos droit. Il buvait toujours son thé ainsi, le docteur le remarqua. Il se redressait, faisait attention à ce que la tasse ne déborde pas, enroulait ses longs doigts fins sur la porcelaine comme s’il ne sentait pas la chaleur… Autant de détails que Watson avait déjà gravé en sa mémoire. Il sourit en y pensant, laissant ses yeux courir sur son amant retrouvé sans pudeur. Lestrade, qui les observait, toussa légèrement, ramenant le médecin à eux. Il continua de boire sa tasse en rougissant alors.
Lorsque toutes les tasses furent finies, Lestrade s’approcha des deux compagnons et demanda :
« Quand rentrerons-nous ?
-Il faudra envoyer un télégramme à Hopkins, répliqua tranquillement Holmes. Il serait trop dangereux de revenir alors que Forbes nous a toujours dans le colimateur. »
Gregson acquiesça, l’air absent. Watson se leva.
« Peut être devrions-nous y aller, lança-t-il. »
Il envoya un regard circulaire à la salle, puis s’avança pour serrer ou baiser les mains des personnes présentes, et Lestrade fit de même. Il s’entretint avec l’homme à côté duquel il se trouvait quand Watson l’a trouvé, laissant un inspecteur jaloux et mal à l’aise. On alla quérir Anna qui serra longuement le docteur, auquel elle s’était attachée, et même Holmes qu’elle avait appris à aimer à travers les récits de son ami. Pendant qu’il était serré par la jeune femme, il lui murmura pour que seule elle l’entende :
« Merci d’avoir pris soin de John. »
Elle sourit et se désengagea.
« De rien, je peux comprendre pourquoi vous êtes autant attaché. »
Il s’écartèrent et se saluèrent de loin, car le détective était toujours gêné par les démonstrations d’affection. Enfin, elle demanda :
« Vous nous écrirez ?
-Nous ne partons pas tout de suite, la rassura Watson. Mais oui, nous vous écrirons. »
Elle acquiesça puis, avec un signe de la main :
« Allez-y, vous avez une ville à visiter il me semble. »
Le couple rit sans que les inspecteurs ne comprennent.
La rue était plus remplie que plus tôt. Il faisait nuit et la pluie battait toujours les pavés. Watson grimaça, lui qui avait laissé sa canne au club lors de la descente. Alors, galamment, le détective lui offrit son bras. Les quatre hommes commencèrent donc à marcher vers la rue principale pour rejoindre l’hôtel car il s’était passé beaucoup de chose et ils souhaitaient se reposer.
Quatre jours plus tard, le médecin, le détective et les deux inspecteurs se trouvaient sur le ferry du retour. La mer était calme. Holmes se trouvait sur le pont, seul. Les éclats de lune se reflétaient sur l’eau qui ondulait sagement. Il regardait la mer au loin. Il n’avait pas l’âme mélancolique ni le mal du pays, mais il lui tardait de retrouver l’intimité du 221B, Baker Street. Oh oui, là-bas, il pourrait s’autoriser à être faible, plus qu’à la maison de Cécile, plus que n’importe ailleurs. Il pourrait s’autoriser à être un débutant, à apprendre. Il avait tellement à apprendre encore… Il était excité à l’idée de pouvoir explorer ce qu’il n’avait jamais ne serait-ce qu’effleuré par manque d’intérêt. Il avait su tôt qu’il était gay, mais il avait tant cloisonné son cœur qu’il n’avait rien pu connaître de ce genre de chose.
Watson le regardait depuis plusieurs minutes depuis l’autre bout du pont, appuyé contre le mur, les bras croisés. Après un certain temps, il se rapprocha, faisant se retourner son amant. Il avait voulu être discret mais il n’avait pu empêcher ses semelles de claquer contre le bois. Il offrit un sourire désolé et détailla la silhouette obscure. Il avait son complet gris, celui qu’il portait depuis qu’ils avaient quitté San Francisco. L’ancien puait la fumée de pipe et était sale et mal en point. En détaillant ce corps déjà si connu, il remarqua qu’une main lui était cachée, et consciemment. Il fit un pas, Holmes se tourna, un autre pas, et de nouveau, on lui cacha la vue de cette main mystérieuse.
« Que diable cachez-vous Holmes ? demanda le docteur avec frustration. »
Son ami sourit et fit un pas en avant sans découvrir son secret.
« Allez-vous me répondre ? s’impatienta l’autre.
-John. »
Ce simple prénom prononcé par le détective fit taire son interlocuteur immédiatement, qui ouvrit la bouche pour répliquer sans qu’aucun son ne sorte.
« John, mon John… Je… je n’ai pas eu l’occasion de vous l’offrir encore, avec ces imbéciles d’inspecteurs qui ne nous laissaient aucun répit…
-Sherlock, intervint ledit John.
-Non, laissez moi parler, reprit le susnommé. J’aurais pu vous la donner quand nous étions seul dans notre cabine, et ce plusieurs fois, mais je n’en ai pas eu le courage. Je… Je n’ai jamais exprimé une telle chose. C’est pourquoi j’ai amené un présent. »
Watson avait les yeux brillants, la voix muette par l’émotion. La main du criminologue se leva lentement, découvrant une rose séchée. Ses pétales rouges restaient néanmoins très vifs au clair de lune et la fleur avait gardé sa forme. Elle était magnifique, plus encore entre les doigts longs et fins de musiciens et d’homme de science qui la tenaient. Elle fut pressé contre son cœur, mais il ne s’en saisit pas tout de suite, contemplant l’objet, le donneur et, plus largement, le geste.
Holmes était froid, avec un esprit analytique et fermé aux élans du cœur. Il avait en horreur les sentiments et le romantisme de l’âme, il exécrait la faiblesse face à son propre soi. Et maintenant, il lui offrait une rose, pour lui prouver son amour, et en croisant son regard, le médecin remarqua qu’il était inquiet. Sa main se posa alors que la sienne, sans qu’aucun ne fasse plus aucun geste après.
« Je vous aime, murmura Holmes, comme désespéré. Je vous aime tellement, ne disparaissez plus jamais…
-Je vous aime aussi Sherlock, rétorqua son compagnon, trop bouleversé pour dire autre chose. »
Ils s’embrassèrent amoureusement pendant plusieurs secondes, la rose entre eux. Quand ils se séparèrent, la main du détective glissa hors de celle de Watson. Ce dernier serra plus fort la rose contre sa poitrine, tout près de son organe. Elle formait un cœur rouge sur son pardessus, et le sang qui coula de ses doigts sur les épines se mélangea à celui de Holmes qui l’avait serré plus tôt bien qu’il n’avait pas remarqué le liquide.
« Retournons à notre cabine, souffla Holmes à l’oreille de son amant. »
Celui-ci ne put que se laisser entraîner, plus ému et heureux que jamais.

... L'amouuur briiiille souus les étoiiiiiles ! Hem, profitons en, parce qu'il reste quatre chapitres...

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