Chapitre 12 : Pour l'Angleterre

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J'aurai pu mettre l'hymne anglais pour l'ironie mais... flemme. TW agression sexuelle et mention de viol

Le couloir était empli d’une odeur de mort. Le sang de Lestrade imbibait toujours le parquet et Watson regardait de temps en temps la tâche avec horreur. Déjà deux jours que les cadavres avaient été emmenés. Un garde était toujours posté là maintenant, et Forbes passait régulièrement voir ses prisonniers. Le vieux voleur toussait de plus en plus, réveillant parfois les deux gentlemen la nuit. Le docteur ne lui donnait plus que quelques jours, à lui aussi.
Le matin du troisième jour, Forbes vint les sortir de leurs cellules. Hopkins était avec lui, tout agité et blême. Deux gros cercles violets se trouvaient sous ses yeux exorbités et rouges. Le détective en déduisit qu’il n’avait presque pas dormi depuis l’arrestation et avait même beaucoup pleuré. En passant devant lui, il posa une main sur son épaule et lui dit à voix basse :
« Ce n’est pas votre faute.
-Je ne vous crois pas, monsieur Holmes, répliqua le jeune inspecteur, mais merci. »
Et il fit avancer les deux prisonniers devant lui pour qu’ils suivent Forbes.

« Il y a, en France, commença l’inspecteur comme s’il racontait une histoire, une nouvelle technique pour s’assurer de la sodomie. Elle ressemble un peu à l’ancienne, mais elle permet d’en trouver les traces plusieurs jours après. Vous connaissez bien la France, si je ne m’abuse, monsieur Holmes ? »
Ils étaient descendus dans une salle annexe à la morgue. Forbes se trouvait au centre, avec une table, et en face de lui se trouvait le criminologue et son partenaire de crime. Dans le coin, Hopkins se faisait tout petit. Il redoutait ce qui allait arriver. Il savait mais ne voulait pas voir et encore moins participer.
« Certes, admit Holmes, mais sur ce sujet ils ont toujours été extrêmement mauvais, comme l’Angleterre. Voilà une chose pour laquelle il se retrouvait au même niveau.
-Je pense plutôt qu’ils sont remarquablement bons, nia Forbes. Ils ont compris avant nous que les brûler prends moins de place dans nos cimetières à côté de nos morts respectables.
-Comme si nous ne finirions pas dans la fosse commune, commenta le détective. »
Cette phrase invoqua à l’esprit de son ami des images morbides qui lui donnaient envie de pleurer.
« Je crains, malheureusement, que votre si cher frère y soit opposé, répliqua le bourreau. Mais passons aux choses sérieuses… »
Il fit un geste vers la table sur laquelle trônait quelques objets, pour certains contondants, pour lesquels Holmes devinait aisément l’utilité sans que son amant ne se doute de ce qui allait arriver. Il aurait aimé que le si bon médecin qui l’avait soigné n’ait jamais à subir ce genre d’examen médical, mais il n’était plus maître de rien.
« Déshabillez-vous, ordonna l’inspecteur. »
Aucun des deux hommes ne réagirent sur le coup, alors il sortit sa matraque et le redemanda. Seul Watson s’exécuta. Holmes restait planté là, regardant l’autre dans les yeux, le défiant. Forbes le frappa au visage en criant :
« Tu vas obéir oui ?! »
Mais le détective ne réagit toujours pas, alors il le releva et pointa son pistolet vers ses parties.
« T’as intérêt à obéir si tu veux pas que je t’émascule. »
Watson eut peur, alors il essaya de les séparer, déjà à moitié nu.
« Il le fera, assura-t-il jusqu’à ce que le policier le lâche. »
D’un regard dur, le médecin força son ami à se déshabiller.
Dès que les deux hommes furent entièrement nus, l’un toujours insolent, se tenant droit et regardant l’inspecteur de haut, l’autre essayant de se cacher par pudeur en rougissant, Hopkins s’approcha et plaça doucement le médecin face au mur. Holmes fut placé, lui, par Forbes qui l’y plaqua presque et le frappa dans le bas du dos. Watson sursauta, prêt à le frapper, mais se retint de justesse. Le jeune inspecteur chuchota dans son oreille.
« Si vous essayez de vous enfuir maintenant, je vous aiderai. »
Watson lui lança un sourire contrit et secoua négativement la tête. Forbes les rappela à l’ordre et commença son examen. Hopkins détourna le regard pour échapper à la vue de cette torture et pleurer. Il ferma même les yeux, et se boucha les oreilles, bien qu’il n’y eut aucun cri. Watson aussi pleurait. Il se mordait la lèvre pour éviter de vomir et la sensation dérangeante et horrible de souillure. Il essaya de penser à autre chose, à Holmes et aux enquêtes, mais rien n’y faisait, il sentait toujours une espèce de tube – car il ne pouvait pas le voir – aller et venir douloureusement. S’il avait déjà senti des choses à cet endroit-là, il n’avait jamais senti être déchiré de cette façon. Et quand il sentit un liquide chaud couler entre ses jambes, il comprit que ce n’était pas qu’une sensation mais qu’il saignait vraiment. Il se mordit la lèvre jusqu’au sang pour ne pas crier de douleur, juste le temps que ça passe, mais même quand l’instrument fut retiré le sentiment d’être pénétré resta. Il tremblait et finit par tomber à genoux en entendant la protestation de son amant quand ce fut son tour. Il ne retint plus ses larmes quand, en tournant la tête, il vit Holmes, le grand et merveilleux détective, ainsi rabaissé, violé même par ceux qui quelques jours plus tôt rampaient pour recevoir son aide. Ou plutôt celui.
Les pensées du médecin s’emmêlèrent tant, et il s’évanouit peut être aussi, si bien qu’il ne sut pas comment il se retrouva dans sa cellule, à peine habillé. Le sang avait imbibé ses sous-vêtements et son pantalon. On ne lui avait pas laissé sa chemise, cependant. Comme Holmes de l’autre côté du mur. Il était resté silencieux depuis la problème avec Forbes et leur ‘’visite médicale’’, dans un état végétatif. On l’appela, il ne répondit pas. Watson réessaya encore pendant presque une heure, mais le détective était trop loin, il n’était déjà plus de ce monde, déjà parti dans sa tête, déjà mort. Blessé par ce silence, Watson se tut et essaya de s’asseoir mais finit par abandonner : c’était trop douloureux.
Holmes étendit ses jambes, ramena ses dix doigts sous son menton et ferma les yeux en même temps qu’il s’enferma dans son palais mental. Il se plongea alors dans des souvenirs heureux avec John ou Mycroft à la place des scènes de crimes et de vols. Il se rendit compte en rouvrant les yeux qu’il pleurait. Il était en train de tout perdre, et personne n’y pouvait rien puisque l’Angleterre l’avait décidé. Son frère avait beau être le gouvernement, il y avait des choses qu’il n’avait pas le pouvoir d’effacer.
On frappa à la porte des cellules, puis les ouvrit.
« Allez, lança un inspecteur qu’aucun des deux prisonniers n’avaient jamais vu, le juge va vous recevoir. »
Ils ont bien vite remplacé Lestrade et Gregson, pensa tristement le médecin en sortant de la pièce exiguë en boitant. Holmes rejoignit bien vite son amant pour marcher à côté, car il avait le sentiment que ce serait la dernière fois qu’il pouvait l’accompagner dignement.
En passant devant la cellule de Gregson, Watson pâlit mortellement. La chemise n’avait pas été décrochée du plafond et pendait toujours de manière glauque. Il baissa les yeux : il y avait le sang de Lestrade. À sa droite, il sentait le bras de Holmes. Holmes avec qui il mourra, qu’il verra pendu à côté de lui, au bout de la même corde, celle de la Justice divine de l’Angleterre. S’il avait tenu jusqu’ici, il ne se résolvait pas à entendre la sentence prononcé contre lui et contre le détective. Quand il releva les yeux, se furent ceux de quelqu’un qui avait pris sa décision. Il tourna la tête vers Holmes. Qu’il aurait aimé l’embrasser une dernière fois ! Mais les policiers autour l’en empêchaient. Le criminologue le regarda aussi, et son regard se teinta de tristesse. Évidemment, il lisait toujours dans son ami intime comme dans un livre ouvert, il savait toujours reconstituer le fil de ses pensées et connaissait les recoins de son âme, même les plus sombres, ceux qui avaient pris le contrôle depuis plusieurs jours maintenant. Il leva la main pour caresser la joue de son amant, mais celui-ci se dégagea et se tourna vers l’inspecteur. Hopkins arriva, la mort dans l’âme, et resta pétrifié devant l’étrange tableau qu’il connaissait pourtant, seulement les personnages n’allaient pas, ils avaient quelque chose qui les rendait étranger, ils n’allaient pas dans cette situation-là. Quand Watson le regarda, il recula d’un pas, mais le médecin avança. Il s’approcha tant qu’il put attraper le pistolet à la taille de l’inspecteur. Holmes ne fit rien pour l’en empêcher, ses muscles atrophiés ne bougèrent pas, il n’essaya pas de crier, et pourtant il savait ce qui allait arriver. Son cœur en était déjà déchiré. Il voyait la scène au ralenti : Watson leva son bras, porta le canon à sa tempe, bloqua son regard dans celui de l’homme qu’il aimait et qui l’aimait, sourit, murmura quelques mots et tira. Le sang jaillit de la même manière que pour la mort de Lestrade, à ceci près qu’il n’allait pas dans la même direction. Tout fut sali, les inspecteurs, le sol, les murs, le détective… Le silence régna pendant quelques secondes. Quelques secondes où l’amant réalisa qu’il avait tout perdu, où l’ami se sentit impuissant, où l’inconnu se sentait triste. Le premier son vint du second, qui se mit à pleurer et appeler le médecin dont les yeux ouverts fixaient le vide. La moitié de son visage, celle où il avait tiré, la gauche, avait explosé et laissait voir sa cervelle qui coulait sur le parquet, réduite en lambeaux par l’impact. Holmes se jeta à genoux auprès de son amour, dans le sang dont il était déjà tâché, et attrapa son visage sans vie. Sa vision se brouilla, il s’était mis à pleurer et ne chercha pas à cacher ses larmes. Toutes ses pensées étaient dirigées vers ce qu’il avait perdu, ce qu’il ne retrouverait jamais et pour ce vers quoi il sera infiniment reconnaissant. Il murmura lui aussi les mots que sont amant avait prononcés avant lui :
« Pour l’Angleterre. »
Angleterre qu’il haïssait maintenant. Il scella ses lèvres, pour la dernière fois, avec celles encore chaudes de Watson. Le baiser avait un horrible goût amer et celui plus effrayant de la mort et du sang, mais Holmes l’ignora pour s’abandonner entièrement au dernier baiser qu’il donnerait de sa vie. Il tenait entre ses doigts nerveux et avec fermeté le crâne ouvert de son ami et l’embrassait à en perdre haleine, comme la première fois qu’ils s’étaient véritablement embrassés, dans une maison de San Francisco. Toute la nostalgie de ces instants dans la Ville sur la Baie lui revint en même temps que la tristesse et tout le frappa de plein fouet. Il faillit perdre connaissance tant la douleur grandissante l’étouffait. Il ferma les yeux et se laissa glisser, encore une fois, dans les souvenirs. Il s’en foutait d’offrir là la preuve de sa culpabilité, c’était mieux même. Il était impatient d’être jugé. Il était impatient de mourir. Il savait que son destin était scellé, là, et contrairement à ses amis, à son ami intime, ce n’était pas Scotlant Yard qui verra sa mort, mais le pays entier. Il avait pris sa décision. Il cessa le baiser et se redressa, pleurant toujours. Il se rendit compte qu’Hopkins avait vomi, et qu’il était parti, et le deuxième inspecteur avait détourné le regard par pudeur. Au moins lui n’avait pas l’air de le haïr comme le montrait si bien Forbes. Mais non, il ne mourrait pas là, il ne lui laissera pas ça. S’il mourrait, c’était pour que tous le voient. Pour que tous constatent l’injuste Loi, celle qui avait tant tué au point d’être nommée Massacre, celle qui avait réprimé, effrayé, celle qui rendait l’humain inhumain, d’un côté le mort et de l’autre le tueur, le monstre. Il était las de la justice maintenant qu’il en avait été victime et cela lui fit se rendre compte pourquoi il affectionnait tant la vérité. Mais cette fois-ci, même avec la vérité, il était condamné et pourtant il avait le sentiment d’être victime d’une erreur. Et il avait peur, car personne ne pouvait l’en sortir, pas même lui. La Reine l’avait décidé, Victoria n’était plus avec lui mais contre lui et Holmes le sentit comme une trahison. Une trahison de sa patrie, de sa chère Londres qu’il aimait tant, de son cher pays qu’il parcourait volontiers. Maintenant il le dégoûtait. Il avait fait abstraction pendant des années des lois contre lui jusqu’à ce jour-là, ce jour où il se résolut à mourir au devant de tous, sous les fenêtres de Buckingham, avec toute la dignité que Scotland Yard lui avait laissé après l’avoir honoré. Et alors, avec toute l’ironie du monde, il répéta en se relevant :
« Pour l’Angleterre. »

La douce ironie... Le prochain chapitre est le dernier ! La conclusion se trouve donc là-bas !

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